vendredi 8 octobre 2010

59 À 0 POUR PROPAGANDE CANADA



EN CONSTRUCTION...


59 À 0 POUR PROPAGANDE CANADA

par

Claude Boulay



Chapitre 1

Que personne ne parle pour la souveraineté!

 


Quand Pauline Marois proposa, au début de 2008, de tenir une conversation nationale sur la souveraineté, Ginette Gagnon se fendit d’un éditorial dans Le Nouvelliste, dans lequel elle accusait la chef du Parti Québécois de vouloir enfoncer la souveraineté de force dans la gorge des Québécois. Je lui répondis par une lettre très courte, qui ne fut pas publiée :

« Au référendum de 1995, 50 pour cent des Québécois, 60 pour cent des francophones, ont voté pour la souveraineté. Depuis ce temps, les journaux de Gesca ont publié au moins 3 000 éditoriaux et chroniques contre la souveraineté et les souverainistes. Pour la souveraineté? Aucun. Zéro. C’est qui, donc, qui veut enfoncer quoi dans la gorge des Québécois? »

Dans La Presse, on se servit d’une lettre à l’éditeur, qui affirmait, entre autres : « Depuis 1968 (40 ans), il y a eu un monologue continuel de ceux qui sont favorables à l’indépendance et qui monopolisent toutes les tribunes » 1.  J’adressai une courte lettre à ce journal, dans laquelle je mentionnais de nouveau les 3 000 éditoriaux et chroniques fédéralistes depuis 1995. Je terminais en ces termes : « Qu’est-ce qu’il faudrait donc, que personne ne parle pour l’indépendance, que les fédéralistes seuls aient droit de parole? ». Ma lettre ne fut pas publiée.

Par la suite, je me demandai si je n’avais pas exagéré. C’est beaucoup, 3 000.  J’avais ce chiffre en tête depuis un certain temps, mais était-il fondé? Je décidai de faire un échantillonnage pendant un mois pour voir si mon estimation était juste. Je fis donc un recensement de ce genre d’articles dans La Presse pendant tout le mois d’avril 2008. Résultat : 10 articles antisouveraineté au cours de ce mois.

En extrapolant sur les douze années et demie écoulées depuis le référendum, on arrive au chiffre de 1 500 articles. J’ai supposé que Le Soleil, l’autre grand quotidien de Gesca, avait contribué un nombre égal. De plus, cette filiale de Power Corporation possède cinq quotidiens régionaux : Le Nouvelliste, Le Droit, La Tribune, Le Quotidien, et La Voix de l’Est. À en juger par ce que produit Le Nouvelliste, le nombre d’articles de propagande antisouveraineté est moindre dans ces journaux. Pour être sûr de ne pas gonfler les chiffres, je ne leur ai attribué qu’une production égale à 10 % de celle de La Presse et du Soleil. On en arrive tout de même à un total de 3750 articles.

La période d’échantillonnage est-elle représentative? Assez, il me semble, pour donner un ordre de grandeur. Il est sûr qu’il y a des accalmies, pendant lesquelles on ne parle presque pas de souveraineté, en particulier si la cote du PQ et de la souveraineté est faible. Mais inversement, il y a des périodes où la propagande est intense. On pense évidemment au référendum et à la fébrilité qui a suivi les résultats serrés. Il y a aussi d’autres périodes de pointe : les élections, l’élection d’un nouveau chef, un discours d’un chef souverainiste, etc.

Voici les articles de La Presse que j’ai retenus comme faisant partie de la propagande antisouveraineté en avril 2008 :

4 avril, Alain Dubuc, « Fini le ni-ni ». L’auteur glose sur la possibilité qu’il entrevoit que la France abandonne sa politique de non-ingérence et de non-indifférence envers le Québec. Il appelle cette politique, qu’il souhaite voir changée, « le fruit d’un travail acharné des politiciens péquistes ».

8 avril, Lysiane Gagnon, « Le tollé démesuré ». Même sujet.

9 avril, Jean-Herman Guay, « L’accordéon souverainiste ». Je n’inclus pas dans mon recensement les lettres de simples citoyens à l’éditeur du journal, mais cet article, où l’auteur est présenté avec ses titres et sa photo, doit être inclus comme s’il était rédigé par un chroniqueur régulier du journal. Le professeur Guay se réjouit de ce que l’appui à la souveraineté ait diminué de 50 % à 35 %.

10 avril, Louise Leduc, « Causer séparation et faire le vide autour de soi ». C’est présenté comme de la nouvelle sous la plume de cette journaliste. On y rend compte d’un sondage, ô combien utile et éclairant, sur les sujets de conversation qui sont considérés irritants. Dès le départ, le simple fait d’inclure « le séparatisme québécois » dans la liste est un geste politique. Il y a suggestion que le sujet doit être considéré comme tapant sur les nerfs. On ne se serait pas avisé d’inclure « l’unité nationale ». S’il avait fallu que le sondage place ce sujet de conversation en première place dans la liste!

Que dire du titre choisi! Il ne serait pas surprenant qu’il ait été décidé avant même que les résultats du sondage soient révélés. Si 23 % des répondants se disent agacés par le « séparatisme », comment peut-on conclure que ce sujet « fait le vide autour de soi »? Compte tenu de la propagande dont les médias sont pollués, il fallait s’attendre à ce qu’un pourcentage semblable soit accordé à cette question. Mais on ne doit jamais rater une occasion, n’est-ce pas, d’apporter une contribution à la propagande fédéraliste. Chaque petit brin compte!

Il n’est pas rare que, dans La Presse, des articles d’opinion soient présentés sous la guise d’information. Il y même un spécialiste de cette technique, M. Denis Lessard. Il mérite un chapitre à lui tout seul.

13 avril, Jacques Roy, « Un changement compréhensible ». Comme pour l’article de Jean-Herman Guay, ce texte d’un ancien ambassadeur du Canada doit être inclus comme si l’auteur était un employé du journal. Le sujet est encore l’abandon espéré de la politique de non-ingérence, non-indifférence de la France vis-à-vis le Québec,

19 avril et 24 avril, Rima Elkouri, « Les souliers orange de Pauline » et « Moi, mes souliers… ». Pour s’attaquer à une femme, on juge astucieux de faire faire la besogne par une femme. Dans le titre du premier article, l’auteur utilise le prénom de Mme Marois. La pratique de tutoyer une personne publique ou de l’appeler par son prénom peut être soit une marque d’amitié, soit une manifestation de mépris. Prenons un exemple. Au cours de l’élection partielle dans la circonscription de Laviolette à l’automne 2001, le journaliste Jean-Marc Beaudoin, du Nouvelliste, appelait la candidate libérale Julie Boulet par son prénom dans ses articles. On comprenait qu’il favorisait Mme Boulet, qu’il souhaitait que les lecteurs la considèrent comme une petite sœur ou cousine et votent pour elle. Disons, en passant, que ce parti pris, inconvenant de la part d’un journaliste, n’a pas nui à Jean-Marc Beaudoin. Aujourd’hui, il a sa chronique régulière dans ce journal.

Dans le cas de Rima Elkouri, parcourons ses deux articles et jugeons si elle parle de « Pauline » avec affection ou mépris. Premier article : « L’image de bourgeoise hautaine lui colle à la peau… autobiographie sans grand éclat… livre empreint de rectitude politique… ». Ce n’est pas bien méchant, mais on ne devine pas beaucoup d’affection là-dedans. Deuxième article, pas de « Pauline », mais une caricature de Mme Marois : « Non contente d’avoir pu vendre sa salade… un long discours électoral… opération d’autopromotion soigneusement orchestrée… une campagne pas assez subtile pour que les journalistes n’en voient pas dépasser les ficelles… ». Non ce n’est pas par affection que l’auteure appelle Mme Marois par son seul prénom.

Une question : Rima Elkouri s’est-elle jamais livrée à une critique d’une autre autobiographie d’un homme ou d’une femme politiques? Sinon, nous sommes justifiés de croire que le moment était venu pour elle de faire « une job de bras » contre Pauline Marois.

J’avais remarqué, lorsque le gouvernement du Parti Québécois préparait l’adoption du projet de loi sur l’équité salariale, que c’était une femme, Mme Ginette Gagnon, qui avait dénigré le projet dans un éditorial du Nouvelliste. Elle avait choisi des expressions pour mettre en doute la bonne foi du gouvernement : « pour gagner des votes… se péter les bretelles ». Elle avait argué aussi : « Que l’on parle de 2,5 milliards $ ou d’impacts de moins d’un milliard sur la masse salariale… une chose est certaine, cette éventuelle loi aura des conséquences qui pourraient perturber l’équilibre de l’emploi… Personne ne conteste le besoin d’une plus grande justice à tous égards. Mais il y a des moments propices aux grands projets sociaux et d’autres pas » 2. Je m’étais dit qu’avec de tels arguments, on aurait pu reporter indéfiniment l’abolition de l’esclavage.

20 avril, Alain Dubuc, « Un gros madrier planté dans l’œil ». L’auteur fait du « damage control ». La Canadian Broadcasting Corporation (qu’il appelle le réseau anglais de Radio-Canada) avait organisé un gala du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens. Dans la version télévisée, les artistes québécois avaient été retranchés. Le chanteur Claude Dubois, entre autres, avait protesté.

29 avril, André Pratte, « Ne touchez pas à la loi 101 ». Un éditorial pour contrer le projet de Pauline Marois de renforcer la loi 101. Venant de l’éditorialiste en chef de La Presse, journal qui a applaudi à chaque fois que cette loi était battue en brèche, le titre de l’article mérite un grand éclat de rire.

29 avril, Vincent Marissal, « Électoralisme 101 ». Renforcement de l’éditorial d’André Pratte. Le titre dit tout.

Treize ans de propagande (ne parlons pas de tout ce qui a été produit avant le référendum de 1995), 3750 articles. Et ils ont le culot d’accuser le PQ de vouloir enfoncer la souveraineté de force dans la gorge des Québécois, de se plaindre que les souverainistes occupent toutes les tribunes!

Jacques Ellul parlait « de l’activité totalitaire, dévorante, du mécanisme de propagande une fois monté; il ne peut laisser hors de lui-même aucune fraction de l’opinion, il ne peut tolérer aucune sorte d’indépendance » 3. Voici d’autres exemples du totalitarisme dont parle Ellul :

Le 1er octobre 1995, la journaliste Manon Richard, de La Presse, recensait un ouvrage de Monty Berger, Je ne me souviens pas. On peut lire dans l’article : « L’auteur estime que les médias font preuve d’un fort préjugé favorable aux indépendantistes et écrit : « Les tribunes éditoriales se font très discrètes quant à la possibilité d’offrir le point de vue fédéraliste».

Au moment où La Presse recensait le livre de Monty Berger, ce journal venait d’ouvrir ses pages, au cours des semaines précédentes, à des articles fédéralistes de Solange Chaput-Rolland, Henry Mintzberg, John Honderich, Pierre Pettigrew (tous les cinq chapitres) et Stéphane Dion (deux chapitres). Tous ces « éditorialistes » s’ajoutaient aux éditorialistes et chroniqueurs réguliers, qui ont comme mandat de combattre la souveraineté.

11 novembre 1995. Un Monsieur A. Tremblay avait écrit une lettre mettant en doute l’indépendance d’esprit de Lysiane Gagnon et des autres columnists et éditorialistes de La Presse. On ne nous laisse pas lire la lettre, seulement la réplique de Mme Gagnon. L’auteur de la lettre devient « un dénommé A. Tremblay » et « Le cher homme », le texte est qualifié de « mi-lyrique, mi-hystérique », les propos sont des « sornettes », le style est « fielleux ». (« Qu’on lui tranche la tête », dit la Dame de Cœur). Lysiane Gagnon prétend que, dans son journal, « la liberté laissée aux journalistes est exceptionnelle (j’insiste, exceptionnelle) ».

Chacun sait que les propos qu’elle et ses collègues tiennent à l’endroit de ceux qui défendent l’idée de la souveraineté ne sont jamais fielleux. Comprenez-vous? Jamais! Et nous sommes invités à croire que c’est un pur hasard si tous les éditorialistes et columnists de Power Corporation militent contre la souveraineté du Québec.

Ce qu’il faut retenir, surtout, de cette chronique de Lysiane Gagnon, c’est cette arrogance qui fait qu’on ne publie pas une lettre défavorable, mais qu’on se donne le droit de matraquer l’auteur. Voilà une belle démonstration de l’axiome selon lequel le pouvoir corrompt. Car, à la condition de ne jamais écrire quoi que ce soit de favorable à l’indépendance du Québec, les agents de Propagande Canada détiennent un pouvoir absolu.

Le 12 février 2004, les lecteurs de La Presse ont une fausse joie : une lettre de lecteur intitulée « Moins de propagande » est publiée. Mais, déception, c’est contre la « propagande péquiste et séparatiste » à Radio-Canada que l’auteur s’élève. Radio-Canada, où les drapeaux unifoliés foisonnent, où le mot « Canadah » est répété dix mille fois par jour, où des journalistes tiennent à présenter défavorablement tout ce qui touche le Québec! Et il se trouve des lecteurs pour accuser ce fleuron fédéral de propagande « péquiste et séparatiste »!

Le 22 janvier 2007, M. Daniel Laprès écrit dans La Presse : « L’idéologie nationaliste et indépendantiste est devenue chez nous hégémonique au point où on ne peut pas la critiquer impunément, ou même la questionner ne serait-ce que timidement ». Ceci dans un journal où les éditorialistes et columnists pondent avec une régularité déconcertante leurs textes contre l’indépendance du Québec et les indépendantistes. Où même bon nombre de journalistes des pages d’information s’alignent sur les postulats de la propagande fédéraliste. Où M. Laprès lui-même trouve toujours régulièrement une place réservée.

On se dit, Seigneur, qu’est-ce qu’il leur faut?



NOTES DU CHAPITRE 1

  1. La Presse, 8 mars 2008.
  2. Le Nouvelliste, 10 septembre 1996.
  3. Jacques Ellul, Propagandes, Librairie Armand Colin, Paris, 1962, p. 29.






Chapitre 2


Un record de tous les temps

 

À La Presse, barque amirale de Propagande Canada, il y a eu pendant un certain nombre d’années un responsable du courrier des lecteurs et des textes d’opinion, Pierre-Paul Gagné. On ne savait pas exactement quelle était la fonction de M. Gagné, mais à la lecture des articles qu’il rédigeait sous le titre « Post-scriptum », on constatait qu’il avait, entre autres, la tâche de donner l’impression que les lettres publiées étaient représentatives de l’opinion des Québécois. Par exemple, le 22 avril 2003, il écrivait : « Il se trouvait bien peu de lecteurs pour nous parler de façon positive de la souveraineté… les chefs politiques auraient peut-être intérêt à s’y fier (au courrier des lecteurs de La Presse) à l’avenir. » Le message ne pouvait pas être plus clair : la sélection des lettres publiées dans son journal représentait l’opinion des Québécois.

La vérité est toute autre. Du 3 novembre 2000 au 23 février 2009, j’ai adressé 59 lettres à La Presse sans qu’aucune ne soit publiée. C’est là tout un record! À titre de comparaison, le record pour le plus grand nombre de joutes consécutives avec au moins un coup sûr dans les ligues majeures de baseball, détenu par le regretté Joe DiMaggio, est de 56 joutes. Le record pour le plus grand nombre de joutes consécutives avec au moins un point (but ou assistance) dans la LNH, détenu par Wayne Gretsky, est de 51 joutes. N’allez pas croire que je me compare à ces glorieux athlètes, car tout le mérite pour cette série ininterrompue de lettres non publiées revient à l’équipe éditoriale de La Presse, qui a su se montrer vigilante à mon endroit.

Mes amis me reprochaient de persister à envoyer des lettres à ce journal de Gesca. Il y avait longtemps qu’eux avaient abandonné. Je leur répondais qu’il fallait que les éditorialistes et chroniqueurs de La Presse se fassent mettre sur le nez ce qu’ils font et qu’ils ressentent un peu de nausée en se regardant dans le miroir le matin.

La commandite de lettres antisouveraineté

Pendant cette période où ce journal établissait son record de lettres refusées contre moi, elle publiait à répétition des textes de plusieurs fédéralistes hargneux. Certains auteurs étaient publiés sept ou huit fois par année. Pour faire le plein, on allait chercher des lettres d’ex-ambassadeurs et autres personnages « objectifs » ». Prenons l’exemple de M. Denis Laprès, qui nous a gratifiés longtemps de sa prose. Sous le blogue de M. Paul-Henri Frenière, on apprenait le 3 avril 2008 que ce collaborateur du journal était rémunéré 350 $ par mois pour ses contributions, toutes publiées sous la rubrique « Opinions » de La Presse. Tous des articles antisouveraineté, on le devine. On se demande alors combien il y en a de ces collaborateurs qui publient leurs opinions dans ce journal, et dont nous ignorons qu’ils sont rémunérés. Tel professeur qui nous offre régulièrement des textes contre la souveraineté du Québec est-il à la solde de Power Corporation? Si c’est le cas, est-ce que cela ne devrait pas être indiqué sous sa signature? N’est-il pas plus important de donner cette information, plutôt que le fait qu’il soit professeur de ceci ou de cela dans telle institution de haut savoir?

300 millions par année, une aubaine pour Propagande Canada!

Parlant de professeurs qui rédigent des textes pour La Presse, il y en a qui s’identifient comme titulaires d’une « chaire de recherche du Canada ». Sait-on ce qu’est une chaire du Canada? Voici ce que l’on apprend sur le site web de ce programme :

« Le Programme des chaires de recherche du Canada se situe au cœur d’une stratégie nationale visant à faire du Canada l’un des meilleurs pays en matière de recherche et de développement. »

En 2000, le gouvernement du Canada a créé un nouveau programme permanent dans le but d’établir 2 000 professorats de recherche - ou chaires de recherche du Canada – dans les universités du pays d’ici 2008. Le Programme investit 300 millions par année afin d’attirer et de retenir certains des chercheurs les plus accomplis et prometteurs du monde.

Les titulaires de chaires visent à atteindre l’excellence en recherche dans les domaines des sciences naturelles, des sciences de la santé

On n’est pas surpris d’apprendre que le gouvernement fédéral cherche ainsi à s’introduire directement dans le domaine de l’éducation. C’est la nature même du fédéralisme canadien que d’envahir constamment les domaines de compétence provinciale. Cependant, il y a un but particulier à ce programme. Car si on a vu des articles contre la souveraineté du Québec de la part de tels professeurs subventionnés par Ottawa, on n’en voit pas qui appuient la souveraineté.

Si on regarde les détails du programme, on voit qu’il y a des chaires établies pour le domaine « Sciences humaines ». Dans ce domaine, il y a au Québec dix chaires dans la discipline « Sciences politiques ». Sûrement que ces chercheurs vont grandement aider les Québécois « à améliorer leur qualité de vie et à renforcer la compétitivité du Canada sur la scène internationale ». Il y a aussi six chaires au Québec pour la discipline « Philosophie ». Je n’ai rien contre la philosophie, mais quand on voit qu’il n’y a que deux chaires de recherche pour la discipline « Génie des structures », aucune pour la construction et l’entretien des routes et aucune pour le repérage des canalisations d’eau sur le point d’éclater, et que l’on connaît les préoccupations dans ces domaines, on a le droit de se demander si les ratios sont justes.

Au total, il y a 490 professeurs titulaires de chaires de recherche au Québec. Si l’on ajoute à ce nombre ceux qui aspirent à obtenir une telle subvention, cela fait un intéressant bassin de professeurs qui n’écriront jamais d’articles en faveur de la souveraineté, qui ne seront pas tentés d’enseigner à leurs étudiants que l’indépendance est aussi essentielle pour la nation québécoise que pour les autres nations. Parfois, à La Presse, on préfère ne pas révéler que l’auteur d’une lettre est titulaire d’une de ces chaires. Ce fut le cas, par exemple, lorsqu’elle publia une lettre de M. Mario Polèse, le 28 février 2009, sous le titre « La souveraineté imaginaire ». On déclinait les titres de M. Polèse, mais on préférait cacher qu’il était titulaire d’une chaire, donc à la solde du gouvernement fédéral. On doit supposer que Propagande Canada ne voulait pas que le fil à la patte paraisse trop.

M. Polèse nous revient dans le même journal le 27 juin 2009 avec un autre texte contre l’indépendance du Québec. On se dit « Tiens, tiens, c’est peut-être le remplaçant de Denis Laprès ». Dans ce nouveau texte, il nous apprend qu’il était autrefois favorable à l’indépendance du Québec. Il ne nous dit pas si sa conversion a coïncidé avec l’octroi d’une chaire de recherche du Canada. En fait, il ne dit pas qu’il est titulaire d’une telle chaire.

Pour gonfler encore le volume de textes d’opinion contre la souveraineté, on a aussi recours à des sénateurs, lesquels, comme chacun le sait, ne sont pas des fédéralistes entretenus par Ottawa, oh non ! Dans la plupart des cas, on cherche à donner de l’importance au texte, l’accompagnant d’une photo et du ou des titres de l’auteur. Là aussi, cependant, on ne révèle pas nécessairement tout. Ainsi, le 6 mars 2009, on publiait un texte de M. Bernard Amyot, « Le piège de la nation ». On nous apprenait que M. Amyot était avocat, ex-président de l’Association du Barreau canadien, mais pas qu’il avait été gouverneur du Conseil de l’unité canadienne et président du Groupe des Cent, deux organismes financés en presque totalité par le gouvernement fédéral pour faire de la publicité contre la souveraineté lors du référendum de 1995.

Vive les insultes contre les souverainistes!

À La Presse, on ne refuse jamais une lettre parce qu’elle contient trop d’insultes contre les souverainistes. Au contraire, ces écrits sont accueillis pieusement et offerts aux lecteurs comme une manne. Par exemple, le 17 juillet 1995, un lecteur répliquait à M. Guy Rocher. Voici quelques insultes proférées : « intellos, nationaleux, séparos », avec pour faire bonne mesure, deux références aux « homards de Jacques Parizeau ». Dans une lettre adressée en 2003 à la ministre Pauline Marois, l’auteur l’apostrophait, « Hey la cave ».  À la suite de l’élection provinciale de 2003, on put lire une lettre d’un lecteur qui suggérait de faire parader les membres du précédent gouvernement péquiste les mains attachées dans le dos. J’en ai vu une (le 26 septembre 2008) concernant le Bloc Québécois qui contenait les expressions suivantes : « obscurantisme et dogmatisme, séparatisme obsolète qui maintient le Québec dans la pauvreté, jérémiades, doléances, chiâleux. » Pour une petite lettre de 30 lignes, c’était une belle concentration de quolibets. Le lendemain, dans sa chronique, Lysiane Gagnon qualifiait le Bloc de « groupe parlementaire impuissant et braillard ». Les grands esprits se rencontrent.

Mme Gagnon donne toujours le bon exemple. Combien de fois n’a-t-elle pas employé l’épithète « stalinien » à l’endroit des souverainistes. (Dans le temps de Duplessis, c’était « communisse » qui était à la mode).  En février 1989, La Presse avait publié un texte de M. Gary Caldwell traitant de démographie. N’ayant pas apprécié, Mme Gagnon lui lançait des flèches : « autodidacte…éleveur de moutons ». J’avais fait la réflexion que la dame devait être bardée de diplômes, puisqu’elle se prononçait régulièrement sur les sujets les plus divers. À moins que l’onction de Paul Desmarais n’accorde automatiquement une science universelle aux heureux élus.

 D’autres membres de l’équipe éditoriale ont également appris aux lecteurs fédéralistes les mots qu’il fallait employer. En décembre 1993, M. Marcel Adam utilisait quelques termes choisis contre les souverainistes : « communisme, doctrine subversive, dénaturés ».


Quelques exemples de lettres refusées

Au cas où mes lecteurs seraient tentés de croire que mes lettres étaient refusées parce qu’elles étaient indignes d’être publiées, en voici deux :

15 mars 2001      Les arguments de M. Alain Dubuc

Vous qualifiez de passéiste le nationalisme de M. Bernard Landry parce qu’il repose sur une réflexion de 40 ans et parce que M. Landry évoque un projet de libre-échange de 1911.

En premier lieu, il faut bien dire que les initiatives économiques du gouvernement fédéral qui ont défavorisé le Québec ont encore des répercussions aujourd’hui, même si elles remontent à plusieurs décennies. La canalisation du St-Laurent permet encore de contourner le port de Montréal au profit de l’Ontario et de l’Ouest canadien.

Par ailleurs, les arguments de M. Landry portent aussi sur des sujets d’actualité tels que la concentration des centres de recherche fédéraux au Canada anglais. Votre journal a publié il y a quelques jours la réplique de Stéphane Dion : « Tous les gouvernements modernes concentrent leurs dépenses de R-D dans la capitale, y compris le gouvernement du Québec. » Voilà une réponse imparable! Mais elle est fausse. Par exemple, le Centre de recherche industrielle du Québec a un laboratoire à Québec et un autre à Montréal. Hydro-Québec a ses centres de recherche à Varennes et à Shawinigan. Aux États-Unis, l’Argonne National Laboratory a ses installations à Chicago et dans l’Idaho. La NASA a des centres de recherche en Californie, en Ohio, en Virginie et dans l’Oklahoma.

Même en ce qui concerne le Canada, l’affirmation de M. Dion est fausse. Les Laboratoires de Chalk River (1900 employés) sont à 190 km d’Ottawa… mais toujours du côté ontarien de la rivière des Outaouais. L’Institut national de recherche sur les eaux a ses laboratoires à Burlington, en Ontario, et à Saskatoon, en Saskatchewan.

Monsieur Dubuc, combien de fois avez-vous attaqué dans vos éditoriaux ce que vous appelez « le modèle québécois » au cours de ces dernières années? Quinze fois? Avec cette constance et avec cette fréquence, ce n’est plus simplement l’expression d’une opinion, c’est de la propagande. Vous avez mentionné une fois « le modèle canadien ». C’était pour le louanger.

Vous faites constamment des comparaisons avec l’Ontario et vous blâmez « le modèle québécois » pour le fait que les impôts sont plus élevés au Québec que dans la province voisine. Vous minimisez toujours la contribution du fédéral à cet écart économique. Vous minimisez aussi les avantages que « le modèle québécois »  procure aux citoyens québécois.

Comment se fait-il que vous ne critiquiez jamais « le modèle canadien » ? Après tout, les impôts et le chômage sont plus élevés au Canada qu’aux États-Unis. Pourquoi attaquez-vous toujours le Québec et jamais le gouvernement fédéral?

Les forces fédéralistes contrôlent la presque totalité de la presse imprimée et électronique. Il n’y a donc personne pour vous donner la réplique, sauf les dirigeants politiques du Québec. Et quand ils le font, c’est toute la batterie des éditorialistes et des chroniqueurs qui ouvre le feu, avec en prime l’aimable prose de M. Stéphane Dion.

Si La Presse a refusé cette lettre, on doit supposer qu’elle juge plus pertinentes les faussetés de M. Dion que les vérités que je cite.

1 mai 2001    Nation

Pour refuser au Québec le droit de devenir un pays, M. Stéphane Dion (La Presse, 1er mai 2001) ratiocine que le mot « nation » a un sens différent selon que l’on parle en anglais ou en français. Le Québec ne serait une nation qu’en français et donc…

M. Dion voudra-t-il répondre à certaines questions?

Quand Lord Durham, dans son fameux rapport, écrivait : « I found two nations warring in the bosom of a single state », écrivait-il en français? Quand il décréta que, pour éviter que la nation québécoise (appelée à l’époque la nation canadienne) ne survive, il fallait la mettre en minorité en l’unissant de force à une population anglophone plus nombreuse, écrivait-il en français?

Autre question pour M. Dion. Quand les juristes des procès de Nuremberg formulèrent l’accusation numéro 12 contre les criminels de guerre nazis (« Les tentatives de dénationalisation des territoires occupés »), donnaient-ils le sens français au terme de nation?

Pour La Presse, il devait être inopportun de rappeler que le Québec avait été reconnu comme une nation 160 ans plus tôt.

Bien sûr, la plupart de mes lettres étaient embarrassantes pour ce journal. Mais au lieu de les cacher, l’équipe éditoriale aurait pu les publier et répliquer en montrant la faiblesse de mes arguments. Si elle ne le faisait pas, c’est qu’elle ne la trouvait pas, cette faiblesse.

Avant d’être mis à l’index par La Presse, j’avais eu quelques lettres publiées dans ce journal. Le traitement accordé à celle qui suit mérite d’être signalé. Le contexte : lors de la crise du verglas en 1998, plusieurs journaux du Canada anglais avaient fait des gorges chaudes sur le dos des Québécois dans leurs éditoriaux et leurs caricatures. Alain Dubuc avait répliqué dans un éditorial intitulé « Inélégance », dans lequel il écrivait, entre autres, « Ce que l’on sent dans cette attitude, c’est le passage, dangereux, de l’antiséparatisme vers la francophobie… » J’avais envoyé cette lettre au journal :

16 janvier 1998    La guerre contre le Québec

« Inélégance » déplore M. Alain Dubuc, au sujet des caricatures dans The Globe and Mail se moquant des Québécois aux prises avec les conséquences de la tempête de verglas. Il parle d’un « passage, dangereux, de l’antiséparatisme vers la francophobie ».

Quel passage? Il y a des décennies que les médias anglophones mènent une campagne stridente, non seulement contre l’indépendance du Québec, mais contre le Québec et contre les Québécois. N’importe quel prétexte est bon pour comparer le Québec à l’Allemagne nazie, qu’il s’agisse des lois pour protéger la langue française ou pour empêcher la vente de la margarine colorée. Tandis qu’ils trouvent tout à fait normales des lois fédérales qui imposent des droits de 80 % aux revues américaines qui n’ont pas 80 % de contenu canadien.

À la radio de CIQC, avec Howard Galganov, c’est tous les jours trois heures de propagande débridée. Quand Gord Logan remplace Joe Cannon, le « hate-in » dure cinq heures.

Cette campagne de haine contre les Québécois rapporte des dividendes précieux. Au Québec, on s’assure que ceux qui s’alimentent aux médias anglophones voteront contre la souveraineté. Et il ne faut pas croire qu’il ne s’agit que d’anglophones. Nous avons entendu, entre autres, M. Pierre Moisan, député du Parti libéral du Québec, s’acoquiner avec Galganov.

Au Canada anglais, on s’assure que la population sera toujours opposée à quelque changement que ce soit qui irait dans le sens des revendications du Québec. Sur le plan économique, si l’on peut nuire au Québec, on s’en félicite. Après tout, n’est-ce pas M. Stéphane Dion qui prêchait qu’il fallait faire souffrir le Québec pour que l’appui à la souveraineté diminue? C’est un geste patriotique que l’on pose en suivant cette directive!

Quand un Canadien anglais a accès à une publication américaine, que ce soit The New York Times ou The New Yorker, avec quelle délectation ne s’empresse-t-il pas de dépeindre le Québec sous les pires couleurs! Et les médias canadiens-anglais d’applaudir.

M. Dubuc ne peut pas prétendre qu’il n’était pas au courant de tout cela. Jusqu’à présent, il s’en est fait le complice. Par exemple, quand en 1994, M. Jacques Parizeau a réclamé un traitement plus juste pour le Québec de la part des médias anglophones, M. Dubuc a donné de l’espace dans La Presse à M. John Honderich pour qu’il pourfende M. Parizeau. Il a refusé de publier toute lettre à son journal qui donnerait la réplique à M. Honderich et qui prouverait que M. Parizeau avait raison.

Quand M. Derek Henderson de The Toronto Star, déplorant l’installation à Montréal de la Commission sur l’environnement de l’ALÉNA, a décrit cette ville comme une île au milieu d’un égout à ciel ouvert, M. Honderich a pu défendre son journaliste dans La Presse. M. Dubuc a déclaré que l’argument de M. Henderson était « de bonne guerre ». (C’est une expression qu’il affectionne.)

Quand, il y a quelques mois, Howard Stearns et Howard Galganov se virent chacun offrir un poste, le même jour, à la radio anglophone de Montréal, M. Dubuc a cru bon de « calmer les esprits ». Après tout, n’avons-nous pas André Arthur et Gilles Proulx ? Oui, mais André Arthur est fédéraliste à tout crin. Ce n’est pas lui qui va donner la réplique à Galganov. Quant à Gilles Proulx, si démagogique que soit son émission, il ne la consacre pas entièrement à faire de la propagande contre toute une province.

Avec cette complaisance de la presse francophone, les médias du Canada anglais peuvent se livrer à la guerre la plus plaisante qui soit, celle où l’on peut asséner des coups sans jamais en recevoir. Et ce n’est pas le coup de mouchoir qu’administre M. Dubuc à The Globe and Mail qui va les convaincre de renoncer à leur petit jeu.

Ma lettre fut publiée avec certains paragraphes (ceux montrés ci-dessus en plus foncés) retranchés et le titre changé pour « Une guerre contre le Québec ». M. Dubuc a dû se dire que, convenablement charcuté, cela pourrait passer pour un simple appui à son éditorial.

Ménager les propagandistes

Quelques jours après la publication de ma lettre modifiée, La Presse publiait un petit entrefilet :

Précision

En page B3, édition du 26 janvier, La Presse  a publié un texte d’opinion de M. Claude Boulay intitulé « Une guerre contre le Québec ». L’auteur du texte, qui est de la Mauricie, n’est pas M. Claude Boulay, président du Groupe Everest.

Ainsi, mon homonyme, président du Groupe Everest, ne voulait d’aucune façon être associé à une lettre qui dénonçait la campagne de salissage contre le Québec. J’avais été touché de la sollicitude de La Presse envers mon homonyme et son entreprise. Sollicitude bien justifiée. Cette agence de publicité s’apprêtait à décrocher un beau contrat avec le gouvernement fédéral dans le cadre du Programme des commandites, devenu célèbre depuis. (On sait aujourd’hui que, suite au Rapport Gomery, Claude Boulay-président-d’Everest a été poursuivi en justice par le gouvernement du Canada et que le gouvernement et l’accusé s’entendirent hors cour pour un remboursement de 1 000 000 $ des sommes facturées en trop par Everest.

Est-il raisonnable de tirer les conclusions suivantes de cette mise au point du journal?
  • Qu’une entreprise négociant avec le gouvernement fédéral voyait ses chances d’obtenir un contrat diminuées si son président prenait la défense des Québécois contre une campagne de salissage.
  • Que le gouvernement fédéral voyait d’un mauvais œil qu’un citoyen proteste contre la campagne de salissage.
  • Que La Presse était consciente de ce qui précède et voulait conserver à Claude Boulay-président-d’Everest toutes ses chances d’obtenir un contrat dans le cadre du Programme des commandites.

Le Nouvelliste moins étanche

Je dois à la vérité de dire que, pendant la période pendant laquelle La Presse a établi son record de tous les temps contre moi, j’ai eu des lettres publiées dans Le Nouvelliste de Trois-Rivières.

Entendons-nous bien. L’équipe éditoriale de ce journal ne dévie pas de la ligne anti-souveraineté dictée par Gesca. On y reproduit consciencieusement des épîtres d’Alain Dubuc, on donne la préférence aux lettres de lecteurs qui se prononcent contre les souverainistes. Et, comme à La Presse, on accepte de publier des lettres qui sont des concentrés d’injures. Par exemple, le 30 mars 1994, un lecteur s’en prenait à MM. Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, qui avaient protesté contre la fermeture du Collège militaire de St-Jean : « odieux spectacle… la population doit se sentir outragée… geste grossier… hypocrisie absolue… ». En juin 1998, un lecteur, croyant avoir découvert une nouvelle insulte à asséner, écrit coup sur coup deux lettres où il traite les souverainistes de « cuistres », sans savoir ce que le mot signifie. (Il écrira plus tard (août 1998), après avoir été pris en défaut, « J’emploie le mot « cuistre » en prenant des libertés qui servent mal le génie de la langue de Molière ». (Qu’en termes élégants ces choses sont dites!) Le plus extraordinaire, c’est qu’à quelques jours d’intervalle, un autre lecteur utilisait, encore à mauvais escient, le même qualificatif de « cuistres » envers les souverainistes. Autre exemple, le 19 juillet 2002, pour se plaindre de ne pas avoir reçu du gouvernement péquiste une prestation à laquelle il croit avoir droit, un lecteur rage : « gargarisme retentissant, odieux, fourbe, dégoût, irresponsabilité, détresse narcissique, conscience morale atrophiée ». Dans une autre lettre (3 septembre 2003) contre les souverainistes, les invectives pleuvent : « tordu, vulgaire, mal élevé, guillotineurs, bâtisseurs de goulags, malabars, majorettes, petits caporaux… ». Au cours de la campagne électorale de 2003, un lecteur suppliait les États-Unis de bien vouloir envahir le Québec pour le délivrer de la « dictature » de Bernard Landry. Tous ces bijoux, témoignages d’un niveau intellectuel supérieur, sont dûment régurgités dans les pages éditoriales du Nouvelliste.

Dans ce journal, on aime également laisser le dernier mot aux lecteurs fédéralistes. Voici un exemple de ce genre d’opération. En février 2009, un de mes amis avait réussi à faire publier une lettre, dans laquelle il déplorait, entre autres, l’aliénation culturelle des Québécois par des « radio-poubelles » animées par les André Arthur et Jeff Filion. Quelques jours plus tard, le journal permettait à un adversaire de lui donner la réplique. Son propos était : « Comment peut-on parler d’aliénation culturelle quand il y a Céline Dion, le Cirque du Soleil et l’Orchestre symphonique de Montréal? » C’est un point de vue. Céline Dion représente peut-être un rempart contre les André Arthur de ce monde. Mais cette réplique est aussi truffée d’insultes : « … une démagogie hallucinante… série d’inepties… le pape des souverainistes, Pierre Falardeau… le Québec souverain serait une société totalitaire… » J’écrivis une lettre pour me porter à la défense de mon ami. Non seulement ne fut-elle pas publiée, mais le journal rappliqua avec une autre lettre d’insultes de la part d’un fédéraliste : « fanatique… folie séparatiste… absurdités… péquistes un peu maso… complexe de persécution incontrôlable… »

 On voit le genre. Néanmoins, ils ne m’ont pas banni de façon étanche du courrier des lecteurs, et je dois leur en être reconnaissant. Peut-être que le grand club de Gesca laisse un peu plus long de corde à ses clubs fermes.

Pour en revenir à La Presse, il s’est produit un miracle le 24 février 2009. Ce journal a enfin mis fin à ma traversée du désert, en publiant une de mes lettres, après 3 035 jours de censure. Publier, c’est vite dit. Voici la lettre. Les lignes montrées ci-dessous en caractères plus foncés avaient été supprimées.

Une technique malhonnête

M. André Pratte, votre éditorial d’aujourd’hui (23 février 2009), « Une insulte à l’intelligence », est, disons les choses brutalement, profondément malhonnête. Vous écrivez, et citez en exergue : « Les États-Unis, la Chine, la France ne savent plus quel geste poser pour relancer leur économie. Et un Québec indépendant, lui, trouverait la recette magique? »

Personne n’a parlé de « recette magique ». Mme Marois a dit qu’un Québec indépendant réussirait mieux. C’est tout. Vous avez le droit d’être en désaccord, mais vous n’avez pas le droit d’inventer des propos pour mieux mépriser l’adversaire. Pendant la dernière campagne électorale, Jean Charest affirmait qu’il lui fallait un gouvernement majoritaire pour faire face à la crise. Vous l’avez appuyé. Personne ne vous a accusés, vous et M. Charest, de proposer des recettes magiques qui constituaient des insultes à l’intelligence.

La semaine dernière (18 février 2009), un de vos lecteurs utilisait la même technique dans une lettre que vous avez publiée en page A25 : « Selon la bible souverainiste, la Nouvelle-France était un jardin d’Éden jusqu’à ce que les Britanniques s’en emparent par traîtrise ». Personne n’a dit que la Nouvelle-France était un jardin d’Éden. C’est là une invention de votre lecteur pour lui permettre de faire de l’ironie facile. La question était la suivante : est-il acceptable qu’une autre nation nous impose chez nous la reconstitution et la célébration d’une défaite?

Le fait que ce lecteur, professeur d’histoire, utilise cette tactique, de même que son interprétation toute particulière de l’histoire, ne laisse rien présager de bon pour l’enseignement de cette discipline dans son collège.

Quand je parle de « l’interprétation toute particulière de l’histoire » de l’auteur de la lettre, je ne me livre pas à des insultes personnelles gratuites. Ce professeur d’histoire écrivait : « Que leurs leaders politiques (aux Québécois) se sont librement associés aux Canadiens anglais réformistes pour obtenir la responsabilité ministérielle en 1848 ». Ceux qui connaissent un peu l’Histoire savent que, dix ans avant cette date de 1848, suite aux rébellions, des villages entiers furent brûlés, que 108 personnes furent traduites en cours martiale, dont 99 furent condamnées à mort. Parmi les hommes condamnés à la pendaison, 12 furent exécutés, plusieurs virent leur sentence commuée en exil. Il faut un culot rare pour prétendre que les leaders politiques québécois « se sont unis librement… »  et que toute autre interprétation de l’Histoire « tient bien davantage du conte d’enfant que du travail scientifique d’historiens ». Dans les journaux de Gesca, on aime bien se livrer à la réécriture de l’Histoire. Cette fois, on s’est servi d’un professeur d’histoire complaisant pour le faire.

                                                                    

Chapitre 3

Au commencement était Trudeau

 

Recette d’un grand démocrate

On entend et on lit parfois le commentaire « C’est normal que dans La Presse, journal fédéraliste, on favorise le fédéralisme ». Un argument en apparence raisonnable, mais qui ne l’est pas. Dans les démocraties, il faut une presse libre, que l’on appelle parfois le quatrième pouvoir. C’est ainsi qu’aux États-Unis et en Europe, par exemple, il y aura des médias reflétant les principales tendances du spectre politique. L’équilibre entre ces différents médias assure une information et des commentaires politiques relativement équilibrés pour éclairer les électeurs. L’équilibre n’est pas parfait mais, comme  on le sait, la démocratie n’est pas parfaite. Comme le disait Churchill, c’est seulement le système le moins imparfait de tous.

Ce qui est arrivé au Québec, et ça s’est étendu aux médias du Canada anglais, c’est qu’on a délibérément faussé l’équilibre nécessaire à une presse libre, pour tordre le cou à la démocratie.

Pierre Elliott Trudeau a énoncé sa recette dans Le fédéralisme et la société canadienne-française en 1967 :

« Un des moyens de contrebalancer l’attrait du séparatisme, c’est d’employer un temps, une énergie et des sommes énormes au service du nationalisme fédéral. Il s’agit de créer de la réalité nationale une image si attrayante qu’elle rende celle du groupe séparatiste peu intéressante par comparaison. Il faut affecter une part des ressources à des choses comme le drapeau, l’hymne national, l’éducation, les conseils des arts, les sociétés de diffusion radiophonique et de télévision, les offices du film. »1

Remarquons qu’au début de cet énoncé, il y a une admission. Trudeau parle de « l’attrait du séparatisme », admettant implicitement qu’en l’absence de mesures extraordinaires, les Québécois choisiraient l’indépendance. C’est admettre que l’indépendance a quelque chose de naturel. En effet, avec l’avènement de l’ère de la décolonisation, les peuples ont choisi de devenir libres les uns après les autres. Cette évolution naturelle, Trudeau a décidé de la contrer en dépensant des « sommes énormes ».

 On peut mettre en parallèle ce que Trudeau prêchait et les déclarations triomphales de Joseph Goebbels, ministre de la Propagande d’Adolf Hitler, au lendemain des élections de 1933, qui avaient porté les nazis au pouvoir en Allemagne. :

« Maintenant, ce sera facile de mener le combat, car nous pourrons recourir à toutes les ressources de l’État. La radio, la presse sont à notre disposition. Nous allons organiser un chef-d'œuvre de propagande. Et, cette fois, l’argent ne manquera pas ». 2

Qu’on se rassure, je n’ai pas l’intention de copier, dans le sens inverse, les méthodes de propagande anti-québécoises, qui cherchent toujours à comparer le nationalisme québécois au nazisme. Le Canada n’est pas un pays fasciste. On y pratique la démocratie et il s’y exerce une presse libre, sauf en ce qui concerne la question de l’indépendance du Québec. On n’y prêche pas la supériorité d’un peuple sur un autre, sauf chez certains extrémistes de la presse anglophone. On ne recherche pas la disparition d’un peuple. Même l’objectif de l’assimilation, qui était à la base de la fondation du Canada, n’est poursuivi ouvertement que par un petit nombre. Tout au plus, la nation dominante tient-elle mordicus au maintien du moyen prévu, un Canada uni, pour parvenir à cet objectif. Les fédéralistes canadiens n’ont pas eu recours au terrorisme d’état depuis la répression des rébellions de 1837-38 et celle des Métis de Louis Riel en 1985. L’application de la Loi des mesures de guerre ne constitue pas une action comparable aux exactions des nazis, sauf peut-être dans l’opinion des personnes qui furent emprisonnées sans procès en 1969. Cependant, ce programme visant à corrompre la démocratie par la propagande est quelque chose que Trudeau et ses collaborateurs ont en commun avec le régime hitlérien. Il y a aussi des affinités de pensée qui se manifestent par des formules-chocs dans les discours. Je ne vois pas pourquoi je ne les mettrais pas en lumière.

Aussitôt dit, aussitôt fait

Trudeau voulait donc dépenser des sommes énormes en propagande. Mais comment? Bien sûr, il se proposait de devenir premier ministre du Canada et, à ce titre, il allait pouvoir dépenser des sommes importantes en propagande directe dans les médias. Il allait pouvoir contrôler Radio-Canada et en faire un instrument de sa politique. Par l’entremise du Conseil de la radiodiffusion, de la télévision et des communications canadiennes (CRTC), il aurait également son mot à dire sur la propriété des postes de radio et de télévision et sur le contenu de leur programmation. Mais c’était encore loin des dépenses en propagande que Trudeau avait en tête.

Pour Paul Desmarais, président de Power Corporation, les mots « sommes énormes », en quelque sorte un appel d’offres, constituaient une fort belle musique. Dans Derrière l’État Desmarais, Robin Philpot nous décrit comment l’élément clé de Propagande Canada, c’est-à-dire la cohabitation très étroite de Power Corporation avec les pouvoirs publics canadiens, a pris naissance.

« Claude Frenette (adjoint de Paul Desmarais) a été élu président de l’aile québécoise du Parti libéral fédéral en vue du congrès au leadership et, dans les bureaux mêmes de Power Corporation, avec Pierre Trudeau, il a établi le plan qui mènerait celui-ci à la direction du Parti libéral et au poste de premier ministre du Canada le 25 juin 1968. » 3

C’était le début d’une collaboration étroite entre le gouvernement fédéral et Power Corporation. D’une part, Trudeau allait dépenser sans compter : au cours de ses 16 années au pouvoir, la dette fédérale allait augmenter de quelque 500 milliards. D’autre part, Paul Desmarais allait accumuler une fortune énorme. Bien sûr, il n’y allait pas avoir des transferts directs de fonds du gouvernement fédéral à Power Corporation. Mais comment ce holding financier pouvait-il manquer son coup alors qu’il était en position d’influencer le gouvernement de toutes les manières possibles? Voici quelques exemples des liens étroits entre le gouvernement et Power Corporation :

  •         Après sa carrière en politique active, Pierre Elliott Trudeau est devenu conseiller de Paul Desmarais;
  •         Paul Martin dirigeait Canada Steamship Lines pour Power Corporation. Il allait devenir ministre des Finances, puis premier ministre fédéral;
  •       Le sénateur Michael Pitfield, ancien greffier du Conseil privé et secrétaire du cabinet de Trudeau, a par la suite occupé le poste de vice-président de PC;
  •         Gérard Veilleux, ancien secrétaire du cabinet fédéral, ancien président de Radio-Canada, est au service de PC depuis 1994;
  •         John Rae, ancien adjoint parlementaire de Jean Chrétien du temps où ce dernier était ministre des Finances, collectionneur de fonds du Parti libéral fédéral, est vice-président exécutif de PC.
       
Les liens avec la famille libérale fédérale sont les plus serrés; après tout, la fille de Jean Chrétien n’a-t-elle pas épousé le fils de Paul Desmarais? Mais cela ne veut pas dire que PC a négligé ses rapports avec les autres instances politiques :
  •         Gilles Loiselle, ex-ministre sous Brian Mulroney et sous Kim Campbell, est passé au service de PC après sa défaite électorale;
  •         Brian Mulroney lui-même, après son départ de la politique active, est devenu l’avocat de Desmarais;
  •         Daniel Johnson fils est passé directement des bancs d’université à PC, puis est devenu membre du gouvernement Bourassa, pour ensuite lui succéder comme premier ministre du Québec en 1994;
  •         La famille Desmarais et les hauts dirigeants de PC, utilisant tout ce que permettent les lois québécoises en matière de financement des partis politiques, sont les principaux bailleurs de fonds du Parti libéral du Québec.
    
Paul Desmarais est un honnête homme. Il a respecté ses engagements envers Trudeau. (Un peu comme le gars qui avait promis son vote à un candidat de l’Union nationale en retour d’une caisse de bière, au temps de Duplessis. À un ami qui lui suggérait qu’il pouvait tout aussi bien voter pour un autre candidat, personne n’en saurait rien, il répliqua d’un ton indigné : « Mais voyons, ça ne serait pas honnête! ») Donc, Paul Desmarais, à mesure que sa fortune grossissait, se mit à faire l’acquisition des journaux du Québec pour faire la propagande voulue par Trudeau. Par l’entremise de sa filiale Gesca, Power Corporation est devenue propriétaire de la majorité des organes de presse écrite :

Quotidiens :

La Presse (Montréal)

Le Soleil (Québec)

Le Quotidien (Chicoutimi)

Le Nouvelliste (Trois-Rivières)

La Tribune (Sherbrooke)

Le Droit (publié à Ottawa, distribué à Ottawa, Gatineau et la région)

La Voix de l’Est (Granby)

Hebdomadaires :

Progrès Dimanche (Chicoutimi)

La Voix de l’Est Plus (Granby)

La Nouvelle (Sherbrooke)

La propriété de ces journaux permet à Power Corporation de s’acquitter de ses engagements envers Trudeau et de diffuser une stridente propagande antisouveraineté du Québec.

À titre de comparaison, en France occupée, la Propaganda-Abteilung avait chargé le trust Hibbelin de regrouper un certain nombre de publications pour assurer un meilleur contrôle du lectorat. À la fin de l’Occupation, le trust regroupait 8 sociétés anonymes, 49 publications et 3 maisons d’édition. 4

Qu’est-ce au juste que Propagande Canada?

Propagande Canada, c’est d’abord la presse écrite propriété de Gesca (Power Corporation), soit 70 % des journaux francophones du Québec. Mais attention, cela ne signifie pas un avantage antisouverainiste de 70 à 30. Car les autres journaux ne sont pas pour autant souverainistes. Au mieux, on pourrait dire qu’ils sont neutres. Donc, pour ce qui est du débat sur la question nationale et de l’influence de la presse écrite, c’est 70 à 0.

Propagande Canada, c’est aussi Radio-Canada. En 2002, j’écoutais Edgar Fruitier présenter des chefs-d'œuvre de musique classique à la Chaîne culturelle. Je fus surpris quand Fruitier interrompit la musique et ses commentaires pour lire un billet de Lysiane Gagnon, de La Presse. Le sujet était le dada de Gagnon à l’époque, c’est-à-dire le système de santé et sa mauvaise gestion par le gouvernement du Parti Québécois. (Elle est beaucoup moins diserte depuis que les libéraux ont pris le pouvoir au Québec en 2003). J’adressai une lettre de protestation à Edgar Fruitier, où je disais, en résumé : 

« J’écoute la radio à 104,3 pour entendre de la belle musique, pas pour me faire seriner les propos partisans de Mme Lysiane Gagnon». Je ne reçus aucune réponse de M. Fruitier.

Ce n’est que plus tard que j’appris que Radio-Canada avait conclu une entente secrète avec La Presse, entente en vertu de laquelle on pouvait entendre à la radio et à la télévision la prose d’André Pratte, Lysiane Gagnon, bref tous les propagandistes du journal. Du point de vue des participants, évidemment, c’est très lucratif; manger à deux râteliers, ça arrondit les fins de mois. Il faut que ce soit payant, le rôle d’agent de Propagande Canada!

Les directives données à Radio-Canada par des politiciens fédéraux et des hauts dirigeants de la SRC ont été nombreuses. Trudeau avait menacé la Société de la forcer à ne plus afficher que des vases chinois sur les écrans de télévision si ses journalistes ne marchaient pas au pas. En voici d’autres exemples :

  • « Je ne veux pas voir Radio-Canada prendre une position neutre. Les employés, au moment du référendum, doivent être sans équivoque du côté de Pro-Canada ». 5
  • «Radio-Canada a le mandat de faire la promotion de l’unité nationale ». 5
  • « Mme Sheila Copps, vice-première ministre, estime que la SRC devrait jouer un rôle important dans la promotion de l’unité canadienne ». 7

«  Permettez-moi de récapituler les objectifs du ministère du Patrimoine : Façonner l’expression de notre fierté à l’égard du Canada  ». 8

On peut comparer ce qui précède avec une Note d’orientation émise par le gouvernement de Vichy aux journaux français le 22 novembre 1940 :

« Le sort de notre pays se joue et dépend, dans une certaine mesure, de l’attitude de la presse. Comment pourrait-il échapper au directeur du journal, à moins qu’il ne soit délibérément ou sourdement hostile à la politique pratiquée par le gouvernement du maréchal Pétain, que le thème essentiel est à l’heure présente celui de la collaboration?... Pas une journée ne doit être perdue. En d’autres termes, pas un numéro du journal ne doit paraître sans apporter de contribution personnelle à l’œuvre du salut du gouvernement. » 9

Plusieurs seront sans doute choqués par ces parallèles entre la situation du Québec d’aujourd’hui et celle de la France occupée. Je répète donc qu’il y a de très grandes différences entre les deux situations. Même en ce qui concerne la propagande, les propriétaires fédéralistes, s’ils n’acceptent pas que leurs éditorialistes et columnists publient des arguments pro-souveraineté, n’imposent pas un contrôle absolu sur la nouvelle. Mais il faut reconnaître que c’est le seul autre moment dans l’Histoire où tant d’agents des médias ont écrit à répétition des réquisitoires contre l’indépendance de leur propre peuple.

Et voici maintenant quelques exemples de la façon dont la SRC s’acquitte de son mandat de propagande :

  •         Au cours de la campagne référendaire de 1995, on aurait juré que des consignes précises avaient été données aux journalistes de la SRC;
·        Présenter les tenants du Oui en trop gros plan ou de trop loin;

·        Toujours interrompre celui qui parle pour le Oui, jamais celui qui parle pour le Non;

·        Toujours accorder plus de temps au Non;

·        Ajouter une perfide petite note éditoriale à la fin d’une déclaration pour le Oui;

·        Toujours utiliser des expressions négatives pour présenter les points de vue du Oui : « Parizeau tente de… », « Le camp du Oui admet… »

·        Une nouvelle défavorable au Oui doit être amplifiée. Une nouvelle défavorable au Non doit être escamotée ou ignorée.
  •         Toujours pendant ce même référendum, le 8 octobre 1995, Jean-François Lépine interviewe Mario Dumont, du camp du Oui. Plus hostile que ça, tu meurs! Il tape sur la table, apostrophe Dumont : « Qui êtes-vous pour nous dire comment voter? » Tout de suite après, c’est Bernard Derome qui interviewe Jean Charest, du camp du Non. C’est de la flagornerie à l’état pur. Derome a le ton tendre qu’il prendrait pour parler à un enfant, tiens comme les animateurs de l’émission de radio 275 Allô.
  •         Le 8 octobre 2002, en plein cœur de la campagne de Propagande Canada contre le gouvernement du Parti Québécois dans le dossier de la santé, une journaliste de Radio-Canada nous fait part de ceci : l’Association médicale du Québec a fait faire un sondage qui révèle qu’un grand nombre de médecins du Québec songent à émigrer. Et que les médecins sont unanimes contre la loi qui les oblige à fournir des services dans les urgences. Pour donner du poids à cette nouvelle, la journaliste prend la peine de rappeler aux auditeurs que l’AMQ « n’est pas un syndicat ». Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’une des principales fonctions de cette association est de servir de lobby pour les médecins. Devant la Commission Romanow, ses représentants ont déclaré : « L’AMC continuera à appuyer la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (deux syndicats) dans leurs demandes pour faire relever les plafonds salariaux ».
  •         Le 21 mai 2003, j’écris à René Homier-Roy, animateur de C’est bien meilleur le matin : « … accueillir les commentaires de The Gazette sur la Fête des Patriotes, comme vous l’avez fait ce matin, vous permet d’atteindre un nouveau niveau d’abjection. Votre ton facétieux était d’une pusillanimité exemplaire. La répression des Patriotes, M. Homier-Roy, ne fut pas une petite cocasserie dont vous avez le droit de vous gausser ».
  •         Il y avait, à Radio-Canada, un reporter qui interprétait à sa manière le mandat de la SRC. Il déblatérait à tort et à travers contre tout ce qui était québécois. Sur Vigile, on pouvait lire, le 24 janvier 2002, ce que ce journaliste trouvait à dire sur Hydro-Québec : « S’il est vrai que les Québécois paient leur électricité beaucoup moins cher qu’en Ontario, Hydro-Québec n’en est pas moins la moins sûre et la moins bonne de tout le continent ». Aucune preuve à l’appui de cette affirmation, bien entendu. Les propagandistes ont le droit et le devoir de parler ex cathedra. (Ce journaliste a depuis été nommé au CRTC par le gouvernement fédéral. Comme quoi on récompense les âmes dévouées.)
Sur le site www.voxlatina.com, on peut lire une lettre de Mme Manon Berthelet au médiateur de presse de Radio-Canada en date du 17 septembre 2001. J’invite les lecteurs à prendre connaissance de cette lettre. Mme Berthelet a beaucoup plus de patience que moi pour regarder cette chaine de télévision et faire état de ses déformations.

Et les autres chaînes?

Comme pour les journaux autres que ceux de Gesca, on peut dire que les postes de radio et de télévision autres que ceux affiliés à Radio-Canada sont, au mieux, neutres. Je dirais plutôt neutres avec tendance antisouveraineté. Évidemment, il faudrait être tout un comité d’observateurs munis d’enregistreurs pour confirmer cette tendance. Je me contenterai ici de faire état de mes observations personnelles pou illustrer mon évaluation :

  • Une lectrice principale de nouvelles à TVA, qui parle d’un petit ton méprisant du « sacro-saint virage ambulatoire »;
  • Semaine du 25 mars 2001. La ministre des Finances Pauline Marois annonce que, dans son prochain budget, elle se montrera reconnaissante envers les Québécois. Le scribe de TVA change le mot « reconnaissante » pour « généreuse », ce qui permet à Simon Durivage de faire des gorges chaudes : « Imaginez, elle dit qu’elle va se montrer généreuse, comme si c’était son propre argent! »
  • À la mort de Jean Drapeau, un de ses amis a obtenu d’être interviewé à la télévision par un journaliste de TVA. Il semble qu’il avait une crotte sur le cœur depuis longtemps et qu’il a sauté sur l’occasion pour s’en soulager. Son propos? De Gaulle, lors de son discours sur le balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal, n’a jamais voulu dire « Vive le Québec libre ». Ceci, à l’encontre de ce qu’a écrit le ministre Alain Peyrefitte dans son ouvrage, De Gaulle et le Québec. Évidemment, il n’y avait personne pour donner la réplique à l’ami de Drapeau si pressé de donner son interprétation si fantaisiste à l’Histoire.
  • Le 19 septembre 2009, sur LCN. C’est l’avant-veille d’une élection partielle dans la circonscription de Rousseau. Le reporter est sur le terrain. (À moins que les images lui ait été données par le PLQ). On voit Jean Charest et on entend un bout de son discours : si le Québec est moins frappé que d’autres par la récession, il le doit à son gouvernement. Nous ne voyons ni n’entendons Pauline Marois lui donner la réplique. Le lendemain, c’est encore pire. On ne voit que Charest qui serre des mains. Encore un organe d’information qui se transforme en agence de publicité du PLQ.
  • La présence sur les ondes de la radio d’animateurs de lignes ouvertes comme André Arthur ou les différents clowns de CIQC, farouchement antisouveraineté (mais jamais un animateur prosouveraineté).
Pourquoi donc les chaînes indépendantes copieraient-elles Radio-Canada, elles ne sont pas propriétés du gouvernement fédéral? D’abord à cause du CRTC, qui a son mot à dire sur le contenu de leur programmation. Deuxièmement, le pouvoir de la fortune colossale de Power Corporation, appuyée par les « sommes énormes » du gouvernement fédéral, exerce un attrait puissant sur ceux qui ont les moyens de s’acheter ces chaînes dites indépendantes et sur les journalistes qu’ils embauchent. Et finalement, il y a les revenus obtenus directement du gouvernement fédéral pour ces publicités qui se terminent par « un message du gouvernement du Canada », quand ce n’est pas « la monnaie royale canadienne, nos valeurs d’ici ». (La mode dans la publicité est à l’humour, voire l’autodérision, mais je ne crois pas que les agents de Propagande Canada avaient cette idée en tête quand ils ont pondu cette dernière perle. Pour eux, l’agence d’impression de la monnaie est vraiment une « valeur d’ici »).

Ne rien négliger

Il n’y a pas que la presse écrite et parlée. Propagande Canada fait sentir son influence d’une multitude de façons. Trudeau avait prêché d’intervenir par le biais de « l’éducation ». Un jour, un de mes petits-fils me rapporte fièrement un cadeau qu’il a reçu à l’école. C’est une petite boîte métallique entourée d’un bandeau portant drapeau rouge et couronnes royales. La boîte affiche 37 fois le mot « Canada ». On y trouve un petit carnet pour noter ses « émotions canadiennes et une médaille du « millénaire », avec en grosses lettres le mot « Canada ».

En 1997, la ministre du Patrimoine Sheila Copps avait fait distribuer une « trousse pédagogique » dans 16 500 écoles. Ladite trousse avait nécessité le concours de six maisons de production, 10 organismes, 12 ministères et plus d’une quarantaine de spécialistes. La trousse comprenait un guide de l’enseignant, un disque compact, une bande vidéo, un cahier pour les élèves, une centaine de drapeaux autocollants et un message du premier ministre Jean Chrétien. Mme Copps déclarait dans un communiqué de presse : « Nos enfants doivent pouvoir ressentir eux aussi cette joie que nous procure à tous notre identité canadienne ». Elle précisait que chaque école avait le droit de recevoir deux drapeaux, un pour déployer en public et l’autre pour les activités en classe. Elle incitait aussi les enfants « de quatre à sept ans » à porter des vêtements aux couleurs du Canada. « Encouragez-les à porter autant de rouge et de blanc qu’ils le peuvent », conseillait-elle aux enseignants. Enfin, elle suggérait de fabriquer « un drapeau vivant », en « demandant à la moitié des élèves et des professeurs de porter des chemises blanches et à l’autre moitié des chemises rouges ».

Lors du référendum de 1995, le camp du Non a organisé pour les enfants un concours de lettres d’amour pour le Canada. À Chicoutimi, des adultes incitèrent des enfants à confectionner des pancartes pour le Non, puis les firent parader. La Presse publia une photo de cette parade le 10 octobre 1995, avec le titre « Une vision mondiale ».

Il y a eu d’autres cas dans l’Histoire où des propagandistes ont dirigé leurs efforts vers les enfants d’écoles. En France occupée, on faisait chanter Maréchal nous voilà! aux élèves. Et le 8 novembre 1943, pour mousser le Service de travail obligatoire, le gouvernement de Vichy lançait le concours de la plus belle lettre. Les enfants étaient invités à écrire à un proche parent parti travailler en Allemagne. Comme le disait le secrétaire d'État à l’Éducation nationale, « Il est très bien que des enfants interviennent, à l’âge où la sensibilité a toute sa force et avec la puissance irrésistible qu’ils ont sur les grandes personnes ».

Trudeau voulait que la propagande se fasse également par « les offices du film ». Un jour, une de mes petites-filles m’avait conscrit pour regarder un film avec elle. Il s’agissait de La championne, une mignonne petite œuvre relatant les aventures d’une jeune gymnaste. Le film est roumain et tous les acteurs et gymnastes sont roumains. Cependant, on aperçoit tout à coup, comme un cheveu sur la soupe, le symbole olympique surmonté de la feuille d’érable canadienne. On se demande qu’est-ce que ça vient faire là! À un autre moment, dans une classe, le professeur parle du Canada, où « vivent des populations anglaises, françaises et autochtones ». C’est quand même une belle coïncidence que l’on parle justement du Canada et de ses « populations » dans ce petit film roumain. Le mystère s’éclaircit lorsqu’on regarde le générique à la fin. Radio-Canada a participé à la production! Évidemment, cela n’a pas l’envergure des trousses dans les écoles. C’est juste une petite propagande subliminale à l’intention des enfants. Toutefois, je dois préciser que je ne passe pas mon temps à regarder des films d’enfants. Si le hasard m’a fait découvrir ce cas-là, il est permis de croire qu’on pourrait en révéler des douzaines si on se réunissait à plusieurs pour faire part de ce qu’on a observé.

Quelques autres façons de dépenser

Le gros des « sommes énormes » est dépensé via les médias, mais il ne faudrait pas passer sous silence les autres mécanismes. On connaît, bien sûr, le programme des commandites. Mais si tant de monde en a entendu parler, c’est seulement parce que des participants à ce beau programme, trop pressés de s’enrichir, ont triché à qui mieux mieux. Il y a bien d’autres programmes. Le Bloc Québécois avait fait un inventaire des sommes dépensées en propagande par le gouvernement fédéral de 1995 à 2003. En voici un résumé. J’ai exclu le programme des commandites, qui est déjà suffisamment documenté merci, ainsi que les sommes reliées à la création d’un guichet unique pour les services du gouvernement, même si on a profité de l’opération pour y introduire de la propagande.

1995-96

30e anniversaire du drapeau                                                                        1,1 M$

Conseil de l’unité canadienne (propagandes diverses)                             5,6

Minutes du patrimoine                                                                                     7

Option Canada (propagandes diverses)                                                       4,8                    

Opération Unité                                                                                                11

Campagne «Un million de voix»                                                                     0,5

Promotion de la capitale fédérale dans le cinéma                                         0,5

Promotion des services fédéraux                                                                     5

1996-97

Bureau d’information du Canada (propagandes diverses)                           19,5                  

Opération « Un million de drapeaux »                                                              15,5

Dépliant sur une motion sur la société distincte                                                 0,6

Campagne « Une affaire de cœur »                                                                     0,5

Chandails avec feuilles d’érable pour les athlètes aux Jeux du Québec          0,1

Stages de jeunes pour promouvoir l’unité nationale                                           7,5

Bureaux régionaux du Conseil de l’unité canadienne (CUC)                             2,5



1997-98

Bureau d’information du Canada (propagandes diverses)                               20

Conseil de l’unité canadienne (propagandes diverses)                                       3,8       

Fête du Canada                                                                                                         3,4

1998-99

Bureau d’information du Canada (propagandes diverses)                                 20

Conseil de l’unité canadienne (propagandes diverses)                                         6,2

Fête du Canada                                                                                                           4,7

1999-2000

Bureau d’information du Canada (propagandes diverses)                                    21,2

Conseil de l’unité canadienne (propagandes diverses)                                            6

Fête du Canada                                                                                                              5,4

Programme « 1-800-Ô-Canada »                                                                                 1,2

Forum des fédérations                                                                                                    2,6

Recherches sur le fédéralisme                                                                                       1,8

Publicité sur le budget fédéral                                                                                         3,6

Institut sur le fédéralisme et les fédérations                                                                  10,5

2000-2001

Bureau d’information du Canada (propagandes diverses)                                      31                       

Fête du Canada                                                                                                                6,9

2001-2002

Bureau d’information du Canada (propagandes diverses)                                        31

Bureau d’information du Canada (propagandes diverses)                                        31



Dans son document, le Bloc Québécois fait état d’autres initiatives et sommes dépensées, en tout ou en partie, pour faire de la propagande fédéraliste ou antisouveraineté. Bien sûr, toutes ces informations proviennent d’un parti politique et sont donc sujettes à caution, mais elles n’ont pas été réfutées par le gouvernement fédéral.


NOTES DU CHAPITRE 3

  1.  Pierre Elliott Trudeau, Le fédéralisme et la société canadienne-française, Les éditions Hurtubise HMH, Montréal, 1967.
  2. William L. Shirer, Le Troisième Reich, des origines à la chute, Tome 1, Stock, Paris, 1959-60.
  3. Robin Philpot, Derrière l’État Desmarais : POWER, Les Éditions des Intouchables, Montréal, 2008, p. 15
  4. L. Charliet, Histoire Générale de la Presse française, Presses universitaires de France, 1979.
  5. Le ministre André Ouellet à Peter Gzowski, en avril 1977, rapporté par Graham Frazer dans e Parti Québécois, Libre Expression, Montréal, 1984, p. 147.
  6. Jean Chrétien, 14 novembre 1995.
  7. Sheila Copps, 15 novembre 1995.
  8. Guylaine Saucier, présidente du Conseil et Perrin Beatty, PDG, Radio-Canada, 7 mai 1999.
  9. Henri Amouroux, La grande histoire des Français sous l’occupation, Partie 3, Les beaux jours des collabos, juin 1941-juin 1942, Robert Lafond, Paris 1978, p. 20.







Chapitre 4

 

« Exploitons les problèmes en santé »

 

Deux bons soldats

­­Quand, suite aux résultats serrés du référendum de 1995, il fut décidé en haut lieu qu’il fallait intensifier la propagande fédéraliste au Québec, il fut également décidé que le domaine de la santé devait être un domaine privilégié à exploiter à cette fin. On assista alors à de grands spectacles à la télévision. Les caméras se rendaient jusque dans les salles d’attente des hôpitaux, on interviewait les patients dans leurs lits, on recueillait les plaintes du personnel médical, on n’hésitait pas à leur mettre carrément les paroles dans la bouche. Les journaux de Propagande Canada publiaient régulièrement des comptes rendus sur les listes d’attente, comme si ces listes n’avaient pas existé avant l’avènement au pouvoir du Parti Québécois.

À La Presse, on confia principalement au manipulateur du courrier des lecteurs, Pierre-Paul Gagné, et à Lysiane Gagnon le soin de maintenir l’élan. Gagné veillait à ce que ne soient publiées que des lettres qui critiquaient le gouvernement provincial dans ce dossier. Le plus souvent, ces lettres étaient accompagnées d’une photo du titulaire du ministère de la Santé, pour bien pointer vers qui il fallait diriger le mécontentement. Tous les ministres du PQ eurent droit à ce traitement : Jean Rochon, Pauline Marois, Rémy Trudel, François Legault. Jamais une lettre, accompagnée d’une photo du ministre fédéral des Finances Paul Martin, blâmant ce dernier. Pourtant, le gouvernement fédéral était le plus grand responsable des problèmes dans ce domaine par ses compressions dans les transferts aux provinces.

Ce qui s’était passé, c’était qu’au cours des années Trudeau, le gouvernement avait dépensé sans compter, y compris dans des domaines de compétence provinciale comme la santé. Les déficits successifs avaient gonflé la dette jusqu’à la rendre obèse et ingérable. Pour arriver au déficit zéro, le ministre fédéral des Finances avait trouvé deux brillantes solutions : réduire les prestations aux travailleurs en chômage, tout en gardant les sommes payées à l’assurance-emploi par les travailleurs et leurs employeurs, et couper dans les transferts aux provinces, en conservant les impôts qui avaient été augmentés pour empiéter dans les domaines de juridiction provinciale. On a pu lire dans le journal Les Affaires : « En 1994, Ottawa payait aux provinces 18,8 milliards de dollars en transferts pécuniaires pour financer l’assurance maladie, l’enseignement postsecondaire et l’aide sociale. En 1999, ces transferts étaient limités à un plancher de 12,5 G$, majoré ponctuellement d’un montant de 2G$, pour une compression annuelle de 4,3 G$ ».1

Monter les médecins contre le gouvernement

Lysiane Gagnon, elle, s’acharnait à démoniser les ministres nommés successivement à la Santé au Québec. Tout ce qui se faisait au Québec était moins bien que ce qui se faisait dans les autres provinces. Pourtant, malgré un contexte difficile, le gouvernement péquiste ne faisait pas que des mauvais coups dans ce domaine. Un relevé de l’Institut Fraser, publié à l’automne 1999, révélait que le Québec avait les temps d’attente les plus courts au Canada pour une hospitalisation, ex aequo avec l’Ontario, et des temps d’attente plus courts que la moyenne canadienne dans 11 spécialités sur 13, plus courts que l’Ontario dans 7 sur 13. 2

Lysiane Gagnon se faisait l’écho de tous les médecins qui avaient une dent contre le gouvernement. L’un d’entre eux quittait-il le Québec pour aller exercer dans les banlieues cossues (et blanches) d’Atlanta, ce n’était pas pour de vulgaires questions de gros sous. Il s’agissait de qualités des soins, salubrité des conditions, respect des malades. Et bourre et bourre et ratatam. Voici un exemple de ses nombreuses chroniques sur le sujet. Le 26 mai 2001, sous le titre « Un système malade », parlant des médecins qui allaient pratiquer ailleurs, elle se lamentait : « Le gaspillage est insensé : la formation d’un médecin coûte 213 539 $ et celle d’un spécialiste, le double. Le pire, c’est que ces médecins formés ici selon les meilleurs critères nord-américains sont remplacés par des médecins venant de pays moins développés, à qui le Collège des médecins, face à la pénurie galopante, se résout à octroyer des permis restrictifs ». 3

Bien sûr, il est navrant de voir des médecins quitter le Québec, mais avant que le gouvernement se précipite pour leur accorder toutes les augmentations qu’ils réclament (en 2002, les médecins spécialistes demandaient une augmentation de 40 % de leur salaire de 180 000 $), il faudrait que le Collège des médecins accepte de juger plus équitablement les médecins étrangers voulant pratiquer ici. Car ce ne sont pas seulement ceux venant de « pays moins développés » qui sont refoulés aux frontières ou acceptés avec un humiliant permis restrictif. Ce traitement est réservé, par exemple, à des médecins venant de France.  Il ne serait pourtant pas compliqué de faire une évaluation objective de la formation des médecins dans les pays où le système de santé donne de bons résultats et d’accepter plus facilement les demandes de ressortissants de pays où la formation est comparable à ce qui se fait ici. Il faudrait qu’il soit aussi facile pour un médecin de ces pays de venir pratiquer ici qu’il l’est pour un médecin québécois d’aller exercer sa profession aux États-Unis ou en Ontario. On pourrait alors, s’il y a lieu,  parler de rattrapage salarial de façon rationnelle.

Un jugement à géométrie variable

Le comportement des journalistes de Propagande Canada, dans ce domaine comme dans bien d’autres, est différent selon le parti qui est au pouvoir. Pour le constater, examinons ce comportement avant la prise du pouvoir par le PQ. Référons-nous au débat Daniel Johnson-Jacques Parizeau durant la campagne électorale de 1994. Les stratèges de Johnson lui avaient préparé un beau petit laïus au cas où la performance de son gouvernement dans le domaine de la santé serait critiquée par Parizeau. Le débat avançait et ce dernier n’avait pas abordé la question. Finalement, ce fut une question du journaliste Stéphan Bureau qui permit à Johnson de réciter son beau petit discours. Avec des accents outragés. Il pourfendit vertement ceux qui osaient exploiter de façon démagogique les inquiétudes des malades à des fins de basse politique.

Dans les jours qui suivirent, les journalistes saluèrent la belle réplique de Johnson. On la qualifiait de « moment fort » et plusieurs prétendirent qu’en rembarrant ainsi Parizeau, Johnson avait mérité d’être déclaré vainqueur du débat. Chose curieuse, à peu près aucun journaliste ne semblait se rappeler que la belle tirade n’était pas une « riposte » à Parizeau, mais une réponse à une question de Stéphan Bureau.

Oublions les motifs qui ont pu pousser les journalistes à déformer la vérité pour bien faire paraître Johnson. Retenons plutôt le fait suivant : en applaudissant à sa tirade, ils condamnaient comme pure démagogie les attaques que l’opposition (et d’autres) pourrait faire contre le gouvernement dans ce domaine. Pourtant, ils n’hésitèrent pas à sauter à bras raccourcis sur le gouvernement souverainiste lorsqu’ils en reçurent l’ordre.

En 2003, le Parti libéral prit le pouvoir et Philippe Couillard devint ministre de la Santé. Combien y a-t-il eu par la suite de lettres de critique contre sa performance dans La Presse, avec sa photo? Aucune. Zéro. Combien de chroniques Lysiane Gagnon a-t-elle rédigées depuis pour dire que le système était malade? Aucune. Zéro. Pourtant le système ne s’est pas grandement amélioré depuis 2003.  Par exemple, de 2003 à 2007, selon l’Institut Fraser, la moyenne du temps d’attente entre la consultation avec un omnipraticien et le traitement d’un spécialiste a connu une augmentation importante, passant de 16 à 19,4 semaines.

Lorsque Philippe Couillard a démissionné comme ministre de la Santé, Alain Leduc n’avait que des bons mots pour lui dans La Presse. « Malgré ses évidentes compétences a-t-on dit en substance, le ministre n’a pas réussi à régler les problèmes du système de santé… Cette analyse est incomplète et injuste. Elle reflète la façon superficielle dont on aborde collectivement les questions de santé, notre tendance à s’attacher (sic) aux événements visibles, et à attendre les résultats immédiats. Il est bien sûr évident que le problème des urgences n’est pas réglé. On peut aussi trouver que les listes d’attente pour les chirurgies sont beaucoup trop longues. Mais on fait une grosse erreur en ne regardant que cela. » Et de poursuivre en expliquant que les politiques mises en application par Couillard auraient des résultats à long terme… changements qu’on ne voit pas… véritable révolution… héritage de Philippe Couillard… 4

Ginette Gagnon, dans Le Nouvelliste, entonnait le même refrain : « Le Dr Couillard a-t-il failli à la tâche? Certainement pas… Dans quelques années, lorsque les décisions prises sous le règne de Philippe Couillard se feront sentir directement aux urgences et dans l’accès à un médecin de famille, on mesurera mieux alors sa contribution à l’amélioration de notre service de soins…Si les travers de notre réseau de santé étaient si faciles à corriger, ils l’auraient tous été sous la direction de cet homme compétent et respecté » 5. On ne dit pas précisément que le ministre sortant marchait sur l’eau, mais le lecteur peut facilement le deviner. Et on prépare déjà la voie pour une canonisation future du successeur de Couillard au ministère de la Santé, Yves Bolduc. Le 23 août 2008, La Presse lui consacrait une pleine page, avec grande photo et  une série de questions auxquelles il pouvait donner réponse sans crainte d’être contredit. 6

Il ne faut pas s’étonner de la ressemblance entre les propos d’Alain Dubuc et de Ginette Gagnon dans deux journaux différents. Ils ont les mêmes patrons. Ne pas se surprendre, non plus du contraste entre le traitement accordé aux ministres de la Santé du PQ et ceux du PLQ. Le but des journaux de Propagande Canada n’était pas de faire une critique objective du système de santé, pour y apporter des améliorations. Il s’agissait d’exploiter ses problèmes pour nuire le plus possible au Parti Québécois.

« Faire mal aux Québécois »

Terminons ce chapitre en relisant une dissertation que faisait Lysiane Gagnon le 9 décembre 1999. Elle y analyse la baisse de popularité du gouvernement Bouchard dans les sondages. Elle y va gentiment, méthodiquement, avec une pointe de commisération : « On cherche à mettre le doigt sut le bobo, et ce n’est pas facile » Elle examine chacune des hypothèses qu’elle a choisi, la retourne sur toutes les coutures et conclut, non ça ne peut pas être seulement cela. Objective, suave, tout bien.  Elle insinue, tout de même, « Serait-ce que le projet de souveraineté constitue un boulet de plus en plus lourd à traîner pour le gouvernement? » 7

On voit qu’elle se lisse les plumes au bénéfice de ses patrons, qui ne doivent pas oublier la principale raison de cette baisse de popularité, c’est-à-dire la propagande hystérique menée par les médias contre le gouvernement, à commencer par son propre journal, et sa propre contribution à cette orchestration.

En 1995, un certain Stanley Hartt avait prêché qu’il faudrait faire souffrir les Québécois s’ils votaient Oui au référendum.  Stéphane Dion, qui n’avait pas encore été recruté par Jean Chrétien comme ministre, abondait dans ce sens : « Plus ça va faire mal, plus l’appui à la souveraineté va baisser. » Ce que l’on peut dire, c’est qu’il n’est pas nécessaire que les mesures fédérales soient dirigées spécifiquement contre le Québec. Avec une presse à sa botte, il peut poser des gestes contre toutes les provinces et le moulin à propagande les convertira en munitions contre la souveraineté.

NOTES DU CHAPITRE 4

  1.  Rodrigue Tremblay, Les Affaires, 15 janvier 2000.
  2. Jean-François Lisée, Sortie de secours, Boréal, 2000, pp 43 et suivantes.
  3. Lysiane Gagnon, La Presse, 26 mai 2001.
  4. Alain Dubuc, La Presse, 26 juin 2008.
  5. Ginette Gagnon, Le Nouvelliste, 26 juin 2008.
  6. La Presse, 23 août 2008.
  7. Lysiane Gagnon, La Presse, 9 décembre 1999.








Chapitre 5

 

Le sport dans l’arsenal de la propagande

 

The Maple Leaf Forever (et partout)

Le sport constitue un élément de choix pour l’exaltation du patriotisme (du chauvinisme aussi, il faut bien le dire). Aux joutes de hockey de la LNH, par exemple, on joue les hymnes nationaux, même si chaque équipe représente une ville, et non un pays, et si les joueurs des deux équipes viennent de plusieurs pays. Ce phénomène atteint son paroxysme lors des Jeux olympiques et des autres compétitions internationales. C’est vrai pour tous les pays, mais cela atteint le niveau d’hystérie organisée au Canada. Pour respecter les principes énoncés par Pierre Elliot Trudeau, le drapeau unifolié doit être absolument partout. Au cours d’une compétition, le caméraman de la télévision doit immanquablement trouver un grand drapeau canadien dans la foule et le faire voir à plusieurs reprises. Même lors d’une compétition de hockey comme celle de Rendez-vous 87, qui opposait à l’Union soviétique non pas une équipe canadienne, mais une équipe formée de joueurs nord-américains de la LNH, lorsqu’un but était compté on trouvait moyen de viser un drapeau canadien.

Aux Jeux olympiques, le drapeau doit être omniprésent. Le skieur acrobatique Jean-Luc Brassard s’est plaint de ces exagérations alors qu’il était porte-drapeau aux Jeux de Nagano : « Qu’est-ce que c’est que ces drapeaux plantés partout? On ne se conduit pas comme ça!...Au village des athlètes, l’aile canadienne est placardée de drapeaux rouge et blanc. On n’agit pas ainsi au Japon, c’est un manque de respect envers la culture de ce pays. » 1

Même les commanditaires sont choisis pour favoriser la propagande : Bell Canada, Air Canada, Postes Canada, pourvu que le mot CanadAH retentisse aux oreilles. Petro-Canada est évidemment bien à sa place dans ce lot. N’a-t-on pas nationalisé Petrofina dans le but de planter un sigle avec feuille d’érable tout le long de nos routes? Une fois la feuilledérablisation accomplie, on a revendu l’entreprise à des intérêts privés (ce qui a permis à des petits amis du régime, comme Power Corporation, de faire un coup d’argent). N’oublions pas non plus dans la liste des commanditaires la Monnaie royale canadienne. Y a-t-il un autre pays dans le monde qui sente le besoin de faire de la publicité aux Jeux olympiques pour le service des postes et l’agence d’impression de la monnaie? Bombardier est aussi commanditaire des Jeux. Pour se faire pardonner de ne pas avoir « Canada » dans son nom, elle présente une publicité qui constitue une louange du Canada.

Ah non, pas ces maudits Québécois!

Si le sport doit servir à promouvoir le Canada, il faut, autant que possible, qu’il ne serve pas à la promotion du Québec, pour rester dans l’esprit des enseignements de Trudeau. C’est ainsi que l’on ne verra jamais une équipe du Québec lors de ces compétitions internationales. Cela peut se comprendre en ce qui concerne les Jeux olympiques et las championnats de monde, mais les Jeux du Commonwealth par exemple? Il y a bien des délégations de l’Écosse, du Pays de Galles, de l’Île de Man, pourquoi pas du Québec? Et les Jeux panaméricains? On y voit bien des équipes des Îles Vierges américaines et des Îles Vierges britanniques, des Antilles néerlandaises. Mais il serait impensable d’y voir une équipe du Québec.

C’est bien beau d’interdire la présence du Québec aux compétitions internationales, mais il ne faudrait pas non plus que la performance des athlètes québécois, au sein des équipes canadiennes, suscite trop de fierté québécoise. C’est difficile de réprimer complètement de tels sentiments, mais on peut prendre des mesures pour les étouffer dans la mesure du possible, en limitant le nombre de nos athlètes dans les équipes. C’est ainsi que, chaque année, on s’étonne du petit nombre de Québécois sélectionnés pour les équipes de hockey, que ce soit pour les Jeux olympiques, le Championnat du monde ou le Championnat du monde junior. On prend soin de nommer un Canadien anglais pour faire la sélection et il choisit de préférence des joueurs non québécois. Ce responsable de la sélection aura parfois un auxiliaire québécois, mais celui-ci verra son mandat comme étant de faire avaler les couleuvres à ses compatriotes. Aux Jeux de Lillehammer, en 1994  l’équipe de hockey du Canada ne comptait aucun joueur québécois. Dany Dubé, qui était adjoint à l’entraîneur, défendait cette sélection. Selon lui, les Québécois n’avaient  pas été invités à tenter leur chance à moins qu’ils n’aient été assurés de faire partie du premier ou du deuxième trio. Il ajoutait que des Québécois ne pouvaient pas être des « plombiers » (joueurs de soutien) au sein de l’équipe.2

Toujours en 1994, l’équipe canadienne junior comptait deux joueurs du Québec sur 22. Dany Dubé expliquait alors que les joueurs du Québec ne seraient pas bien considérés tant que le Québec ne remporterait pas la Coupe Memorial.3 Balivernes! En 2006, les Remparts de Québec ont remporté ce trophée, mais l’équipe junior canadienne ne comptait que trois joueurs de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ). Même chose en 2007, 2008 et 2009. Dans le sport comme au gouvernement fédéral, il se trouve toujours un Québécois de service pour justifier ce qui se fait contre le Québec.

Les Amis de Gretzky

Les chroniqueurs sportifs de La Presse, contrairement aux autres chroniqueurs de ce journal, ont en général le courage de dénoncer la discrimination dont font l’objet les Québécois dans le sport. Par exemple, en 1994, Wayne Gretzky s’était constitué une équipe portant le nom « Wayne Gretzky and Friends » pour aller disputer des joutes hors concours en Europe. Il n’avait choisi aucun francophone. Michel Blanchard avait rédigé la chronique suivante le 3 décembre 1994 :

« On a le droit d’avoir les amis qu’on veut et Wayne Gretzky ne fait pas exception. Aucun joueur francophone n’évolue au sein de l’équipe « Les Amis de Gretzky », et vous êtes là à vous étonner. Vraiment! Moi, ce qui m’étonne, c’est de voir le service français de Radio-Canada déléguer à grands frais toute son équipe de la Soirée du hockey pour aller couvrir en Europe deux matches de cette virée. Avec notre argent. Ça n’a pas de bon sens! Voulez-vous me dire ce qu’on a à foutre de ces rencontres? Et comment se fait-il que Radio-Canada, notre chère société d’État, si elle tenait tant que ça à retransmettre deux des six matches disputés par des gars sur le party, n’ait pas exigé qu’une couple de joueurs francophones fassent partie de l’équipe?

Comment se fait-il que Jean-Pierre Paiement, le directeur des sports à Radio-Canada, n’ait pas avisé ses patrons du danger de la chose? On aurait ainsi évité l’espèce de psychose déclenchée aux Amateurs de Sports jeudi dernier quand Luc Robitaille est venu confirmer ce que l’on savait déjà : Gretzky n’a jamais eu d’affinités avec les joueurs francophones…

Vous êtes étonné de voir qu’aucun joueur francophone ne fasse partie du groupe sélect des amis de Gretzky. Mais sur quelle planète vivez-vous donc? Rappelez-vous. Avril 1991, face aux Flames, sixième match de la série demi-finale de Conférence, Luc Robitaille marque un superbe but en début de prolongation et les Kings accèdent à la finale. Le Great Western Forum explose. Robitaille exulte et manifeste un bon moment. Au milieu de la patinoire, Gretzky jubile, les bras en l’air comme s’il venait de marquer, virevolte, envoie des baisers à la foule et s’accapare l’instant magique. Sur la glace, dans l’euphorie qui suit, Robitaille se retrouve étrangement seul. Il a beau chercher Gratzky, il ne le trouvera jamais…

À Los Angeles, Gretzky, en deux ans, n’a à peu près pas adressé la parole à Luc Robitaille et Steve Duchesne.

Robitaille, le meilleur ailier gauche de la Ligue nationale au cours des huit dernières saisons avec une moyenne de 51 buts par campagne, n’a pas été invité à se joindre à l’équipe de Gretzky. Patrick Roy a été invité, c’était difficile à éviter; et Mario Lemieux, blessé; et Martin Brodeur qui a accepté, puis qui n’a plus entendu parler de rien.

Mais pas Raymond Bourque. »

Comme le dit Blanchard, Gretzky pouvait choisir les amis qu’il voulait, et la critique vise surtout Radio-Canada, qui a traité cette initiative privée comme un véritable événement sportif international. J’ajouterais, cependant que, malgré ses amitiés particulières, Gretsky fut nommé directeur exécutif des équipes olympiques de 2002, pour Salt Lake City, et de 2006, pour Turin. Ces équipes comptaient respectivement trois Québécois sur 23 et cinq sur 28.

Un Père Ovide de service

Parmi les chroniqueurs sportifs courageux à La Presse, il ne faut pas compter Mathias Brunet. Pour défendre la sélection d’Équipe Canada pour les Jeux olympiques de 2002, il écrivait : « Qu’on arrête de dire que les Québécois ont été victimes d’un traitement injuste…combien y a-t-il de Québécois parmi les 50 premiers compteurs de la LNH? Deux. Fin de la discussion. »4 En fait, sur les deux Québécois qui étaient parmi les 50 premiers, un seul avait été sélectionné. Tandis que, sur les 18 joueurs (autres que des gardiens de but) du ROC, 11 n’étaient pas parmi les 50 meilleurs compteurs. Brunet répétait en d’autres mots l’argument de Dany Dubé que les Québécois ne pouvaient être sélectionnés que s’ils étaient des vedettes. Dans un éditorial, André Pratte faisait valoir le même argument, en déplorant que le Québec n’ait plus de Guy Lafleur.

Je m’étais amusé à composer une équipe québécoise  pour ces mêmes Jeux olympiques :

Gardiens de but : Patrick Roy, Martin Brodeur, José Théodore.

Défenseurs : Patrice Brisebois, Philippe Boucher, Éric Desjardins, Mathieu Dandenault, Steve Duchesne, Denis Gauthier, Karl Dykhuis.

Ailiers gauches : Éric Dazé, Simon Gagné, Luc Robitaille, Alex Tanguay.

Centres : Mario Lemieux, Yanic Perreult, Vincent Damphousse, Martin St-Louis.

Ailiers droits : Martin Lapointe, Jean-Pierre Dumont, Claude Lemieux, Georges Laraque.

Instructeur : Scotty Bowman.

Je ne suis pas sûr que cette équipe aurait remporté une médaille, mais elle nous aurait fait honneur. Il faudra attendre que le Québec soit indépendant.

Cachez ce drapeau, que je ne saurais voir

(ou, Foglia sent ce que Johnson sent)

Aux jeux du Commonwealth de 2002, la nageuse québécoise Jennifer Carrol, déjà championne du monde en titre au 50 mètres dos, gagne la médaille d’argent dans cette discipline. Sur le podium, elle agite un petit drapeau du Québec. L’entraîneur-chef de l’équipe canadienne de natation, Dave Johnson est fâché, fâché! Il fait parader la nageuse devant le comité de discipline de Natation Canada. Il recommande qu’elle soit suspendue pour une période de six mois. Dans son rapport, il écrit que le geste de Jennifer Carrol était « égoïste, irrespectueux, fâcheux et le plus embarrassant que j’ai vu par un nageur canadien pendant toutes mes années dans le sport. Un tel geste a rendu malade une équipe déjà fragile et est impardonnable. » (On se fait la réflexion, comment se fait-il qu’un petit drapeau québécois ait de telles conséquences sur les athlètes, mais que les orgies de drapeaux unifoliés soient tout à`fait acceptables pour les athlètes québécois?)

Après que ses paroles eurent été rendues publiques, Johnson s’est excusé envers les Québécois. Il a toutefois réussi à rendre ses excuses encore plus insultantes que ses propos originaux : « I love Quebec, I love poutine, I love Montreal smoked meat. There you go. » Considérant le ton sur lequel c’était dit, ce « There you go » signifiait « Êtes-vous contents, là, les ti-z-enfants? »

Il était évident qu’un travail de « damage control » s’imposait à La Presse. Ce fut d’abord la journaliste Louise Leduc qui monta aux barricades : « Le Parti Québécois ne pouvait espérer plus beau cadeau. » C’est une technique de prédilection chez les agents de propagande du journal. On ne dit pas « Mes patrons sont malheureux parce que nos efforts de propagande risquent d’être compromis par ce malheureux incident. » Non, il faut déclarer que l’affaire fait plaisir à l’ennemi. Dans ce cas précis, cette tactique a l’avantage d’insinuer que le PQ se réjouit de ce qu’une athlète soit insultée et punie pour avoir porté le drapeau du Québec. Plus loin, la journaliste écrit : « De voir des politiciens intéressés défendre un à un des athlètes n’est cependant pas moins dangereux que de laisser des fédérations sportives donner dans l’arbitraire le plus crasse. » (La Presse, 13 décembre 2002). Une autre technique chère aux propagandistes, renvoyer dos à dos les deux antagonistes, celui qui fait preuve de discrimination et celui qui défend la victime,

Il faut croire que l’intervention de Louise Leduc n’était pas suffisante car, le lendemain, c’est Pierre Foglia qui se porte volontaire pour défendre la cause. Premier objectif, discréditer l’exploit de Jennifer Carrol. « Le 50 mètres dos n’est pas une distance olympique. Cela nous donne une championne du monde un tantinet folklorique. » Argument doublement idiot. Premièrement, tout le monde sait que la plupart des disciplines olympiques ont commencé par être présentées à différents championnats avant d’être acceptées aux Jeux. Mike Phelps s’est illustré en gagnant huit médailles d’or aux Jeux de Pékin. Aucune des courses qu’il a gagnées ne figurait aux premiers Jeux olympiques de l’ère moderne. Avant que les spécialités de Mike Phelps ne deviennent des disciplines olympiques, personne ne s’est avisé d’écrire que le 200 mètres libre, le 200 mètres papillon, etc. étaient des épreuves « folkloriques ». Deuxièmement, Jennifer Carrol était blâmée pour avoir porté le drapeau du Québec. Que sa discipline soit acceptée ou non aux Olympiques n’avait rien à voir.

Foglia tente ensuite de réhabiliter Dave Johnson. « J’ai appelé des gens qui connaissent bien Johnson…le coach irréprochable. » Aux Jeux de Sydney, Johnson n’avait pas inscrit Yannick Lupien au 50 mètres libre. Pour Foglia? Une simple erreur. L’entraîneur n’inscrit pas son meilleur nageur, mais c’est une simple erreur d’un « coach irréprochable ».

Foglia poursuit : « Johnson n’aurait même pas remarqué que Jennifer Carrol agitait un drapeau du Québec si Jennifer n’était pas aussi, n’était pas surtout, la grande amie de Nadine Rolland… son grand tort c’est d’être l’amie, l’alter ego de Nadine Rolland… Quand Johnson a vu Jennifer agiter le petit drapeau du Québec, il savait très bien qu’elle ne disait pas Vive le Québec libre. Mais il n’a pas cru non plus qu’elle voulait remercier les gens du Québec qui la soutenaient. » Tiens, Johnson sait ce que pense Jennifer Carrol et Foglia sait ce que pense Johnson!

Ce que Foglia a fait, il semble, ce fut de demander à Johnson ce qu’il devait écrire, puis de régurgiter fidèlement les explications de Johnson. On ne fait pas plus flagorneur.

Vite, dégommez cette Québécoise!

Il arrive parfois qu’en dépit des barrières multiples aménagées pour que les exploits sportifs de leurs compatriotes ne fassent vibrer le patriotisme des Québécois, ce phénomène néfaste se produise quand même. Il faut alors jouer les éteignoirs. Aux Jeux de Lillehammer, Myriam Bédard avait remporté deux médailles d’or au biathlon. Dépité, un analyste de CTV, Ken Karpoff, a jugé bon de jeter du discrédit sur ces exploits. Il soutenait que certaines cibles n’avaient pas fonctionné pour les adversaires de Myriam Bédard. Il avait même invité la Biélorusse Svetlana Paramygina, qui avait terminé quatrième lors d’une de ces compétitions, à visionner des agrandissements qui « prouvaient » que deux de ces cibles n’étaient pas tombées alors qu’elles avaient été atteintes. Malheureusement pour Karpoff, elle a observé : « L’image n’est pas très claire. Je ne peux assurer que le projectile a atteint la cible. » (Le Nouvelliste, 21 février 1994).

Honneur et gloire à la police d’État

Je m’en voudrais de ne pas mentionner une initiative farfelue du Comité olympique canadien pour redorer le blason de la Gendarmerie royale canadienne, la police fédérale, dont l’image avait été passablement ternie par les révélations des rapports des Commissions Keable et McDonald, publiés en 1981. Pour mémoire, voici une liste partielle des exactions attribuées à cette force policière dans sa lutte contre les souverainistes :

  • Cambriolage à l’Agence de presse libre du Québec
  • Vol de listes de membres du Parti Québécois
  • Incendie criminel d’une grange
  • Émission de 13 faux communiqués du FLQ
  • Vol de dynamite
  • Kidnapping
  • Ouverture sans mandat de 865 lettres de citoyens
  • Recrutement d’indicateurs en usant de menaces et d’intimidation 5
On était loin de l’image de gentils policiers en belles tuniques rouges se faisant sauter le derrière à l’unisson sur leurs chevaux. Le Comité olympique avait donc eu une idée lumineuse : pour la parade d’ouverture des Jeux, on revêtirait les athlètes d’un uniforme copié sur celui de la GRC. Le public canadien applaudirait ses héros, applaudissant en même temps la police fédérale.

Jeu d’équipe à Propagande Canada

À Propagande Canada, on sait que tout le monde doit faire sa part.

En août 2003, les plongeurs québécois avaient raflé six médailles d’or et une de bronze aux Jeux panaméricains. Pas l’ombre d’un drapeau québécois dans La Presse. Par contre quand, aux championnats du monde d’athlétisme tenus à Paris, l’athlète torontoise Perdita Félicien a remporté une médaille d’or, le journal publia une grande photo couleur de Félicien s’encadrant du drapeau canadien. Ce contraste n’était pas un hasard. On suivait le mot d’ordre de Propagande Canada de faire sonner les trompettes du patriotisme canadien lors d’événements sportifs et, en même temps, d’atténuer dans la mesure du possible tout ce qui pouvait alimenter la fierté des Québécois.

Aux Jeux de Lillehammer en 1994, Myriam Bédard n’avait pas été la seule athlète québécoise à s’illustrer. Les athlètes québécois avaient récolté plus de la moitié des médailles du contingent canadien. Les médias avaient souligné ces victoires et une vague de fierté avait déferlé sur le Québec (malgré les uniformes de la police d’État dont on avait affublé les athlètes). Les fameux Lys d’or, décernés avant et pendant les Jeux à ceux de nos athlètes qui obtenaient du succès (pas seulement les médaillés), avaient contribué pour beaucoup à cet élan de fierté.

Dans la campagne de propagande fédéraliste tous azimuts qui fut déclenchée suite aux résultats serrés du référendum de 1995, on a dû décréter qu’il n’était pas bon que les Québécois ressentent de la fierté devant les succès de leurs athlètes. On n’a plus jamais vu de Lys d’or. À Nagano, on a multiplié les drapeaux unifoliés, au point que Jean-Luc Brossard, n’y pouvant plus, a crié son écoeurement.

Pour les Jeux de 2002 à Salt Lake City, des ordres avaient été donnés. On n’a à peu près jamais entendu les mots « Québec » ou « Québécois » en parlant des athlètes. Pourtant, les Québécois y ont remporté 44 pour cent des médailles canadiennes. Une des médailles fut gagnée par la remarquable Clara Hughes, qui avait déjà gagné deux médailles de bronze aux Jeux d’été d’Atlanta. Claude Charron est allé l’interviewer. Il lui a demandé si l’on pouvait considérer sa médaille comme « une médaille pour les Cantons de l’Est ». On ne sait pas si M. Charron avait demandé permission aux autorités pour poser sa question, ou s’il a fait de lui-même la réflexion que la question était acceptable, vu qu’elle ne mentionnait pas le Québec.

 Aux nouvelles de Radio-Canada du 25 février 2002, un reporter nous a montré certains députés de la chambre des Communes qui offraient leurs félicitations aux athlètes. Ce n’est que lorsque Mme Francine Lalonde a salué en particulier les athlètes québécois qu’il a parlé de « chauvinisme ». Les journalistes avaient assisté à toutes sortes d’orgies patriotardes à la télévision, avaient vu les foisonnements de drapeaux unifoliés, avaient même entendu l’imbuvable simulation  d’une victoire in extremis fictive du Canada au hockey, râlée par Claude Quenneville, le tout sans sourciller. Mais une députée bloquiste salue les athlètes québécois et ce petit journaliste parle de chauvinisme! En voilà un qui a tout son avenir devant lui.

L’édition du 14 août 2008 de La Presse illustre bien certaines autres techniques utilisées par Propagande Canada. La caricature de Chapleau montre Pauline Marois qui fait fi des émeutes à Montréal-Nord et ne se préoccupe que du fait que le drapeau québécois est interdit aux Jeux olympiques de Pékin. Dans sa chronique de la section des sports, Ronald King reprend le même thème : « Ces gens-là n’ont rien de plus important à faire?... Est-ce que quelqu’un pourrait informer nos politiciens des problèmes à Montréal-Nord, par exemple? » Une autre tactique chère aux propagandistes antisouverainistes : « Comment pouvez-vous vous préoccuper de l’indépendance du Québec alors qu’il y a des émeutes à Montréal-Nord… qu’un soldat vient de mourir en Afghanistan? Qu’il y a une crise alimentaire dans le monde? » Ou comme l’écrit Daniel Poliquin, traducteur de Mordecai Richler,  porte-plume de Jean Chrétien et grand apôtre de l’assimilation : « Comment pouvez-vous perdre votre temps à défendre la langue française alors qu’une petite fille de Timmins est sodomisée par son père? »

Curieusement, ce genre de réflexion ne va jamais dans l’autre sens. Poliquin ne reproche pas à Trudeau d’avoir pris le temps de modifier la constitution alors que la pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale frappait le pays, qu’il y avait une guerre entre la Grande-Bretagne et l’Argentine, une autre entre l’Iran et l’Irak, que 250 personnes, la plupart des femmes et des enfants, avaient été maltraitées et massacrées au Guatemala etc. En fait, c’est un argument très utile, que l’on sort quand on n’a rien à dire.

Dans son éditorial « Finie la chicane », André Pratte écrit : « Ne soyons pas naïfs! Un athlète qui se présenterait sur le podium avec un grand drapeau du Québec à la place de la feuille d’érable rouge véhiculerait un message politique, qu’on le veuille ou non. » Mais deux semaines entières à brandir partout le drapeau fédéral, à inciter les Québécois à s’identifier aux athlètes du Canada anglais, à refuser aux Québécois le droit d’être plus fiers des leurs, ce n’est pas un message politique? Oui, mais là, c’est de la bonne propagande, comme diraient les dirigeants chinois.

Dans son article, Ronald King pose la question : « Voyez-vous les athlètes québécois essayant de faufiler leur drapeau devant la télé! » Après le traitement infligé à Jennifer Carrol, on ne doit pas s’étonner que peu d’entre eux osent même y penser. (Chapleau et King ont dû chacun se dire qu’il n’allait pas se laisser damer le pion par Mathias Brunet, en matière de servilité envers les patrons.)

Ah oui, j’allais oublier. Pour compléter les efforts de La Presse ce jour-là, deux lettres de lecteurs fédéralistes critiquant Mme Marois. Pas de lettres de souverainistes. Parce qu’elles ont pris le chemin de la poubelle, ou parce que les souverainistes savent que leurs lettres ne seront pas publiées?




NOTES DU CHAPITRE 5
  1. La Presse, 8 février 1998
  2. La Presse, 8 janvier 1994
  3. La Presse, 20 décembre 1994
  4. La Presse, 23 décembre 1908
  5. http://fr.wikipedia.org/wiki/La_GRC_et_les_libert%C3%A9s_civiles_dans_les_ann%C3%A9es_1970







Chapitre 6

 

Nous, faire du damage control?

 

De la nécessité du damage control

On sait qu’une des fonctions des journalistes de Gesca est d’empêcher les Québécois de voir le vrai visage du Canada. Mais qu’arrive-t-il lorsque la nouvelle est trop grosse et qu’elle traverse le mur de la désinformation? Dans de tels cas, il faut que quelqu’un se sacrifie et fasse le travail nécessaire pour limiter les dommages

On l’a vu lors de la publication de l’ouvrage de Normand Lester, Le livre noir du Canada anglais.1 Il était bien difficile de cacher la nouvelle, l’auteur avait été suspendu par Radio-Canada, un fait sans précédent. L’affaire était tellement grave, le retentissement de la nouvelle était si grand, que les patrons ont envoyé tout un peloton de braves soldats au front. Tour à tour, à La Presse, Michèle Ouimet, André Pratte, Lysiane Gagnon et Pierre Foglia ont contribué leur petit couplet.

Foglia proteste, « Je ne fais pas de damage control »

Le 21 janvier 2003, Pierre Foglia se défend de faire du damage control dans l’affaire Jennifer Carroll/Dave Johnson. Voici ce qu’il écrit : « Vous n’avez aucune idée, Monsieur, comme vous êtes loin dans le champ. Philippe Cantin, c’est mon boss, m’a appelé ce jour-là vers 14 h à la maison (où je travaille habituellement). Question : Sur quoi chroniques-tu demain? Réponse : Sur l’affaire Carroll-Johnson. Commentaire du boss : C’est ce que je pensais. On va sûrement te prendre en une. Et il raccroche. « On va te prendre en une », ça veut dire, sans le dire, bouge-toi le cul pour envoyer ton texte plus tôt que d’habitude. Ça veut dire aussi, force-toi le cul pour écrire un texte qui a de l’allure, c’est la vitrine du journal.

Notez deux choses. Mon boss n’avait aucune idée de ce que j’allais écrire. Et deuxième chose, moi non plus! À ce moment-là, je n’étais pas absolument certain de prendre la défense de Johnson … »

Vous pouvez croire Foglia si vous le voulez. Mais pouvez-vous imaginer un chroniqueur de La Presse parachuté à la une avec un article qui aurait défendu Jennifer Carrol? « On va te prendre en une », ça voulait plutôt dire : « Arrange-toi pour que ton article penche du côté voulu par les patrons ». Philippe Cantin voulait s’assurer que Foglia ferait du damage control et ce dernier a fait ce que Cantin voulait.

À noter que, le jour suivant la publication de l’article de Foglia, à l’émission de Radio-Canada C’est bien meilleur le matin, Marc Laurendeau reprenait les grandes lignes de cette chronique et René Homier-Roy approuvait avec la plus grande complaisance. On ne pouvait qu’admirer la performance de ces deux organes de Propagande Canada unissant leurs efforts pour la cause de la « National Unity ».

Bien sûr, il n’y pas une réunion quotidienne où le patron dit : « Toi, tu vas faire du damage control sur tel événement qui pourrait être dommageable pour l’unité nationale. Toi, ponds-moi un article sur ceci ou cela, que je mettrai en première page ». On serait tenté de croire que ça fonctionne comme ça quand on voit les chroniqueurs de La Presse se mettre en rang, chacun avec son bâton, pour en asséner un coup à un Yves Michaud, à un Norman Lester, Mais il n’en est rien. C’est plutôt un instinct sûr de ce que veulent les patrons qui les anime. Il s’agit d’une servilité d’un degré supérieur.

De l’utilité du cynisme

Le 12 avril 2005, Foglia nous parle du scandale des commandites. Il utilise la technique de damage control qui a été utilisée abondamment pour contrer le mauvais effet de ce scandale nauséabond : « les indépendantistes sont aussi mauvais ». C’est comme la fois où on a mis côte à côte, en première page, un article sur les malversations de Groupaction et un scandale inventé où on insinuait que Bernard Landry avait fait du lobbyisme louche. On a essayé de dire aussi que l’échec de la Gaspésia était au gouvernement Landry ce que les commandites étaient au gouvernement Chrétien. Argument farfelu à tous points de vue. Le cas de la Gaspésia n’avait rien à voir avec la propagande et il n’y avait pas de politique de favoritisme envers les petits amis qui voulaient s’enrichir frauduleusement de toutes les façons possibles. Mais ce qu’il faut savoir au sujet du damage control, c’est qu’il n’est pas nécessaire de s’en tenir à la vérité ni de se servir d’arguments bien intelligents. On dit quelque chose, n’importe quoi, pourvu que l’on sème le doute.

Donc, Foglia choisit d’alimenter le cynisme des citoyens : « … les partis politiques, tous les partis politiques, travaillent d’abord à leur réélection et ensuite, ensuite seulement au bien commun… les accommodements avec la loi électorale vont de soi, il me semble ».

Plus loin, il déclare (au sujet des commandites) : « Écoutez les indépendantistes : ils ne dénoncent pas le principe, mais ses dérapages. Je les sens parfaitement capables de commanditer le Québec auprès des Québécois avec l’argent des contribuables. N’est-ce pas ce qu’ils faisaient lorsqu’ils étaient au pouvoir? »

Deux faussetés en quelques lignes à peine. Il est faux de dire que les indépendantistes n’ont pas dénoncé le principe. Tous les chefs indépendantistes ont répété que, si pestilentiel qu’ait été le programme des commandites, l’idée d’un programme de propagande comme celui-là était encore bien plus grave. Et si les indépendantistes au pouvoir n’étaient pas blancs comme neige, ils n’ont jamais mis sur pied une telle campagne de propagande.

Foglia savait que Propagande Canada voulait faire naître et s’épanouir le cynisme dans la population envers tous les partis politiques, jugeant que c’était la meilleure stratégie de défense contre le risque que présentait l’écoeurement des Québécois devant ce qui éclatait au grand jour. Il réglait son pas sur ce tambour.

Il faut sauver le soldat Roux

En 1996, il y avait eu l’affaire Jean-Louis Roux qui avait fait  les manchettes et qui avait nécessité une opération de damage control. Roux était cette chose rare chez les artistes, un fervent fédéraliste. Jean Chrétien l’avait déjà récompensé de son zèle en le nommant sénateur en 1994. En 1996, il croyait faire jouer un rôle encore plus important au comédien en le nommant lieutenant-gouverneur du Québec. Le principal intéressé, excellent acteur, mais pas très futé, se voyait déjà en Louis XIV et promettait de contrer toute velléité d’indépendance de la part des Québécois. Mais il y eut un os. Il fut révélé que le nouveau représentant de la reine d’Angleterre avait porté l’insigne des nazis lorsqu’il était étudiant. Devant le concert de protestations qui s’éleva, il dut démissionner.

Il fallait faire quelque chose. La stratégie adoptée fut de dire qu’il ne fallait pas trop blâmer Roux, parce que c’était la société québécoise de l’époque tout entière qui affichait de tels sentiments. La Presse publia des articles de Jacques Hébert et de Gérard Pelletier dans ce sens.

Nathalie Petrowski voulut apporter sa contribution à l’opération de damage control décrétée par le journal. Dans sa chronique, elle rappela que, le 14 novembre 1965, « 900 amis se sont réunis pour témoigner leur estime et leur amitié à un chef (Adrien Arcand, leader nazi interné durant la Deuxième Guerre mondiale) … Neuf cents amis, en pleine révolution tranquille. Ça fait beaucoup de monde à la messe. »

Elle ajoutait : « Je n’ai aucune idée de qui étaient ces gens. Fédéralistes? Nationalistes? Mystère. »

Mme Pétrowski avait accès aux archives de La Presse. Elle aurait pu informer ses lecteurs de ce qui suit :

Ceux qui étaient réunis au Centre Paul-Sauvé ce soir-là étaient membres ou sympathisants du Parti de l’unité du Canada, dont Arcand avait été le chef.

Étaient présents à cette assemblée Jean Jodoin, candidat défait du Parti Progressiste Conservateur, et Gilles Caouette, fils de Réal Caouette, grand pourfendeur de « séparatisses ».

Étaient également présentes des délégations de Toronto, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse.

 M. Arcand a tenu à remercier M. Pierre Elliott Trudeau, nouveau député fédéral de Ville Mont-Royal, et M. George Drew, ancien chef du Parti Progressiste Conservateur, pour s’être portés à sa défense lors de son internement.

Il n’y avait aucun mystère. C’était une réunion de braves fédéralistes. Mais Mme Petrowski n’allait pas le dire. Cela aurait été contraire à la stratégie adoptée.

(Pour ceux qui se feraient du souci pour le bien-être de Jean-Louis Roux, sachez que Jean Chrétien a continué à prendre soin de lui. Il l’a nommé président du Conseil des Arts du Canada en 1998.)

Il faut dégrader le soldat Levine

En 1998, le Dr David Levine avait été nommé directeur général de l’Hôpital d’Ottawa. Cela avait déclenché une hystérie sans pareille dans la capitale fédérale et chez tous les extrémistes du Canada anglais. Imaginez-vous, Levine avait été candidat du Parti Québécois 16 ans plus tôt!

Il était difficile de passer l’événement sous silence. Levine était traité de traître dans certains journaux. Par exemple,  John Robson, éditorialiste en chef du Ottawa Citizen, écrivait : « Si les Canadiens anglais sont enfin suffisamment fâchés contre les séparatistes qu’ils commencent à les dénoncer bruyamment… c’est non seulement compréhensible, mais justifié… Si vous étiez candidat pour les nazis en 1979, si vous ne les avez jamais répudiés et que vous ne dites pas que vous en êtes un aujourd’hui, c’est que vous en êtes un ».2 Le premier ministre de l’Ontario blâmait le conseil d’administration d’avoir nommé un ex-candidat du PQ à ce poste. Ce conseil d’administration avait tenu des réunions publiques, où des extrémistes fédéralistes avaient pu s’exprimer à leur goût, et ces réunions avaient été montrées à la télévision. Je me souviens en particulier d’un francophone qui écumait : « J’les haïïïs, les maudits séparatistes! »  On comprenait que ce fonctionnaire fédéral devait son poste à sa servilité, plutôt qu’à sa compétence. J’admirais par ailleurs cette dame anglophone qui avait le courage, dans cette assemblée hostile, de condamner cette honteuse chasse aux sorcières.

Au Québec, Stéphane Dion avait déclaré qu’il « comprenait » les manifestants.2

Évidemment, il n’est pas possible de passer sous silence un tel événement. Alors, c’est Lysiane Gagnon qui se porte volontaire pour faire du damage control. Elle y consacre trois chroniques, les 23, 26 et 28 mai 1998. Dans sa première chronique, toute la panoplie de la parfaite petite propagandiste y passe :
  • Bien qu’elle n’excuse pas la manière violente des manifestants, elle dit que leurs sentiments sont compréhensibles.
  • Elle sert à ses lecteurs la vieille scie que les manifestations anti-québécoises font l’affaire des souverainistes. On utilise toujours cette tactique chaque fois que des extrémistes fédéralistes font preuve d’intolérance.
  • Elle fait de l’ironie : « La SSJB était à la veille d’élever une statue au nouveau martyre d’Ottawa ».
  • Elle se demande perfidement « … Pourquoi le Québec l’a laissé partir ». Comme si le Québec devait et pouvait retenir un citoyen de force!
  • Elle fait une comparaison avec Raymond Villeneuve, comme si cet ex-felquiste se comparait à tous ces manifestants, aux éditorialistes, au premier ministre de l’Ontario!
  • Elle affirme que le premier ministre Jacques Parizeau avait « remercié » un grand nombre de hauts fonctionnaires parce qu’ils n’étaient pas assez souverainistes, mais sans citer aucun cas. Elle pense peut-être à Claude Dauphin, dont le mandat comme délégué du Québec à Boston n’avait pas été renouvelé. Dauphin avait été président d’Option Canada, cet organisme créé par le gouvernement fédéral pour dépenser illégalement des millions de dollars de propagande au Québec lors du référendum de 1995.
Dan sa chronique du 26 mai, elle revient avec la question stupide : « Si David Levine était si compétent comme administrateur hospitalier, pourquoi le Québec l’a-t-il laissé partir? »  Si le Québec lui avait offert un poste, Gagnon aurait pu crier au favoritisme. Il y a toujours quelque chose qu’on peut critiquer quand on s’en donne la peine. On se demande aussi en quoi cela peut bien excuser l’extrémisme des opposants à la nomination de Levine à l’Hôpital d’Ottawa.

Dans sa dernière chronique (28 mai), elle pose la question : « Et si David Levine … n’était même plus souverainiste? … d’après un de ses amis, David Levine serait (à l’instar d’ailleurs de nombreux Québécois) un péquiste déçu qui ne croirait plus à la souveraineté ». Une invention pure et simple, soit de Mme Gagnon, soit de cet ami de M. Levine, car ce dernier s’est présenté comme candidat du PQ dans une élection partielle dans Berthier en 2003.

Ce qu’il faut retenir, encore une fois, c’est qu’en matière de damage control (en fait en matière de propagande fédéraliste), il n’est pas nécessaire de s’en tenir aux faits. Tout ce qu’on peut inventer fera l’affaire.

Dzigode Cheunous

En 2002, La Presse ne peut ignorer le scandale des commandites. Le journal publie les nouvelles et les éditorialistes et chroniqueurs condamnent les agissements. Mais l’équipe éditoriale livre quand même encore un combat d’arrière-garde. Le 2 mai 2002, elle publie un long article de mon homonyme Claude Boulay, président du Groupe Everest, où il est question de « fausses allégations » de « fausses conclusions » de « vision réductrice ». Citons le dernier paragraphe : « Les mandats, tant publics que privés, obtenus par notre agence l’ont toujours été dans le respect des règles édictées, tout comme ils sont exécutés et administrés avec rigueur. Notre feuille de route est impeccable à cet égard. » (Malgré toute la rigueur et la performance impeccable du Groupe Everest, on peut lire sur un site de Travaux publics et Services gouvernementaux du Canada :

« Juin 2007

Le gouvernement du Canada conclut un règlement extrajudiciaire avec six défendeurs, Claude Boulay et Groupe Everest (le Groupe Everest englobe les sociétés suivantes : Sensas (G.E.C.M.) Inc., Everest Estrie Publicité (G.E.C.M.) Inc., Everest Commandites (G.E.C.M.) Inc., Everest Publicité Promotions (G.E.C.M.) Inc. et Gestion Opérations Tibet Inc., ce qui permet de recouvrer un montant de 1 million de dollars en fonds de commandites. »

Le 1er juin 2002, La Presse publie un article d’une page complète « Claude Boulay, Portrait d’un homme d’images, grand patron du Groupe Everest ». Mon homonyme y est présenté comme « un acteur compétent du monde de la pub). On cherche à créer une image sympathique : « Il reçoit tout le temps. Claude invite et les gens viennent. Sa porte est toujours ouverte Il a déjà hébergé sa belle-mère et son neveu ». Aucune mention des 77 000 $ de contributions versées à la caisse des libéraux fédéraux.

On décrit la famille dont il est issu : « Les Boulay abattaient beaucoup de boulot et vivaient modestement ». Lors de ses années d’étude, « Claude avait déjà de grandes qualités de leader ». « Claude Boulay est un homme qui a réussi ». Bref, on utilise encore la bonne vieille recette du « ti-gars qui a réussi », comme si une humble origine justifiait d’avoir recours à n’importe quels moyens pour faire fortune. On l’a utilisée tellement souvent pour essayer de faire passer Jean Chrétien au Québec! La tactique du « Dzigode Jeuwinigane » a eu des succès mitigés, mais n’empêche que l’Université du Québec à Trois-Rivières a décerné un doctorat honorifique à Jean Chrétien.

Le même jour où l’article sur Claude-Boulay-président-du-Groupe-Everest paraissait dans La Presse, sous la plume d’Hugo Dumas, un autre article, de Jean-Denis Bellavance cette fois, était consacré à Don Boudrias, ministre de Jean Chrétien qui avait été obligé de démissionner pour avoir fréquenté d’un peu  trop près le président du Groupe Everest. Dans cet article, on admet des « erreurs de jugement », sans mentionner que Boudrias a continué à octroyer des contrats à Groupaction, même si cette entreprise faisait l’objet d’une enquête policière. On parle aussi  de l’enfance difficile de l’ex-ministre : « Il a été contraint de quitter l’école… en raison du décès de son père en 1966. Il devait subvenir aux besoins de l’ensemble de la famille… bourreau de travail…  gravi patiemment les échelons…Le simple fait de voir une affiche d’un candidat conservateur dans sa circonscription l’a convaincu qu’un jour il répondrait à l’appel de servir ses concitoyens ». Le journaliste « objectif » y va de sa petite prédiction consolatrice : « …son châtiment ne sera pas permanent ».

On jurerait que Jean-Denis Bellavance a simplement demandé à Don Boudrias d’écrire une petite autobiographie et qu’il la publiée avec bien peu de retouches.

N’allez pas croire que Dumas et Bellavance étaient en service commandé par leurs patrons. Jamais de la vie! Ils se sont réveillés, le même jour, avec le désir irrépressible d’écrire, comme ça, chacun un article de damage control sur des acteurs du scandale de commandites.

Petit couplet d’André Pratte sur le Programme des commandites : « Il n’existe pas de preuves, ni même d’indices solides, selon lesquels l’abus de fonds publics et le financement clandestin ont été autorisés par des élus ni même connus par eux ». 4

NOTES DU CHAPITRE 6

  1.  Normand Lester, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, Montréal, 2001.
  2. The Ottawa Citizen, 21 mai 1998.
  3. La Presse, 16 mai 1998.
  4. La Presse, 13 avril 2005.







­Chapitre 7

 

Un amour indéfectible

 

Des amis si sincères !

Ah qu’on nous aimait à la veille du référendum de 1995! Tellement qu’Option Canada a dû dépenser un demi-million de dollars en billets d’avion et d’autobus pour permettre à des milliers de personnes de venir à Montréal témoigner leur amour au Québec! Ça, c’est de l’amour, mes amis!

Mais au lendemain du référendum, ce n’était plus du tout la même chose. Les Québécois avaient été trop nombreux à demander la liberté pour leur nation. Les meneurs d’opinions du Canada anglais ont décidé d’augmenter d’un cran l’intensité de leur propagande contre le Québec. Voici un petit échantillonnage de ce qu’ils ont produit :

Trevor Lautens, The Vancouver Sun :

« Il faut se poser la question objective : Les Canadiens auraient-ils réussi à créer une meilleure union si on avait répandu du sang? » 1

On pourrait répondre à M. Lautens que, du sang, il y en a eu de répandu. Douze Patriotes exécutés en 1839, Louis Riel et huit autres Métis pendus en 1885. Mais sans doute le vaillant défenseur du Canada uni veut-il dire qu’il n’y en a pas eu assez.

Diane Francis, The Financial Post :

« Ils complotent et combinent et rêvent de créer un état ethnocentrique francophone… Ils irritent les Canadiens anglais… En un mot, ils sont méprisables ». 2

J.P. Bryan, président de Gulf Canada Resources :

« Les Canadiens doivent dire d’une même voix (aux Québécois) : Non, vous ne partez pas… Si un petit groupe d’entre vous souhaite retourner en France, nous allons vous trouver un bateau. Et si vous voulez avoir à vous un petit bout de ce pays, on vous découpera une part de 10 000 ou 1000 miles carrés… à chaque fois que je prends une boîte de céréales, je dois la tourner pour trouver l’anglais. On voit ici des panneaux en français alors que bien peu de personnes parlent français dans le coin. Je pense que nous avons fait des efforts considérables pour les satisfaire ». 3

Jan Wong, The Globe and Mail, commentant les tueries de l’École Polytechnique, de l’Université Concordia et du Collège Dawson :

« Ailleurs, il serait répugnant de parler de pureté de la race. Pas au Québec… tous les trois meurtriers (Lépine, Fabrikant et Gill) avaient été marginalisés par une société qui valorise davantage les pures laines ». 4

Il faut tout utiliser, tout, les drames comme les faits divers, dans la propagande contre le Québec.

Barbara Amiel, MacLean’s :

« La culture francophone en elle-même n’est pas aussi intrinsèquement démocratique que les cultures basées sur les traditions britanniques ». 5

Peter Worthington, The Ottawa Sun :

« Bouchard était une voix passionnée, un politicien capable et intelligent et un homme affable, si on oublie certaines caractéristiques que l’on avait également attribuées à Staline, Hitler, Mao Tsé-Toung et Idi Amin…Il a commis la trahison ultime lorsqu’il a quitté la politique fédérale pour se joindre aux séparatistes québécois qui cherchent à détruire le Canada ». 6

Diane Francis dans son livre Fighting for Canada :

« Le séparatisme n’est pas une lutte pour l’auto-détermination. C’est une conspiration raciale qui a piétiné les droits humains… Les séparatistes ont arraché leurs droits aux anglophones. Ils ont adopté des lois qui légalisent la discrimination dans les domaines de l’emploi et de l’éducation ». 7

Linda Williamson, dans The Toronto Sun, a fait un rapprochement entre la fin de Saddam Hussein en Irak et « la chute soudaine et inévitable du régime séparatiste (victoire de Jean Charest en 2003)… dont les menaces effroyables ont terrorisé les Canadiens depuis 30 ans ». 8

David Stonehouse, The Ottawa Citizen :

« Le taux de suicide au Québec est attribué aux tensions séparatistes dans un livre récemment paru ». 9


Quand on vous dit qu’il faut tout mettre à contribution contre l’indépendance du Québec!

John Robson, The Ottawa Citizen :

« De ce côté-ci de la rivière des Outaouais, un libéral, un conservateur ou un néo-démocrate défendent des options politiques. Pas les séparatistes, qui veulent détruire notre patrie… Cela nous rend fous. Et c’est ainsi que les choses doivent se passer ». 10

C’est de cette façon qu’ils se fouettent pour demeurer hystériques : « Les séparatistes veulent détruire notre patrie! » Pourtant, quand le Canada a voulu obtenir son indépendance de l’Angleterre, il n’y a pas eu de déferlement de propagande vociférant que les Canadiens voulaient détruire la mère patrie. Il n’y a pas eu un politicien pour prêcher qu’il fallait « dépenser des sommes énormes » pour empêcher ça, pour aller déclamer au Congrès américain que l’indépendance du Canada serait « un crime contre l’histoire de l’humanité ». L’Angleterre a calmement accompagné le Canada vers son indépendance. Il en fut de même pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Il est vrai que c’étaient des pays anglophones, donc « plus intrinsèquement démocratiques » que le Québec. Par définition.

Éditorial de The Ottawa Sun, suite au déluge au Saguenay en juillet 1997 :

« Peut-être est-ce la manière divine de forcer le bastion séparatiste du Saguenay à réaliser que, sans le reste du Canada dans le paysage, il ne bénéficiera d’aucun radeau de sauvetage la prochaine fois que les vannes s’ouvriront ». 11

Voilà qu’on enrôle le ciel dans la propagande maintenant!

Dans un agenda produit par la Students’ Society of McGill University et distribué gratuitement à 4 000 étudiants en 2000, on décrivait les Québécoises comme des putes : « Et puis il m’a parlé de ces putains francophones en chaleur qui adorent les Américains… » Et aussi : « J’ai essayé d’approcher une de ces putes francophones pour qu’elle me baise à son appartement, mais je ne crois pas qu’elle ait compris un seul mot de ce que j’ai dit. Apprenez à parler américain, bande de Canadiens stupides! » 12

Et ils s’étonneront ensuite, ces étudiants de McGill, que les demandes de contribution à mon alma mater qu’ils me font chaque année ne reçoivent pas une réponse enthousiaste!


James McPherson, Saturday Night :

« Le Québécois aime se décrire comme « convivial» et il glorifie la « survivance» de la société francophone en tant que société « homogène et cohérente ». Cela correspond exactement à la définition du nationalisme ethnique… Au contraire, les Canadiens anglais adhèrent à des valeurs comme l’égalité des individus et glorifient les libertés civiles ainsi que l’individualisme libéral classique des cultures anglo-saxonnes ». 13

Faut-il que la survivance de la société francophone agace les fanatiques du Canada anglais pour qu’ils prétendent que ce désir de survivance correspond à du nationalisme ethnique! Et il y a toujours cette prétention à une supériorité de la culture anglo-saxonne, nous rappelant que rien n’a changé depuis Durham.

 Les vertueux défenseurs de la Canadian Unity adorent s’attaquer aux lois québécoises pour la protection de la langue française. Il serait utile de leur rappeler que le Canada constitue lui-même une « loi linguistique », si l’on se base sur les principes qui ont mené à sa création et aux applications qui en ont découlé.

Le Rapport Durham énonçait : « Le premier objectif du plan quelconque qui sera adopté pour le gouvernement du Bas-Canada devrait être d’en faire une province anglaise; et à cet effet, que la suprématie ne soit jamais placée dans d’autres mains que celle des Anglais. La tranquillité ne peut revenir, je crois, qu’à la condition de soumettre la province au régime vigoureux d’une majorité anglaise; et le seul gouvernement efficace serait celui d’une union législative. Si l’on estime exactement la population du Haut-Canada à 400 000 âmes, les Anglais du Bas-Canada à 150 000 et les Français à 450 000, l’union des deux provinces ne donnerait pas seulement une majorité nettement anglaise, mais une majorité accrue annuellement par une immigration anglaise; et je ne doute guère que les Français abandonneraient leurs vaines espérances de nationalité ».14

Les propagandistes du temps tapaient sur le même clou : « Mettez en pratique le principe des partisans de l’union des Canada et, si le Haut-Canada ne peut seul donner une majorité vraiment britannique, ajoutez une nouvelle somme de sang et de sentiment britanniques, que vous trouverez en masses solides dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Je tâcherai toujours de rallier les gens à la cause d’une confédération générale ». 15

« Pour angliciser les Québécois, le processus doit commencer à la Législature; et si tout est mis en œuvre sous l’autorité du Parlement impérial, nous sommes assurés que, nonobstant les préjugés nationaux profondément enracinés du Canada français, ils se rendront compte qu’il est dans leur intérêt de se soumettre graduellement au sort qui les attend ». 16

A-t-on jamais imaginé lois linguistiques plus explicites que celle-là?

Les modifications constitutionnelles de 1867 et de 1982 n’ont pas dévié du principe de base, de maintenir le Québec  assujetti à une majorité « nettement anglaise ». Quand Stephen Harper reconnaît que le Québec constitue une nation, il lie cette reconnaissance à une condition : « dans un Canada uni », pour respecter ce principe.

Un psychiatre sans camisole de force

En 1996, le député libéral et ancien éditeur du Financial Post, John Godfrey, demande à un ami, le psychiatre Vivian Rakoff, de tracer un profil psychologique de Lucien Bouchard. On devine que ce n’est pas pour créer un portrait flatteur. Rakoff, sans jamais avoir rencontré Bouchard, se met au travail. Il affirme, entre autres, que le premier ministre souffre de «narcissisme aigu » et de troubles caractériels esthétiques », qu’il est « mégalomane » et « paranoïaque ». En plus de remettre ce précieux rapport à son chef Jean Chrétien, Godfrey le transmet à Lawrence Martin, qui l’utilisera abondamment dans son ouvrage publié en 1997, The Antagonist : Lucien Bouchard and the Politics of Delusion, dans lequel il qualifie Bouchard de « Lucifer of our land ».

La plupart des journaux du Canada anglais firent abondamment écho au texte du psychiatre. Par exemple, le Sunday Province de Vancouver titrait « Cet homme est-il fou ? »

Rakoff s’est écrié : « Ceci a atteint des proportions démesurées. Je suis un psychiatre, mais je n’ai pas écrit cela en tant que psychiatre! » 17

Protestation hypocrite. Si Godfrey l’avait choisi pour tracer ce « profil psychologique », c’était parce qu’il était psychiatre, et Rakoff le savait très bien. Autrement, Godfrey et Lawrence auraient pu le rédiger eux-mêmes. Mais ils voulaient donner à ce rapport une crédibilité qu’i l ne méritait pas.

On pourrait continuer indéfiniment avec des citations anti-québécoises et antisouverainistes chez les meneurs d’opinion du Canada anglais. Patrick Bourgeois a écrit tout un livre sur le sujet, Quebec Bashing, Morceaux d’anthologie18. J’ai relevé dans cet ouvrage les noms de 40 personnes qui pratiquent le métier de propagandiste et j’ai dû en manquer un grand nombre.

Une radio-poubelle

Patrick Bourgeois ne semble pas avoir connu l’ineffable poste radiophonique de Montréal, CIQC, qui sévissait dans les années qui ont suivi le référendum de 1995. Je voyageais beaucoup pour mon travail à l’époque et j’écoutais la radio en conduisant. Je suis tombé par hasard sur ce poste fascinant. Le matin, c’était des animateurs de lignes ouvertes en succession, une pétarade continuelle de propagande antiquébécoise. Les  animateurs étaient Howard Galganov, Gord Logan, Jim Duff et parfois Gordon Atkinson. De retour à la maison, je notais certains échanges que j’avais entendus. Voici un petit florilège de ce qui se disait 19:

18 octobre 1997. Galganov discute avec Stephen Scott, professeur à l’Université McGill. Ce dernier s’indigne : « Il y a des députés libéraux, élus dans des circonscriptions anglaises, qui ont voté pour une résolution en faveur du droit du Québec à l’autodétermination! Ils doivent être tombés sur la tête! Et Galganov de faire chorus : « Dans des circonscriptions anglaises! Pouvez-vous le croire! (Would you believe it ! Would you believe it !) »

Ce sont ces mêmes propagandistes qui clament sur tous les toits que le nationalisme québécois est « ethnocentrique ».

21 octobre 1997. Galganov : « La démocratie au Québec est une contradiction de termes» (an oxymoron).

24 octobre 1997. Un auditeur de Gord Logan termine son intervention en lançant : « Adios amigos ». Logan d’enchaîner : « Félicitations d’avoir appris cette langue plutôt que l’autre.»

14 novembre 1997. Mme Monique Nemni, directrice de la revue Cité libre,  vient souvent minauder avec Howard Galganov. Ce jour-là, elle se plaint, à celui qu’elle appelle affectueusement « Howard», que le mot « Québec » est écrit trop souvent sur le permis de conduire.

21 novembre 1993. Gord Logan pose la question suivante à ses auditeurs, question de les réchauffer et de les orienter dans la direction voulue : « Devrait-on rendre obligatoire d’arborer le drapeau canadien? »

27 novembre 1997. Galganov applaudit à une caricature du Globe and Mail qui montre les dirigeants québécois en uniformes nazis. Le prétexte pour cette caricature? La loi interdisant de changer la couleur de la margarine.

5 mars 1998. Gord Logan reçoit un certain professeur Armstrong. Il traite Lucien Bouchard, Bernard Landry, Gilles Duceppe et tous les souverainistes de singes. Puis il présente l’argument que les nationalistes québécois sont « fascistes » parce qu’ils démonisent les Anglais.

9 juin 1998. Gord Logan : « Le Québec est 30 ans en arrière du reste du Canada en ce qui concerne le respect de la liberté. »

11 septembre 1998. Jim Duff pose la question à ses auditeurs : « Croyez-vous que les petits Canadiens français apprennent le racisme à l’école comme les nôtres apprennent l’arithmétique et la grammaire? »

Ce ne sont là que quelques-unes des perles entendues à ces émissions. Si on les avait toutes enregistrées, on pourrait publier un sottisier de l’épaisseur d’un dictionnaire. Et il ne faut pas croire que les participants à cette radio-poubelle étaient tous des Canadiens anglais. On entendait toutes sortes d’accents, dont un bon nombre d’accents français, et des commerces francophones figuraient parmi les commanditaires. D'ailleurs, Jean Charest a aimablement accordé une entrevue à Jim Duff juste avant de quitter le Parti conservateur fédéral pour devenir chef du PLQ. Le 20 novembre 1997, Mario Dumont était reçu par Howard Galganov. Il est vrai que Dumont tenait tête à Galganov sur la question des fusions municipales, mais pour casser du sucre sur le dos du gouvernement péquiste, les deux s’entendaient comme larrons en foire. Quelques jours plus tard, c’était le député libéral Pierre Marsan qui s’acoquinait avec Galganov.

N’oublions pas non plus les lettres de lecteurs dans les journaux anglophones. Comme si leurs textes de haine contre les Québécois n’étaient pas suffisants, les propagandistes du Canada anglais n’hésitent pas à publier les textes les plus grossiers qui leur sont adressés. En voici un petit échantillonnage :

« Bouchard a donné sa démission et c’est un autre séparatiste lunatique qui va se charger de cette maison de fous qu’est le Québec ». 20

« Ce qui est incroyable, c’est que Bouchard et ses complices n’ont jamais été accusés de trahison ». 21

« Le Canada devrait reconnaître d’autres groupes ethniques dont les ancêtres, comme les Britanniques, ont apporté une bien plus grande contribution que celle des Canadiens français au développement de ce pays ». 22

Si la propagande anti-québécoise s’est intensifiée après le référendum de 1995, il ne faut pas croire qu’elle ne sévissait pas avant. En voici quelques petits exemples :

Peter Stockland, The Toronto Sun : « Entendre parler de culture québécoise donnerait envie à Herman Goering de sortir son pistolet ». 23

Jim Karygiannis, député libéral fédéral : « Le Québec me laisse un mauvais goût dans la bouche. Selon moi, prenez ces bâtards et jetez-les dans l’océan ». 24

Philip Resnick, professeur à l’Université de Colombie-Britannique, ulcéré parce que les Québécois avaient voté pour le libre-échange aux élections fédérales, se soulageait en 1990 : « Je suis tenté de donner libre cours à ma colère devant votre ignorance délibérée de nos sentiments les plus profonds à l’endroit du libre-échange, devant votre égoïsme effréné à propos du Lac Meach… Votre attitude envers notre identité nationale témoigne d’un égoïsme sans bornes à la limite du mépris…Le cynisme pour tout ce qui touche nos intérêts ne peut qu’engendrer une hostilité passionnée en retour… Il est difficile, après les avoir réveillés, d’apaiser de tels sentiments. » Resnick multiplie également les comparaisons aimables avec le marxisme-léninisme, le nazisme, le maccarthyisme. 25

À la veille du référendum de 1995, Mike Harcourt, premier ministre de la Colombie-Britannique, menaçait le Québec de violence s’il votait pour la souveraineté : « Nous serons vos pires ennemis, et vous allez souffrir, et pas seulement économiquement ». 26

Pourquoi ce torrent de haine anti-québécoise dans les médias anglophones ? Un premier objectif est d’empêcher une victoire du Oui lors de tout référendum sur la souveraineté du Québec. Il y a vingt pour cent de la population du Québec (pas tous des anglophones, comme on l’a vu) qui est exposée à ces médias. Si on peut verrouiller ces vingt pour cent en faveur du Non, il faudra que le Oui aille chercher 62,5 % des autres électeurs. Un deuxième objectif est de monter les Canadiens anglais contre les Québécois, pour qu’ils n’acceptent jamais une demande venant du Québec.

Des mamours aux propagandistes anglophones de la part de Gesca

C’est aux fonctionnaires francophones de Propagande Canada de s’occuper de cette partie de l’électorat qui n’est pas exposée aux médias anglophones. Ils ont bien compris leur rôle face à la campagne anti-québécoise qui déferle dans les médias anglophones : cacher la chose autant que possible, sinon elle devient contre-productive. On ne lira donc jamais, dans La Presse par exemple, qu’il y a une campagne de salissage contre le Québec. Et si cette campagne devient tellement stridente à l’occasion qu’elle provoque des réactions au Québec, se livrer immédiatement à des opérations de damage control. Voici quelques exemples de telles opérations :

En 1994, le gouvernement fédéral avait choisi Montréal pour recevoir une petite agence environnementale de l’ALENA. Un journaliste du Toronto Star s’était indigné et décrivait Montréal comme « une île au milieu d’un égout.» Alain Dubuc répond dans La Presse : « C’est de bonne guerre. » L’éditorialiste du Star écrit « Montréal…rejette ses égouts non traités dans le St-Laurent. » Dubuc répond : « Vous exagérez, mais ça se comprend. »27 Ici, c’est plus que du damage control, c’est de l’encouragement.

En 1994 toujours, La Presse publiait complaisamment des articles de M. John Honderich, éditeur du Toronto Star. Le 26 novembre de dette année-là, suite à une visite de Jacques Parizeau à Toronto, Honderich répondait à M. Parizeau, qui se disait affligé de ce que les Québécois soient devenus la seule minorité nord-américaine qu’on dénigre ouvertement : « Dénigre ouvertement? Personnes intolérantes? Où a-t-il pris ça? Mon portrait de l’Ontario est fort différent… On a souvent attaqué le Québec au cours des dernières années, je l’admets. Mais en s’en prenant à ses politiques, pas ses citoyens. » Je n’avais pu m’empêcher de répliquer par une lettre au journal. La voici :

M. John Honderich,

M. Jacques Parizeau en a appelé aux meilleurs sentiments des Canadiens anglais pour que cesse la campagne de dénigrement contre les Québécois qui sévit chez vous. Vous vous indignez, vous clamez que M. Parizeau joue un jeu dangereux, vous protestez que vos concitoyens ne s’en prennent jamais  aux Québécois.

M. Honderich, vous souvenez-vous de la crise d’Oka? Les journaux du Canada anglais ne trouvaient pas d’épithètes assez dures pour décrire les Québécois. Nous étions comparés aux racistes du Deep South à l’époque des batailles pour la déségrégation. Cent tartufes sentencieux répandirent des larmes de crocodile sur toute une page du Globe and Mail.

Quand un fonctionnaire fédéral troubla un peu l’harmonie de ce concert anti-québécois, en disant que le Warriors étaient des criminels, une de vos journalistes lui prédit un mauvais sort : « Si jamais quelqu’un le propose pour une promotion, tout ce dont on se souviendra à son sujet sera qu’il fut celui qui fit les manchettes en déclarant que la Société des Warriors était une organisation criminelle. »

Et vous souvenez-vous quand Mordecai Richler publia un article dans The New Yorker en septembre 1991, puis son livre Oh Canada! Oh Quebec ! au début de 1992? Cet article et ce livre utilisaient toutes les richesses de la propagande, de la sélection des faits à la fabrication pure et simple, pour décrire les Québécois comme antisémites, racistes, intolérants, malhonnêtes et cupides en politique. L’écriture était du niveau du plus médiocre élève du secondaire, mais était relevée de quelques petites perles, comme celle qui associait à des truies les Québécoises d’autrefois, mères de familles nombreuses, ou celle où il prétendait que nos ancêtres maternelles étaient « des putains importées en Nouvelle-France pour satisfaire les appétits de soldats pour la plupart illettrés. »

L’accueil à l’article et au livre au Canada anglais fut dithyrambique :

« Richler écrit avec une réelle puissance au sujet du Québec. » (Calgary Herald ).

« C’est une exubérante satire sociale. » (Ramsay Cook dans The Gazette).

«  Les qualités de Richler sont nombreuses. Il écrit avec éclat : il est spirituel… Il a toujours été un excellent journaliste et ce livre met au jour son talent. Tout le désigne à notre attention : sa prose bondit de tous côtés et c’est en authentique écrivain qu’il se mêle de la vie politique. » (The Toronto Star).

« Je recommande la lecture de ce livre. C’est un vrai cordial. » (The Vancouver Sun).

Le Windsor Press Club a décerné son prix Quill 1992 à Richler, qualifiant l’article de « courageux, controversé, délibérément provocant, glacial et désopilant. »

Cet auteur a maintenant sa chronique régulière dans Saturday Night. Dernièrement, il prédisait que les enfants de familles à revenus modestes, dans un Québec indépendant, seraient élevés dans des enclos, comme des porcelets. Comme quoi il est remarquablement constant dans ses métaphores!

Un journaliste de chez vous, Ron Graham, voyant le succès remporté par Richler, a voulu l’imiter. Son livre, The French Quarter, est d’un ton différent, mais certaines tactiques sont fidèlement calquées, comme la manœuvre sournoise pour salir la mémoire de René Lévesque.

Vos journaux, M. Honderich, pratiquent comme Richler la propagande par la sélection des faits :

  • En février 1991, la Ligue des droits de la personne du B’nai B’rith publiait des statistiques montrant que le Québec était moins souvent le théâtre de gestes de haine contre les Juifs. Avez-vous publié cette nouvelle? Non.
  • En octobre 1991, suite à la parution de l’article dans le New Yorker, deux représentants du B’nai B’rith  faisaient de nouveau ressortir ces statistiques dans Le Devoir. Y avez-vous fait écho? Non.
  • Le 27 mars 1992, La Presse publiait un article montrant, à partir de données fournies par le gouvernement fédéral, que les Autochtones étaient mieux traités au Québec que dans le reste du pays. Avez-vous publié cette nouvelle? Non.
  • Le 16 septembre 1992, La Presse et Le Devoir révélaient les résultats d’une étude faite pour le Ministère fédéral de l’Immigration par Ekos Research Associates et Anderson Strategic Research . Cette étude montrait que les Montréalais étaient beaucoup plus accueillants envers les étrangers que les citoyens de Toronto et Vancouver. Avez-vous publié cette nouvelle? Non.

Pendant ce temps, vous ne vous privez pas des manchettes propres à attiser le ressentiment contre le Québec :
  • Quebec Gets Lion’s Share of Money (The Calgary Herald).
  • As Quebecers Draw Increasingly Inwards (The Vancouver Sun).
  • Racism on Rise, Quebec Report Says (Plusieurs journaux).
La grande roue de la propagande étant en marche, elle s’autoalimente par les lettres aux journaux. Par exemple, à l’occasion du référendum de 1992, un lecteur écrivait au Globe and Mail : « Accepter le Québec, c’est comme embrasser sa belle-mère.» Qu’un lecteur lance cette boutade, ce n’est qu’amusant. Qu’un journal publie la lettre, c’est déjà plus inquiétant. Que ce journal imprime la phrase en exergue, tout en haut de la dernière page de son cahier A, c’est de la méchanceté calculée.

J’ai lu aussi une lettre où l’on proposait d’imposer un péage aux Québécois sur les routes canadiennes « pour payer la dette fédérale.» Une autre où l’on proclamait que le Québec méritait une fessée.

On pourrait continuer à l’infini.

M. Honderich, au lieu de vous plaindre parce que M. Parizeau dénonce l’intolérance chez vous, cherchez donc, voir, s’il n’aurait pas raison.

Comment expliquer que La Presse publie les protestations d’innocence de l’éditeur du Star, mais refuse de publier la réplique, sinon par le désir de cacher la vérité aux Québécois?

Le 30 août 1997, en marge de l’Affaire Rakoff, Alain Dubuc écrivait dans La Presse : « Comme toute tempête dans un verre d’eau, le débat sur le profil psychiatrique de Lucien Bouchard mourra de sa belle mort… Vivian Rakoff, l’auteur du piteux profil psychologique de Lucien Bouchard a, dans une conférence sur l’unité canadienne, proposé une grille qui décrit de façon fort révélatrice (le souligné est de moi) la société québécoise comme le produit de l’irrationalité, alimentée par une mythologie sombre et par la force de la déraison. » Il poursuit en mettant en parallèle le nationalisme québécois et le nationalisme canadien, puis compare « la façon dont certains médias anglophones, comme le Ottawa Citizen, se sont déchaînés à partir d’une pseudoanalyse de Lucien Bouchard, ou le délire paranoïaque avec lequel Le Devoir a répliqué.»

Quel fut ce « délire paranoïaque» ? Voici un extrait de l’éditorial de Lise Bissonnette qu’Alain Dubuc condamne :

La semence de la colère

Avant, pendant et après le référendum de 1995, l’arme préférée de ceux qui manquaient d’idées pour combattre le mouvement souverainiste était de l’identifier au nationalisme « ethnique». Xénophobie, antisémitisme, racisme, fascisme, tout y aura passé. C’était un peu grossier. Des attaquants plus subtils prennent désormais la relève, avec des armes quasiment imparables, recyclées du vieux fonds colonial. Ce ne sont plus les opinions qu’on déforme et travestit, ce sont les êtres qu’on décrète moralement inférieurs. Ils sont fous, ces souverainistes, ou ils sont corrompus.

Ce qui est le plus révélateur, dans l’affaire du « profil» du premier ministre réalisé à son insu par un psychiatre en dérive partisane, ce n’est pas son contenu, arrangé comme la science humaine peut l’être quand elle se laisse aveugler. C’est sa large diffusion, si bien orchestrée malgré le fallacieux embarras qui semble régner dans les cercles libéraux fédéraux. Cette diffusion a été voulue depuis le début, il faudrait être de la dernière naïveté pour ne pas le comprendre.

John Godfrey, le député de Toronto qui a commandé ce diagnostic à un professionnel auréolé, n’est pas un obscur occupant d’arrière-banc. Descendant d’une des grandes familles de l’establishment canadien, docteur en philosophie, professeur et journaliste, M. Godfrey fut, avant de laisser les rênes à plus déchaîné que lui en la personne de Diane Francis, le combatif rédacteur en chef du Financial Post. Le « profil» de M. Bouchard, il ne l’a pas requis pour son information personnelle, mais pour le faire circuler. D’abord en l’utilisant en conférence publique. Puis en le faisant parvenir au bureau du premier ministre, où les proches conseillers de M. Chrétien l’ont lu et n’ont rien fait pour se dissocier de la basse manœuvre ou pour tenter d’en stopper le progrès. Au contraire, le document a fait une si intéressante carrière qu’il s’est retrouvé parmi les matériaux de Lawrence Martin, auteur et certes ami de la maison, puisqu’il a écrit une biographie de M. Chrétien, The will to win, publiée en 1995.

M. Martin a inclus ce « profil», comme l’on sait, dans une « biographie » de M. Bouchard, qui s’annonce aussi malveillante que son essai publié en 1993, Pledge of Allegiance, The Americanisation of Canada in the Mulroney Years, où l’ancien premier ministre conservateur était haché menu. Nous savons donc dans quel cercle politico-journalistique nous sommes. Une fois la publication garantie, il ne restait plus qu’à organiser le meilleur battage possible. Pendant des semaines, sur la foi d’informations « privilégiées » qui fuyaient de partout, les magazines et quotidiens du Canada anglais se sont arraché la primeur et les extraits. Quand un peu tout le monde les a publiées en même temps, le mal était fait. Le fameux psychiatre a beau se morfondre, décrier son propre travail en le reconnaissant partisan, pleurer sur sa carrière désormais entachée, il n’est plus que quantité négligeable pour ses utilisateurs. Une superbe opération de mise en marché a donné estampille scientifique indélébile à la rumeur d’un désordre mental chez l’adversaire, premier ministre du Québec.

Le discrédit personnel est efficace dans le climat actuel, parce qu’il est pratiquement impossible de lutter contre des insinuations aussi sournoises, lapées comme petit lait par ceux qui vivent loin et connaissent mal ce dont on parle. Et ce discrédit trouve d’autant plus facilement preneurs qu’il est manié par des gens qui se réclament d’une certaine classe. M. Godfrey en est un.

…Le 19 août dernier (2007), un autre columnist de combat, Don Macpherson du quotidien The Gazette, consacrait toute sa chronique à expliquer doctement à ses lecteurs ce qu’est « le vote idiot ». Qu’est-ce? Un phénomène sociologique uniquement réservé aux électeurs qui disent OUI à la souveraineté. Il y en aurait un sur quatre qui aurait ainsi erré, au dernier référendum, par ignorance, confusion ou stupidité. Si le OUI l’emportait à la prochaine consultation, conclut le chroniqueur, le Canada pourrait arguer de ce « vote idiot » pour refuser de reconnaître le résultat. CQFD, le souverainisme est une maladie mentale.

Durant les années soixante, on disait des Canadiens français qu’ils ne pouvaient occuper des fonctions importantes, car ils étaient incompétents. Aujourd’hui, on laisse entendre, avec une hauteur aux accents d’autrefois, que les francophones québécois favorables à la souveraineté sont imbéciles ou vicieux, donc moralement inférieurs au camp fédéraliste. Au rythme où les expressions de mépris se succèdent depuis 1995, avec l’arrogance et le sans-gêne qui rappellent tant d’odieux souvenirs, les mêmes causes pourraient provoquer, au Québec, la même colère.
 .
Bien sûr, pour Alain Dubuc, répliquer à l'intolérance des médias anglophones, c'est quelque chose à ne pas faire.

Plus loin dans son éditorial, il compare le traitement fait à Lucien Bouchard à celui que le Québec réserve à Jean Chrétien. Mais quand les Québécois dénoncent Chrétien, ils s'en prennent à ce qu'il a fait, ils ne vont pas créer un « profil psychologique » permettant à un journal de titrer « Cet homme est-il fou? ». C'est une des techniques de damage control des agents de Propagande Canada, quand ils veulent défendre l'indéfendable. Par n'importe quelle contorsion, ils cherchent à dire que l'adversaire en fait autant.

Voici un autre exemple de la complicité de la presse de Propagande Canada. Quand Jan Wong, dans The Globe and Mail, exploite les tueries de l'École Polytechnique, de l'Université Concordia et du Collège Dawson pour les transformer en propagande contre le Québec, l'éditorialiste André Pratte se fend d'un article que ses admirateurs qualifient d'excellente réplique. Pourtant, quand on y regarde de plus près, on se rend compte que Pratte ne dénonce pas la campagne de propagande haineuse contre le Québec dans les médias anglophones. Il présente l'argument  que Kilmeer Gill s'est attaqué aux étudiants d'un collège anglophone, donc que ce n'était pas un geste de protestation contre la Loi 101. Comme si l'article de Wong était un cas isolé et que lui, Pratte, avait fait son devoir en montrant que l'argument ne tenait pas. On doit comprendre que si Gill avait perpétré son crime dans un collège francophone, Mme Wong aurait eu raison, Et Pratte conclut son article en lançant un appel à ses collègues des journaux anglophones: « ... je vois déjà les souverainistes utiliser cet incident... Lorsqu'un article comme celui de Jan Wong est publié, les fédéralistes ont bien du mal à les contredire ». En d'autres mots, « Continuez votre bon travail, je vais contredire ceux qui dénoncent vos agissements. Mais faites attention de ne pas aller trop loin, cela a des échos au Québec et me rend la tâche difficile ».

Les journalistes anglophones se félicitent mutuellement, se citent entre eux, se soûlent de leurs propres fabrications. L'idée me vient de cette phrase d'Érich Maria Remarque, parlant des journaux nazis: « Ils avaient pris l'habitude de cette nourriture intellectuelle, comme de la bière qu'ils absorbaient ». 28

Quel délice, donc, pour les propagandistes anglophones, que de taper sur la tête des Québécois, de tisser inlassablement leur toile de haine, sachant que, de la part des journaux de Gesca, ils ne risquent rien de plus qu'un coup de ruban sur le revers de la main ! Sachant également que, si un journal indépendant comme Le Devoir réplique, les éditorialistes de Gesca l'accuseront de « délire paranoïaque »!

Je m'en voudrais de laisser croire que ce sont tous les anglophones qui se livrent au Quebec Bashing. Il y a des intellectuels courageux qui n'hésitent pas à prendre notre défense. Ils n'ont malheureusement pas la même audience que les apôtres de ce sport. Je pense, entre autres, à Ray Conlogue, qui écrivait:

« L'idée de base est de convaincre la minorité qu'elle est inapte à s'autogouverner. On commence par insinuer qu'elle n'a pas la compétence économique. Si cela ne fonctionne pas, on l'accuse de quelque chose de beaucoup plus grave, l'incompétence morale ». 29

Alain Dubuc parlerait de « délire paranoïaque », car Conlogue dit la même chose que Bissonnette. Citons aussi Sean Purdy, de l'Université Queens:

« La critique du nationalisme québécois entourant l'affaire Roux a été une attaque déguisée contre le nationalisme québécois actuel fondée sur une dissimulation de sa propre histoire par le Canada anglais ... comme on l'a fait dans le cadre des relations avec les autochtones ». 30

Mentionnons aussi Peter Scowen, John Conway, Robert McKenzie, Gregory Baum, Gary Caldwell, et j'en passe. Je dis « intellectuels courageux », car ceux qui défendent le Québec ou le principe de l'indépendance du Québec sont en butte aux insultes et parfois aux représailles. Par exemple, pour avoir commis le crime de se porter à la défense de Norman Lester, en soulignant que l'opération dénoncée dans son livre était répandue et généralisée au Canada, Robert McKenzie fut remercié de ses services par The Toronto Star.

D'autres ont également souffert de ce genre d'intolérance. Ghila B. Stoka:

« Je veux dire haut et fort qu'être une femme juive, francophone, et avoir défendu la cause de l'indépendance du QUébec fut le pire calvaire de ma vie communautaire ». 31 

Salomon Cohen, candidat défait du Parti Québécois:

« ... dans la communauté juive, ce n'est pas rose. C'est comme le traître qu'on accuse ... Plus encore que David Levine, en moi je rassemble des éléments expolsifs. Je suis marié à une Québécoise francophone. Elle n'est pas Juive de naissance et j'ai la tare d'être un Juif souverainiste. En plus. je suis un Cohen. Ils voient le diable en la personne
Salomon Cohen ». 32
 



NOTES DU CHAPITRE 7

  1. The Vancouver Sun, 25 octobre 1997.
  2. The Financial Post, 4 juillet 1996.
  3. Cité dans La Presse, 11 juin 1996.
  4. The Globe and Mail, 16 septembre 2006
  5. MacLeans, juin 1997. (Les journalistes et politiciens anti-québécois peuvent se réclamer d’un grand homme. En février 1998, Pierre Elliott Trudeau blâmait les Québécois pour « l’aspect rétrograde de leur personnalité culturelle collective ».
  6. The Ottawa Sun, 16 janvier 2001.
  7. Diane Francis, Fighting  for Canada, Key Porter, 1996.
  8. Voir Le Devoir, 19 et 20 avril 2003.
  9. The Ottawa Citizen, 20 septembre 2006.
  10. The Ottawa Citizen, 1 mai 1998.
  11. The Ottawa Sun, juillet 1997.
  12. Le Devoir, 9 février 2000, cité dans Patrick Bourgeois, Quebec Bashing, Morceaux d’anthologie, Les éditions du Québécois, Québec, 2008.
  13. Saturday Night, mars 1998.
  14. Le Rapport de Durham, présenté, traduit et annoté par Marcel-Pierre Hamel, Éditions du Québec, Montréal, 1948, p. 321.
  15. The Montreal Herald, cité dans Le Rapport de Durham.
  16. The Montreal Gazette, cité dans André Lefebvre, La Montreal Gazette et le nationalisme canadien (1835-1842), Guérin, Montréal, 1975, p. 34.
  17.  Le Devoir, 24 novembre 2001.
  18. Quebec Bashing, Morceaux d’anthologie, Les éditions du Québécois, Québec, 2008.
  19. Il peut y avoir certaines erreurs dans les dates. Dans certains cas, je ne l’ai pas noté. Mes notes étaient rédigées sur des bouts de papier.
  20. The Ottawa Sun, 14 janvier 2001.
  21. The Ottawa Sun, 18 janvier 2001.
  22. The Ottawa Citizen, 9 février 2000, cité dans Quebec Bashing.
  23. The Toronto Sun, 30 novembre 1989.
  24. Cité dans The Montreal Gazette, 16 septembre 1989.
  25. Philip Resnick, Lettres à un ami québécois, suivi de Daniel Latouche, Réponse à un ami canadien, Éditions du Boréal, Montréal, 1990, pp. 86, 87, 102, 103, 111.
  26. The Globe and Mail, 17 mai 1994.
  27. La Presse, 9 avril 1994.
  28. Erich Maria Remarque, La nuit de Lisbonne, Plon, Paris, traduit par Dominique Auclères, 1963, p. 32.
  29. Impossible Nation, The Mercury Press, 1996.
  30. Les Chronique de Cybérie, http://www.cyberie.qc.ca/chronik/970221.html.
  31. La Parole métèque, juin 1996.
  32. Le Devoir, 27 juillet 1998.







Chapitre 8

 

Le richlérisme

 

Le champion

Mordecai Richler fut sans contredit le champion des propagandistes anti-québécois du Canada anglais. Il a utilisé toutes les méthodes de propagande : sélection des faits, déformation de la vérité, invention pure et simple. Il a été adulé et imité par tous les autres membres de sa confrérie.

Richler avait fait la réflexion suivante. Les souffrances infligées aux Juifs avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale ont suscité l’opprobre universel. Si l’on peut diriger contre les Québécois une partie de cette révulsion, quel coup fumant ce sera! Personne ne voudra entendre ce qu’ils peuvent avoir à dire et leur désir de liberté sera considéré suspect. À ne pas négliger le fait qu’il y a un bon 20 % de Québécois non francophones qui voteront lors d’un éventuel référendum et qui sont susceptibles d’être influencés par de tels arguments.

Dans son ouvrage, Oh Canada ! Oh Quebec !, il utilise toute la panoplie des méthodes de propagande, mais le thème central est ce supposé antisémitisme particulier aux Québécois. Pour tracer ce portrait, il banalise l’antisémitisme bien plus virulent et plus influent qui sévissait au Canada anglais pendant les années d’avant-guerre. Pour prouver que les Québécois sont toujours marqués par cette tare, il sort les résultats d’un sondage bancal et passe sous silence les statistiques qui prouvent le contraire de sa thèse.

J’ai écrit tout un livre en réplique à Richler, L’impérialisme Canadian, chevalier servant Mordecai Richler, dans lequel je décortique ses méthodes et le montre pour ce qu’il est, un propagandiste indécrottable. Je ne reprendrai pas ici cette démonstration; je me contenterai de rapporter certains faits qui ont entouré la publication de son livre et du mien.

La solidarité des anglophones

Il existe une certaine solidarité anglophone qui assure aux propagandistes du Canada anglais des appuis importants aux États-Unis. Richler a pu en profiter pour publier des articles retentissants contre les Québécois dans des médias américains, salissant ainsi à l’étranger l’image du Québec et s’assurant du même coup une grande publicité pour son livre au Canada. J’ai adressé des lettres au New York Times en juillet 1993 et en novembre 1994, à The New Yorker en juin 1994. Je me permets de reproduire ici une de ces lettres.

Lettre du 7 juin 1994 à The New Yorker :

Une fois de plus, vous publiez dans vos pages les opinions de Mordecai Richler sur la question du Québec et de ses rapports avec le reste du Canada. Cette fois, il s’évertue à monter une accusation gratuite de purification ethnique contre le Québec. Son raisonnement est simpliste : plusieurs Anglo-québécois menacent de s’en aller si le Québec quitte le Canada et s’il continue à prendre des mesures pour protéger la langue française; en conséquence, poursuivre de tels objectifs constitue de la purification ethnique. Allez donc discuter avec une telle logique!

Il faudrait que vos lecteurs sachent, entre autres choses, qu’il y a plus d’écoles de langue anglaise au Québec, de la maternelle à l’université, qu’il n’y d’écoles françaises dans tout le reste du Canada. Que le Québec a eu trois premiers ministres du nom de Johnson et un chef de l’opposition du nom de Ryan au cours de vingt-cinq dernières années. Que le chef du Parti Québécois, Jacques Parizeau fut marié à Alice Poznanska, une écrivaine d’origine polonaise. Que le chef du Bloc Québécois est marié à une Américaine. Que des études effectuées pour le compte du ministère fédéral de l’Immigration, par les entreprises d’analyse de l’opinion publique Ekos Research Associates Inc. et Anderson Strategic Research, ont révélé que les Québécois sont beaucoup plus accueillants envers les étrangers que les Canadiens des autres provinces. Selon l’étude la plus récente, 67 % des personnes interrogées à Toronto croyaient qu’il y avait trop d’immigrants au Canada, contre 39 % des Montréalais qui partageaient cette opinion.

Richler ne révélera rien de l’information qui précède. Il utilise la technique bien connue qui consiste à créer une image fausse en alignant quelques faits soigneusement choisis. Selon Jacques Ellul, le juriste et sociologue français, auteur de Propagandes : « Ce fait, appelé sélection par les auteurs américains, conduit à une distorsion effective de la réalité. Le propagandiste choisit automatiquement l’ordre de faits qui lui sera favorable, et dans la mesure où leur contexte n’est pas connu, ils sont eux-mêmes déformés. »1

Richler ne se contente pas toutefois de pratiquer la propagande par sélection. Il a aussi recours à la fabrication pure et simple. En septembre 1991, vous avez publié des extraits de son livre Oh Canada! Oh Québec! Dans cet ouvrage, qui constitue une attaque virulente contre le Québec et les Québécois, il déclare, par exemple, que la Commission de toponymie fut créée dans le but de changer de l’anglais au français les noms des villes, rivières et lacs du Québec. En réalité, la Commission existe principalement pour satisfaire des besoins de cartographie. La seule partie de son mandat où il est question de langue est celle où il est prescrit qu’elle doit veiller à ce que les noms des lieux soient conformes aux normes d’écriture toponymique, tant du français que des autres langues utilisées dans la toponymie du Québec. Si vos lecteurs en doutent, ils n’ont qu’à regarder une carte routière de la province. Ils verront que les noms anglais n’ont pas disparu.

Le thème principal de Richler dans son livre était que les Québécois étaient antisémites. Pour montrer jusqu’à quel point ce supposé préjugé était enraciné, il écrivait « que l’un des buts de la rébellion des Patriotes de 1837-38 était d’étrangler tous les Juifs du Haut et du Bas-Canada et de confisquer leurs biens »,

Au contraire, la Déclaration d’Indépendance du Bas-Canada, publiée par les Patriotes en 1838, proclamait :

« 3.  Que sous le gouvernement libre du Bas-Canada, tous les citoyens jouiront des mêmes droits : les Indiens cesseront d’être sujets à quelque disqualification civile que ce soit et jouiront des mêmes droits que les autres citoyens du Bas-Canada.

4,  Que toute union entre l’Église et l’État est déclarée abolie et chaque personne aura la liberté d’exercer la religion et la croyance que lui dictera sa conscience. »2

Dès 1831, le parti Patriote avait décrété par vote, à la législature du Bas-Canada, « que les personnes qui professent le judaïsme ont le bénéfice de tous les droits et privilèges des autres sujets de Sa Majesté en cette Province. »3 Ceci se passait 27 ans avant qu’une telle loi ne soit adoptée en Grande-Bretagne.

Une autre idée que Richler cherche à colporter est que les Québécois auraient été plus responsables que les autres Canadiens de la politique consistant à refuser asile aux Juifs persécutés d’Europe durant la Deuxième Guerre mondiale. En fait, l’immigration était fermement sous le contrôle du gouvernement fédéral. Ce gouvernement n’était pas tellement influencé par l’opinion au Québec. Par exemple, il promulgua la conscription, même si 80 % des Québécois avaient voté contre cette mesure.

C’est en parlant de cette crise de la conscription de 1944 que Richler monte l’une de ses plus remarquables fabrications. Prétendant baser ses « faits » sur ce qu’avait écrit André Laurendeau, il décrit une scène où un groupe de démonstrateurs contre la conscription auraient marché dans les rues en criant « À mort les Juifs ! À mort les Juifs ! » Cependant, si l’on consulte le livre de Laurendeau, on s’aperçoit que c’étaient des partisans de la conscription qui criaient, en anglais, « Kill them ! Kill them ! »4  Il faut du talent pour déformer les faits de cette façon!

L’énumération des mensonges et distorsions de Richler pourrait se poursuivre longtemps.

Odieux par son contenu, le livre n’est pas relevé par son écriture. Le style se situe au niveau d’un élève moyen du secondaire. (Quinze fois l’expression « in any event », dix fois « the truth is », dix fois « as it were », etc., etc.) Pour enjoliver sa lamentable prose, il l’assaisonne de ce qu’il croit être des joyaux spirituels. À propos des familles nombreuses des Québécois d’autrefois, il écrit : « …les familles d’une douzaine d’enfants…(cela) revenait à considérer les femmes comme des truies. » Parlant des ancêtres de nombreux Québécois, il glousse : « les Filles du roi (étaient) des putains, importées en Nouvelle-France pour satisfaire les appétits de ses soldats pour la plupart illettrés. »

La meilleure façon de rendre justice à un tel niveau de pensée est de citer Pierre Pierrard : « Un des caractères de l’antisémitisme est de se nourrir de ses propres excréments »; et d’étendre ce jugement à toutes les formes de racisme.

On ne s’étonne pas que certains Canadiens anglais pressent Richler sur leur cœur et chantent ses louanges. Pour eux, le combat contre l’indépendance du Québec est une guerre sainte et tous les moyens sont bons. En Richler, ils ont un auteur régulièrement subventionné par le gouvernement fédéral, un candidat qualifié pour le rôle de gratte-papier de service. Mais que viennent faire ses radotages dans The New Yorker? C’est dans les pages de cette revue que je perfectionnais mon anglais quand j’étais jeune, en lisant E.B. White et James Thurber. Que penseraient ces auteurs de voir ce plumitif leur succéder? Et vos collaborateurs d’aujourd'hui? Que pensent-ils de se voir accolés joue contre joue à Mordecai Richler ?

Aucune de mes lettres ne fut publiée. On doit donc conclure que ce journal et cette revue préfèrent désinformer plutôt que de faire éclater la vérité. Une copie de la lettre reproduite ci-dessus fut envoyée au Globe and Mail et au Toronto Star et, en version française, à La Presse et au Soleil. Aucun de ces journaux n’a jugé bon de la publier.

Accueil réservé à un propagandiste anti-québécois

Au Québec

Lorsque l’article dans The New Yorker parut, puis lorsque le livre de Richler fut lancé, même les éditorialistes et chroniqueurs de La Presse protestèrent, mollement il est vrai.  Alain Dubuc, par exemple : « Je pourrais donner la réplique, mais je ne le ferai pas. ». Ce furent surtout les nombreuses lettres de lecteurs qui permirent aux Québécois d’exprimer leur indignation face aux tactiques de Richler. Ces lettres affluèrent pendant plusieurs jours. Puis, quelqu’un en autorité a dû rappeler aux dirigeants de La Presse que ce livre avait un but politique. C’était écrit en toutes lettres au dos de l’ouvrage : « Quebec is on the verge of holding a referendum to decide its political future, and Mordecai Richler’s gloves are off » (Le Québec est sur le point de tenir un référendum sur son avenir politique et Mordecai Richler veut se battre). Ce dernier devait donc être considéré comme un allié objectif. D’ailleurs, Pierre Elliot Trudeau ne s’affichait-il pas en sa compagnie? Un décret apparut en page B3 du journal et les lettres de lecteurs cessèrent. On chercha même par la suite à réhabiliter le grand homme.  On chargea Mario Roy, alors responsable des pages littéraires de La Presse, de cette délicate, mais importante mission. Il releva vaillamment le défi. Par exemple, une certaine Nadia Khouri, professeure à Dawson College, avait publié un livre de louanges sur Richler,, Qui a peur de Mordecai Richler ? . Comme une adolescente pâmée devant une idole rock, elle ne se possède pas. C’est un «  virtuose littéraire », il est « notre mémoire ». « C’est Cervantès, Kafka, Ionesco, Erasme, Wietkiewicz, Juvénal, Léautaud, Rabelais, Voltaire, Swift, Dickens, Twain, Shaw… » Si elle avait feuilleté son dictionnaire plus longtemps, elle en aurait sûrement trouvé d’autres méritant d’être comparés à son héros. À cette hagiographie infantile, Mario Roy consacra toute une page avec photos couleur de l’auteur et de Richler (26 mars 1995). Plus tard, il accorda le même traitement à Esther Delisle, protégée de Mordecai Richler, lorsqu’elle publia Le traître et le Juif (17 mai 1998). Pour ses loyaux services, Mario Roy fut nommé éditorialiste.

Au Canada anglais

En publiant ses articles et extraits de son livre dans des revues et journaux américains, Richler s’assurait d’une grande publicité au Canada. Les journalistes du Canada anglais jubilèrent :

Dans le Globe and Mail : « Given the reputation of The New Yorker’s fact-checkers, Mr. Richler’s critics are unlikely to be able to find fault with him » (Compte tenu de la réputation des vérificateurs des faits  de The New Yorker, les critiques de M. Richler ne pourront sûrement pas le prendre en défaut). (On a vu, plus haut, que ladite réputation de ces vérificateurs était surfaite).

Dans le Toronto Star : « Richler’ vigourous, cheerfully derisive piece…tells it like it is » (L’article vigoureux, allègrement moqueur de Richler décrit les choses telles qu’elles sont).

Dans le Calgary Herald : « Richler writes with real power about Quebec » (Richler écrit avec une force incontestable sur le Québec).

Dans le Halifax Chronicle Herald : « Richler hits too close for French comfort » (Ce qu’écrit Richler est trop près de la vérité pour plaire aux Francophones).

Les journalistes de Windsor, en Ontario, lui décernèrent un prix. Ils trouvaient l’article dans The New Yorker « courageux, controversé, délibérément provocant, effervescent, glacial et désopilant ».

À sa mort en 2001, les pages des journaux canadiens-anglais furent remplies de témoignages élogieux, comme ceux de Robert Fulford dans le National Post : « …a moral hero…a friend of liberty… » (… un héros moral… un ami de la liberté…). Le Globe and Mail publia un texte de Daniel Poliquin, traducteur et admirateur transi de Richler, qui écrivait entre autres : « Ce qui était intéressant de l’impact du livre de Mordecai n’était pas seulement qu’il y démasquait l’antisémitisme, mais sa négation par les élites québécoises ». Voilà un exemple de la méthode qui consiste à créer un homme de paille pour le pourfendre courageusement. Car il n’y a pas eu de Québécois, de l’élite ou non, qui niaient qu’il y avait eu de l’antisémitisme au Québec et qu’il y en a encore. C’est plutôt Richler qui avait cherché à minimiser l’antisémitisme qui sévissait au Canada anglais dans les années 30 et durant la guerre. Tout ce qu’il avait trouvé à en dire, c’était que « la bourgeoisie WASP fermait les portes de ses clubs privés aux Juifs, établissait des contingentements à leur égard dans les universités et faisait de son mieux pour les empêcher d’acheter des propriétés à Westmount ou à Ville Mont-Royal ». Alors qu’il fustigeait les « racistes qui avaient conspiré pour refuser un refuge aux Juifs dans les années 30 » il prétendait que c’étaient « les Canadiens français (qui) étaient à l’avant-garde ». Une personne sincèrement touchée par les souffrances des Juifs sous Hitler aurait cherché à placer au bon endroit la responsabilité pour leur avoir refusé un asile au Canada. Parmi les principaux acteurs de cette politique honteuse figuraient Frederick Charles Blair, un haut fonctionnaire proche du premier ministre Mackenzie King, Vincent Massey, qui allait devenir le premier gouverneur général né au Canada, George Stanley, futur lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, Charlotte Whitton, futur maire de la capitale fédérale.6

Voilà comment Richler déformait la vérité pour apporter sa contribution à la propagande contre la souveraineté du Québec. Je croyais que cette exploitation éhontée de l’Holocauste à des fins politiques était une invention de Richler. Mais dans Le Devoir  du 12 mars 2001, je lus un article de Norman G. Finkelstein, professeur à l’Université de New York, qui m’apprit que cette méthode était assez répandue. Parlant de son livre, L’Industrie de l’Holocauste, Finkelstein écrit : « Sa thèse principale est que l’Holocauste a effectivement donné naissance à une industrie. Les principales organisations juives américaines et internationales, de concert avec le gouvernement des États-Unis, exploitent à des fins de pouvoir et de profit les terribles souffrances des millions de Juifs exterminés pendant la Seconde Guerre mondiale et du petit nombre de ceux qui ont réussi à survivre… L’industrie de l’Holocauste a bradé le statut moral du martyre du peuple juif et, pour cette raison, elle mérite l’opprobre public ». Je demeure néanmoins convaincu que cette méthode, telle qu’appliquée par Richler à la question du Québec, mérite un nom. Je propose qu’on l’appelle le richlérisme.

Pour tous ses efforts en faveur de la « Canadian unity », Richler fut nommé Compagnon de l’Ordre du Canada. À cette occasion, la gouverneure générale Adrienne Clarkson déclara : « Il était unique; il n’y aura jamais une autre voix comme la sienne. »

Omertà pour un livre qui défend le Québec

Le 23 novembre 1999, Lysiane Gagnon écrivait dans sa chronique de La Presse : « Autre sujet, la liberté d’expression. Le ministre (Stéphane Dion) vient de publier, aux Éditions McGill-Queen’s, un recueil de textes (lettres aux journaux et discours) qui constituent la défense et l’illustration du fédéralisme. L’éditeur anglophone a cherché un éditeur francophone au Québec et s’est buté à 21 refus… Qu’un éditeur refuse, soit… Mais 21? Pareille unanimité sent mauvais… D’accord, ce n’est pas de la censure stricte. Mais plutôt, comme dirait René-Daniel Dubois, de la censure soft. »

Versons une larme pour Stéphane Dion. Quand Jean Chrétien a voulu le lancer en politique fédérale, il était peu connu, si ce n’est pour avoir approuvé que le gouvernement fédéral, en cas de victoire du Oui au référendum, devrait « faire souffrir le Québec ». Pour y remédier, La Presse a accepté avec complaisance de lui céder à deux reprises la moitié de sa page B3 pour lui permettre d’exposer ses idées sur le fédéralisme et lui donner un peu de notoriété plus positive.

Je me demande ce que peuvent dire Mme Gagnon et M. Dubois du sort qui a été réservé à mon livre. Je l’ai d’abord proposé à des éditeurs anglophones, me disant que c’était en anglais que l’ouvrage de propagande de Richler avait d’abord été publié et qu’il visait surtout à exacerber des sentiments anti-québécois chez les anglophones. Il convenait donc de publier la réplique dans cette langue. Je n’essuyai que des refus. (En passant, un de ces éditeurs était celui qui a publié les textes de Dion et qui s’est donné tant de peine pour lui trouver un éditeur francophone). Je rejoignis l’un d’entre eux et il me dit qu’il n’était pas d’accord avec Richler, mais que ce dernier avait le droit d’exprimer ses opinions. Il n’alla pas jusqu'à m’expliquer, cependant, pourquoi moi je n’avais pas le droit de répliquer.

Je résolus de publier mon livre en français et je cherchai un éditeur. Sans succès. Je dus donc publier le livre à mes frais. Mais ce n’est pas tout de publier un ouvrage; si on n’en parle pas dans les médias, personne n’en connaîtra l’existence, par conséquent personne ne le lira. Le vrai moyen de tuer un livre, c’est de refuser d’en parler. Je savais cela et j’ai écrit à M. Claude Masson, éditeur adjoint à La Presse, lui demandant de publier un aperçu de mon livre à la page B3. Sa réponse : ce serait trop injuste pour les autres auteurs. Pourtant, son journal avait offert la page B3, à deux reprises (le 8 mars et le 9 mai 1995), aux auteurs d’un livre fédéraliste : Le piège de l’indépendance.

M. Masson me suggéra d’envoyer plutôt mon livre à M. Mario Roy, des pages littéraires, ce que je fis. Ce dernier ne trouva jamais le moindre espace pour parler de mon livre. Par contre, comme on le sait, il avait consacré une page entière à un livre rédigé à la gloire de Richler et il allait plus tard accorder le même traitement au livre de la pupille spirituelle du propagandiste anti-québécois, Esther Delisle,

Je m’adressai ainsi à un grand nombre de médias pour obtenir qu’on fasse une critique de mon livre, bonne ou mauvaise. Personne ne voulait même en faire mention. Finalement, un animateur de radio de la Mauricie leva le voile sur les raisons de tous ces refus. Il m’expliqua, avec un petit rire gêné, qu’il y avait un référendum en préparation et que mon livre pourrait être vu comme voulant influencer les électeurs.

C’est ainsi qu’une œuvre de propagande anti-québécoise, dont l’éditeur avouait en toutes lettres qu’elle était écrite spécifiquement en vue du référendum, pouvait être l’objet d’une grande publicité, mais que la réplique était assujettie à une omertà des plus étanche.






NOTES DU CHAPITRE 8

  1. Jacques Ellul, Propagandes, Librairie Armand Colin, Paris, 1962, p. 69.
  2. R. Christie, A HIstory of the Late Province of Lower Canada, Richard Worthington, Montréal, 1865, Vol. V, pp. 250, 251.
  3. Jacques Langlais et David Rome, Juifs et Québécois français, 200 ans d’histoire commune, Fides, Montréal, 1986, pp, 23, 24.
  4. Andrée Laurendeau, La crise de la conscription, Les Éditions du Jour, Montréal, 1962, p. 56.
  5. Pierre Pierrard, Juifs et catholiques français, de Drumont à Jules Isaac, 1886-1945, Fayard, Paris, 1970, p. 29.
  6. Abella et Troper, None Is Too Many, Canada and the Jews of Europe, 1933-1948, Lister Publishing Company, Toronto, 1991,  pp 9, 60, 103, 217.






Chapitre 9

 

Un apôtre

 



Le traducteur et imitateur de Richler

Dans Mordecai Richler chevalier servant, je m’étais moqué doucement de la traduction qu’en avait faite Daniel Poliquin. À l’époque, je croyais que c’était le travail brouillon d’un apprenti. En octobre 1996, j’écoutais par hasard l’émission de Marie-France Bazeau à Radio-Canada. L’invité était ce Daniel Poliquin. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre qu’il était traducteur au parlement fédéral!

Au cours de cette entrevue, il faisait des gorges chaudes avec des erreurs et coquilles qu’il avait relevées chez d’autres traducteurs. Une belle illustration de la parabole de la poutre et la paille. Je me permets de répéter ici quelques perles que l’on retrouve dans sa traduction de la prose déjà épaisse de Richler.

« …modest French Canadian maidens.. » devient « les modestes bonnes canadiennes françaises… » 1  Il confond les mots anglais « maid », qui peut signifier domestique ou bonne, et « maiden », qui n’a pas ce sens.

Il écrit aussi « ces Loyalistes de l’Empire uni – à propos desquels, a écrit Walter Stewart, un Canadien anglais sur six est le descendant… » Il voulait dire « … Ces Loyalistes, dont un Canadien anglais sur six est un descendant, selon Walter Stewart… » 2

Et celle-ci, à propos du Stade olympique : « Le toit, dont la fonction réelle est de soutenir la tour… » 3  Ça se passe de commentaire.

L’apôtre de l’assimilation

Une année plus tard, j’en appris un peu plus sur Daniel Poliquin. Dans la revue Recto-Verso de septembre-octobre 1997, le journaliste André Lachance fait le compte rendu d’une réunion des amis de Cité libre à la Maison du Egg Roll. Sont présents, entre autres, Pierre Elliott Trudeau, Monique Nemni, Esther Delisle. L’orateur invité n’est nul autre que Poliquin. Voici quelques extraits du discours qu’il prononce : « Mais l’assimilation n’est pas une trahison, un meurtre ou une apostasie. C’est seulement la conséquence naturelle d’une réalité normale. Ça ne fait même pas mal. On se réveille un matin devant ses petits-enfants qui vous disent « Grand Dad » au lieu de grand-papa. J’ai même connu des assimilés heureux… Où est le mal ? »

La salle applaudit, rapporte Lachance. «  Même le Sphinx (Trudeau) sort un moment de son apparente torpeur pour manifester son approbation… ».

Le fils spirituel de Richler martèle : « J’avais un ami qui s’appelait Jean. Il s’appelle John maintenant. Ses enfants parlent anglais. Je le comprends. »

« …Allez donc dire à la petite francophone de Timmins qui vient de se faire sodomiser par son père que la langue française est ce qu’il y a de plus beau au monde. » Vous voyez le rapport? Ailleurs dans son bouquin, il écrit : « Pierre Trudeau avait parfaitement raison de canadianiser une fois pour toutes la loi fondamentale du pays. C’était abolir un archaïsme gênant et avancer pour de bon dans le sens d’une évolution naturelle qui avait trop tardé ». Si je copiais la rhétorique de Poliquin, j’écrirais : « Allez donc dire aux victimes de Bernardo et Gomulka que Trudeau devait absolument rapatrier la Constitution ».

Un génie inventif

Daniel Poliquin a aussi publié un livre, Le Roman colonial, dans lequel il se lance à fond de train contre les souverainistes québécois. Il y copie servilement les tactiques de Richler, dont l’essence est : il y a eu des nationalistes québécois antisémites, donc le nationalisme québécois est raciste. Peu importe qu’il y ait eu chez les nationalistes canadian un antisémitisme dix fois plus virulent et actif.

Comme son modèle, il pratique la sélection des faits, pour soutenir ses thèses. Ce dernier citait des personnages non identifiés au besoin. Par exemple, il écrivait « Je n’avais rien dit de la sorte. Ce que j’ai fait, c’est citer un homme d’affaires anglophone qui disait…» Poliquin améliore encore cette tactique. Il invente carrément des personnages, auxquels il donne des noms, pour alimenter ses sarcasmes.

Une différence importante, cependant, entre Richler et Poliquin, c’est que le premier citait le plus souvent ses sources. On pouvait donc les consulter et démêler le faux du vrai, déceler quand il déformait la vérité pour affirmer exactement le contraire de ceux qu’il citait. Poliquin est plus anguille que ça. Il ne donne pas ses sources, le lecteur est obligé d’accepter ce qu’il dit comme parole d’évangile. Ainsi, il est plus difficile de lui mettre le nez dans ses fabrications. Il s’est cependant fourvoyé à un moment donné où il cède la parole à un de ses personnages inventés. « Il a rougi aussi en lisant le livre d’Irving et Abella None Is Too Many, sur la politique d’immigration antisémite d’Ottawa à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Il se rappelle avec colère ce Frederick Johnson, maître d’œuvre de la directive qui condamna aux abattoirs nazis des milliers d’innocents… » 5   Le lecteur pourrait croire que l’auteur a vraiment lu ce livre. Sauf s’il sait que le fonctionnaire cité par Irving et Abella s’appelait Frederick Charles Blair, et non Johnson.

Qui a dupé qui?

Poliquin nous régurgite aussi une réécriture de l’histoire des discussions qui ont conduit à la modification de la Constitution de 1982. Il est tout fier de répéter, comme Pierre Elliott Trudeau et Jean Chrétien, que la nuit des longs couteaux n’a jamais eu lieu. Il nous dit que « Pierre a tendu un piège à son ami René, qui s’est jeté dedans à pieds joints. Ce faisant, il a lâché ses alliés provinciaux… On tait commodément le fait que René Lévesque avait été le premier à trahir ses copains. » 6

Un premier ministre canadien qui tendrait un piège à un premier ministre provincial, ce serait une manœuvre admirable au cours de discussions constitutionnelles. Et Poliquin ne nous dit pas en quoi consistait cette « trahison». En fait, Trudeau aurait offert de soumettre le projet de révision de la constitution à un référendum, sachant que les autres premiers ministres provinciaux n’en voulaient pas. Si c’était vrai, pourquoi ces derniers se seraient-ils ralliés à Trudeau, qui proposait ce référendum, mais se sentiraient trahis par Lévesque, qui l’avait accepté ? L’histoire ne tient pas debout. Si c’était vrai, qui trahissait qui? Les premiers ministres qui voulaient adopter une constitution sans consulter leurs électeurs, ou René Lévesque, qui avait accepté depuis longtemps d’assujettir le projet de souveraineté du Québec à la tenue d’un référendum?

Au sujet de René Lévesque et des référendums québécois, l’auteur ne tarit pas d’invectives : « Ce grand fabulateur… Gigantesque tromperie… Duperie… » Pourquoi? Parce qu’on osait prétendre que la souveraineté du Québec, une fois accepté par référendum, pourrait se faire dans la paix et l’harmonie. Comme cela avait été le cas pour l’indépendance du Canada. Pourquoi ce qui avait été bon pour le Canada (et l’Australie et la Nouvelle-Zélande) ne serait pas bon pour le Québec? Parce que ces colonies étaient anglophones alors que le Québec est francophone?

Et il parle de « duperie » alors qu’il accepte que :

« S’il y a un NON au référendum (de 1980), ce vote sera interprété comme un mandat pour changer la Constitution et renouveler la fédération… On met notre tête en jeu là-dessus. On dit aux autres provinces que nous n’accepterons pas que ce NON soit interprété comme étant un signe que tout va bien. On met nos sièges en jeu là-dessus » signifie, en réalité : « Nous allons modifier la Constitution selon la volonté des autres provinces, que le Québec soit d’accord ou non. Nous adopterons également une Charte des droits conçue spécialement pour contrer les lois linguistiques du Québec.»

L’assimilation, la panacée

Dans ce livre, Poliquin revient aussi à son dada, l’apologétique de l’assimilation. Pour ce faire, il a recours à un personnage qu’il prétend réel, mais auquel il donne un pseudonyme. Il cite donc ce M. Riverain, réel ou inventé : « Imagine un médecin qui te dirait : « Mon cher monsieur, je vous donne le choix. Si j’opère votre petit-fils, il vivra vieux, mais ne parlera qu’anglais. Si je ne l’opère pas, il parlera français, mais mourra adolescent». Qu’est-ce que tu ferais à ma place? Hein? Non mon gars, la langue c’est important, c’est bien, mais c’est la vie qui compte. » 7

Bien sûr, le lecteur est saisi de compassion et comprend parfaitement le choix du malheureux. Mais l’auteur poursuit : « Encore aujourd’hui, je persiste à croire que ce Riverain avait lu Benda, autrement il n’aurait jamais fait passer la justice et la liberté avant la langue et la culture». Là, on ne suit pas. On serait porté à croire que son personnage s’est résigné devant l’injustice. Celui qui choisirait la justice et la liberté serait plutôt celui qui se battrait pour sortir d’un tel régime. Mais Poliquin encense le régime et fonce tête baissée contre tous ceux qui le mettent en question! Ne cherchez pas à comprendre.

Et les louanges que ça suscite

Quand Le Roman Colonial est sorti en traduction anglaise sous le titre de In the Name of the Father, les propagandistes anglophones ne se tenaient plus de joie. Imaginez un peu ! Un Canadien français qui reprend le bâton de pèlerin de Richler contre le Québec et la souveraineté! Et en plus il se fait l’apôtre de l’anglicisation, quelle aubaine!

Philip Resnick, dans le National Post : « … considerable brio… ».

Jeffrey Simpson, dans le Globe and Mail : «… such eloquence and sustained ferocity… ».

Justin Samuel, dans  The Gazette : « …unpretentious erudition and unbridled courage… ».

 Poliquin a eu droit à des articles complaisants dans La Presse et à des entrevues à la radio francophone, mais c’était pour lui permettre de présenter ses romans, et on évitait pudiquement d’aborder cette question de sa défense et illustration de l’anglicisation. 8 En général, on préfère nier que l’assimilation des Canadiens français est un objectif du fédéralisme canadien. Il n’y a pas si longtemps, André Pratte déclarait sans sourciller que le Rapport Durham avait été jeté aux poubelles par La Fontaine et Baldwin. 9

Le Rapport Durham aux poubelles?

Rappelons quelques extraits du Rapport Durham :

 « On ne peut guère concevoir nationalité plus dépourvue de tout ce qui peut vivifier et élever un peuple que les descendants des Français dans le Bas-Canada… »

« … que le premier objectif du plan qui sera adopté pour le gouvernement futur du Bas-Canada devrait être d’en faire une province anglaise; et à cet effet que la suprématie ne soit jamais placée dans d’autres mains que celles des Anglais. »

« La tranquillité ne peut revenir, je crois, qu’à la condition de soumettre la province au régime vigoureux d’une majorité anglaise; et le seul gouvernement efficace serait celui d’une Union législative. »

Le principal rédacteur de ce remarquable document était un certain Adam Thom. C’est lui qui avait écrit dans le Herald, lors de la condamnation à mort des Patriotes :

« Nous avons vu la nouvelle potence construite par M. Brondson. Il semble qu’elle sera érigée face à la prison, afin que les rebelles prisonniers puissent jouir d’un point de vue qui ne manquera pas de leur procurer un sommeil profond et d’admirables rêves. » 10

Et aussi

« La punition des chefs, quelque agréable qu’elle puisse être aux habitants anglais, ne ferait pas une impression aussi profonde et aussi utile sur l’esprit du peuple que la vue de cultivateurs étrangers placés sur chaque habitation de chaque agitateur dans chaque paroisse. Le spectacle de la veuve et des enfants étalant leur misère autour des riches demeures dont ils auraient été dépossédés serait d’un bon effet. » 11

Le Rapport Durham a-t-il été jeté aux poubelles comme le prétend Pratte ? L’aimable rédacteur du Rapport fut nommé juge dans les Territoires du Nord-Ouest, où il fut à l’origine des premières confrontations qui ont mené à la pendaison de Louis Riel et de huit Amérindiens. C’était longtemps après La Fontaine et Baldwin. Et voici ce que déclarait George Brown, un des Pères de la Confédération, lorsque cette loi fut proclamée : « N’est-ce pas merveilleux? Le fait canadien-français est annihilé. » 12

Quand Stephen Harper fait adopter une résolution à l’effet que le Québec est une nation dans un Canada Uni, ne fait-il pas que reconduire le Union Act, (par coïncidence en utilisant le même terme de « Canada Uni » ? Si le moyen proposé par Durham pour assimiler les Canadiens-français, soit leur minorisation dans un pays trois fois plus nombreux, est maintenu, peut-on dire que son Rapport a été jeté aux poubelles?

Bien sûr, les fédéralistes évitent de parler de l’objectif de la Confédération. Il ne faut pas rappeler ce fait aux Québécois, laissons le temps faire son œuvre. Mais si les nationalistes québécois se rendent à l’appel d’Alain Dubuc de « déposer les armes », on peut croire que d’autres apôtres de l’anglicisation sortiront du placard. Que répondra Pratte, ou son successeur, quand on lui dira « Tu peux conserver ton beau poste d’éditorialiste en chef, avec le salaire qui l’accompagne. Mais tu dois désormais prêcher l’assimilation, qui est la conséquence naturelle d’une réalité normale » ?  Peut-être répondra-t-il, comme les Anglais, « In for a penny, in for a pound » (ou, comme on dit au Québec, « Un p’tit peu plus, un p’tit peu moins ».

NOTES DU CHAPITRE 9

  1. Mordecai Richler, Oh Canada ! Oh Québec, Requiem pour un pour un pays divisé, traduction par Daniel Poliquin, Les éditions Balzac, Candiac, Québec, 1992, p. 100 (p. 80 dans le texte original de Richler.
  2. Ibid.,  p. 123 (p. 102).
  3. Ibid.,  p. 267 (p. 233).
  4. André Lachance, Recto Verso, septembre-octobre 1997.
  5. Daniel Poliquin, Le Roman colonial, Les éditions du Boréal, Montréal, 2000, p. 35.
  6. Ibid,  p. 74.
  7. Ibid,  p. 51
  8. Daniel Poliquin a été nommé Membre de l’Ordre du Canada. Une coche en dessous de Richler, ce qui est compréhensible, vu qu’il n’est que le traducteur et disciple du maître. On retrouve également Jeffrey Simpson dans cet auguste aréopage. Cela ne veut pas dire que les Membres de l’Ordre du Canada sont tous des propagandistes anti-québécois. Mais ce sont des gens qui ne répugnent pas à être en compagnie de Richler et ses acolytes.
  9. André Pratte, La Presse, 19 juillet 2008.
  10. Herald, 19 novembre 1838, cité dans Joseph Schull, Rebellion, The rising of French Canada, 1837, Macmillan, Toronto, 1971, p. 180 (traduction de l’auteur).
  11.  Ibid., cité dans Dossiers d’histoire du Canada, les troubles de 1837-1838, Boréal Express, Fides, Montréal, 1986, p. 152.
  12. Roberto Perin : Drach et Perin,  Negociating with a Sovereign Quebec, James Latimer, Toronto, 1992, p. 32.






Chapitre 10

L’employé exemplaire et les brebis galeuses

L’information telle que La Presse l’entend

Les patrons de La Presse répètent souvent que leur propagande antisouverainiste est confinée aux pages d’opinions et aux columnists. Bien des gens le croient, mais c’est faux. Il y a même un journaliste dont la tâche est de jeter de la boue sur les souverainistes et le Parti Québécois.

Le 26 décembre 2001, cherchant quel scandale il pourrait bien trouver, Denis Lessard publie un article dans lequel il annonçait quelques nominations prochaines dans des sociétés d’État et dans la fonction publique. Rien à redire, d’honnêtes petits potins, qui méritaient une place dans les dernières pages du journal. Pour avoir droit à la première page, M. Lessard ajoute à ses prédictions quelques condiments destinés à faire plaisir à ses patrons. Un procès d’intentions : « Inquiet des sondages défavorables… le premier ministre (Bernard Landry) veut placer des hommes de confiance aux postes stratégiques ». Comment peut-il imputer au premier ministre un sentiment d’inquiétude et une motivation?

 « On compte ainsi présenter une image de renouveau… » Encore de la projection d’intention. Est-ce que c’est de l’information objective?

Citation d’une source anonyme : « Dans le fond, c’est un rouge, et eux, ils ne nous feront pas de cadeaux ». C’est si commode de pouvoir ainsi citer des sources anonymes pour faire passer ses insinuations!

Utilisation de l’expression péjorative « les officines péquistes », que n’emploierait pas un journaliste digne de ce nom. (Définition du Petit Larousse : « officine Péj. Endroit où se trame qqch. de secret, de nuisible, de mauvais »).

Le torchon de Lessard avait été publié en première page. J’avais écrit au journal pour protester contre cet exemple de journalisme tendancieux. On n’avait pas publié ma lettre, mais l’éditorialiste en chef André Pratte m’avait écrit pour me dire que Lessard était considéré par tous comme le meilleur des journalistes. (Cela ressemblait étrangement à ce que cherchait à enfoncer le courtisan dans le crâne du petit garçon qui disait que l’empereur était nu.) Pratte prétendait que ce journaliste exemplaire avait aussi utilisé le mot « officines » en parlant des libéraux. Si cela avait été vrai, vous croyez que Pratte, qui a à sa disposition les archives informatisées de son journal, n’aurait pas cité à quelle occasion et à quelle date?

Mais allez-vous bien finir par inventer quelque chose, nom de Dieu!

En 2002, en plein scandale des commandites, La Presse avait bien besoin d’un scandale pour éclabousser les souverainistes et ainsi équilibrer les choses. Denis Lessard s’est porté volontaire pour en fabriquer un. Citons l’article qu’il a pondu le 27 mars 2002 :

« Juste avant de revenir en politique active, au moment où il était premier vice-président du Parti Québécois, Bernard Landry a rempli un mandat pour Sylvain Vaugeois, dont les activités de lobbyiste ont été soulevées hier à l’Assemblée nationale. La Presse a appris que M. Landry, qui était alors professeur à l’Université du Québec à Montréal, avait obtenu pour le président du Groupe Vaugeois un rendez-vous avec Claude Béland, alors président du Mouvement Desjardins. »

À l’époque à laquelle il est fait référence (1994), M. Landry n’était pas en politique active et le Parti Québécois n’était pas au pouvoir. Le travail qui lui avait été confié consistait à régler un différend entre le Groupe Vaugeois et le Mouvement Desjardins. C’était bien mince, mais c’était tout ce que cet « excellent journaliste » avait pu dénicher. Il fallait bien faire avec. Pour compenser la vacuité des faits, La Presse a coiffé l’article d’un gros titre en première page et l’a juxtaposé avec un autre sur les activités de Groupaction, un des principaux acteurs des commandites. Quel pouvait être le but de Lessard et de son journal, sinon insinuer que Bernard Landry avait fait quelque chose de malhonnête?

L’art de donner le change

En novembre 2003, Jean Charest procédait à un grand nombre de nominations partisanes dans les sociétés d’État (une des nombreuses fois où il allait répéter une telle opération). André Pratte avait dû demander à Denis Lessard de faire semblant d’être objectif en faisant état de la nouvelle. Pour donner rétroactivement raison à son patron, Lessard emploie même l’expression « officines ». Mais il ne peut se résoudre à l’appliquer à Jean Charest ou au PLQ. Il parle plutôt des « officines politiques » en général.

Le journaliste énumère consciencieusement les différentes nominations partisanes, mais il ne peut laisser ça comme ça. Il utilise une tactique mise au point à Propagande Canada : ne jamais dire du mal des fédéralistes sans tout de suite prétendre que les souverainistes font la même chose. Il cite, entre autres, le cas de Claude Dauphin, qui avait été limogé par Jacques Parizeau comme délégué général du Québec à Boston. Il sort le canard qu’il avait lui-même propagé dans le temps, voulant que Parizeau ait exigé une profession de foi souverainiste de la part de M. Dauphin, et que celui-ci eût refusé. 1

Rappelons les faits. M. Dauphin était un ancien député libéral. Il n’avait aucune compétence en affaires intergouvernementales. Il n’avait jamais été autre chose qu’avocat ou politicien. C’était un antisouverainiste militant. Il a été président d’option Canada et directeur des Projets spéciaux du Conseil pour l’unité canadienne, deux organismes mis sur pied par le gouvernement fédéral pour contourner les lois québécoises et dépenser des sommes considérables pour faire de la propagande fédéraliste lors du référendum de 1995.

Entre exiger une profession de foi souverainiste et accepter un politicien antisouverainiste pour représenter le Québec, il y avait toute une marge. D’ailleurs, on n’a exigé aucune profession de foi du remplaçant de M. Dauphin. M. François Lebrun était diplômé en relations internationales de l’Institut d’études politiques de Paris et du London School of Economics and Political Science. Il avait été délégué du Québec à Toronto. Il avait aussi occupé différents postes, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. C’étaient là des qualifications suffisantes. Lessard, qui n’avait eu aucun commentaire lors de la nomination partisane de Dauphin, cherchant à trouver un exemple d’une telle nomination par le gouvernement péquiste, ne réussit qu’à trouver une nomination qui en est tout le contraire.

Autre exemple sorti par Lessard, le cas de M. Yvon Martineau, qui, selon lui, avait remplacé M. Richard Drouin et aurait été remplacé par M. André Caillé comme PDG d’Hydro-Québec. Il montre là son ignorance, confondant les postes de président du conseil d’administration et de président-directeur général. Dans les faits. M. André Caillé a succédé à M. Benoît Michel comme PDG. Tous deux nommés sous des gouvernements péquistes et ni l’un ni l’autre particulièrement souverainiste.

Un qui leur a tenu tête

En 2002 également, l’éminent journaliste avait cherché à éclabousser l’ancien ministre péquiste Yves Duhaime en rapport avec un travail de lobbyiste que ce dernier avait réalisé. Citons d’abord l’éditorial du 30 mai 2002 de M. Guy Crevier, président et éditeur de La Presse :

« Au cours des derniers jours, M. Yves Duhaime a lancé contre La Presse et son journaliste Denis Lessard des accusations que nous tenons à réfuter catégoriquement.

Les propos de M. Duhaime ont été tenus à la suite d’articles que nous avons publiés la semaine dernière, sous la signature de M. Lessard. Ces articles faisaient état du rôle de M. Duhaime comme lobbyiste, embauché par le Regroupement des marchands Métro-Richelieu pour faire des représentations auprès du gouvernement du Québec.

En conférence de presse vendredi dernier, M. Duhaime a mené une charge à l’emporte-pièce contre La Presse et contre M. Lessard, charge que nous ne pouvons pas laisser sans réponse.

Yves Duhaime soutient notamment que les articles rédigés par Denis Lessard constituent des « calomnies », « un échafaudage de demi-vérités et de mensonges», « un ramassis de soupçons».

Or, les reportages dont il est question sont le fruit d’une longue et minutieuse enquête, faite suivant les règles reconnues du journalisme. Les faits ont été vérifiés à plusieurs reprises. Nos sources sont crédibles et fiables. Par conséquent, La Presse maintient intégralement le contenu des textes qu’elle a publiés.

Lors de sa conférence de presse, M. Duhaime s’en est pris durement à la réputation de notre journaliste. Le travail acharné de Denis Lessard au cours de sa carrière lui a valu d’être l’un des journalistes les plus réputés du Québec. Dans ce dossier comme dans les autres qu’il a traités au cours des années, M. Lessard n’a compté ni ses heures ni ses efforts pour fournir à nos lecteurs les informations les plus complètes possible. La Presse est donc particulièrement fière de le compter au sein de son équipe.

Enfin, Yves Duhaime a accusé La Presse d’avoir publié ces textes pour « salir et attaquer» sa réputation. De plus, il nous a imputé des motifs politiques. Il a parlé « D’une très solide déclaration de guerre contre le gouvernement de Bernard Landry », et d’une manœuvre de « diversion» qui aurait eu pour objectif de détourner l’attention des Québécois des scandales qui animent les débats ces temps-ci à la Chambre des communes, à Ottawa. Ces propos paraissent particulièrement saugrenus du fait que c’est La Presse qui, le 17 mai dernier, a publié en exclusivité la nouvelle qui a valu au ministre Don Boudria d’être rétrogradé. Chacun sait que jamais au cours de sa longue carrière Denis Lessard n’a fait preuve de la moindre trace de partisanerie.

La Presse ne mène pas de guerre contre quelque gouvernement ou personne que ce soit. Notre seul objectif est de servir l’intérêt public par une information approfondie, objective et crédible. Lorsque des faits indiquent que des élus se sont placés en situation réelle ou apparente de conflit d’intérêts, cela est d’intérêt public. Lorsque des faits montrent que les citoyens n’ont peut-être pas un accès égal et équitable à leur gouvernement, cela est d’intérêt public.

Les médias jouent un rôle fondamental de chiens de garde de la démocratie. La Presse est fière de cette mission. Elle ne se laissera pas intimider.

M. Duhaime annonce une poursuite en diffamation. La Presse se défendra et défendra Denis Lessard avec la certitude que ces reportages ont été faits suivant les règles de l’art, et avec la conviction qu’ils ne visaient rien d’autre que de servir l’intérêt public. »

M. Duhaime intenta donc une poursuite contre La Presse. En 2006, les deux parties s’entendirent à l’amiable. Je cite l’article de Norman Delisle, de la Presse canadienne, du 4 octobre 2006 :

« Le journal La Presse reconnait que les sources du journaliste Denis Lessard, dans une série d’articles publiés en 2002 au sujet de l’ex-ministre péquiste Yves Duhaime, « n’étaient ni fiables ni crédibles». En conséquence, La Presse s’excuse des torts ainsi causés à M. Duhaime.

« Ces articles n’auraient pas dû être publiés», admet le quotidien montréalais dans une convention de règlement à l’amiable, signée récemment entre les deux parties et rendue publique mercredi. M. Duhaime et la direction de La Presse ont convenu d’un règlement pécuniaire dont tous deux refusent de dévoiler la teneur.

La convention de règlement à l’amiable mentionne toutefois que les parties pourront faire état publiquement de certains faits. Ces faits sont les suivants :

un règlement pécuniaire « satisfaisant» est intervenu entre les parties;

« La Presse convient que les sources, surtout les sources anonymes à l’origine des articles, n’étaient ni fiables, ni crédibles, et qu’en conséquence, ces articles n’auraient pas dû être publiés»;

« La Presse s’excuse si les articles ont causé quelque inconvénient que ce soit au demandeur (Duhaime) ».

Et M. Lessard dans tout ça? « Interrogé hier, l’éditeur adjoint Philippe Cantin n’a pas voulu faire d’autre commentaire que de dire que le journaliste Denis Lessard n’aurait aucune sanction disciplinaire pour ses fautes professionnelles et qu’il avait toujours toute la confiance de La Presse ». 2




« Il faut répéter» (Adolf Hitler) 3

Fort de cet appui inconditionnel de ses patrons, Lessard n’a pas manqué de continuer son beau travail. Par exemple, il accoucha, le 27 mai 2008, d’un petit bijou qui dut lui valoir d’autres éloges. C’était dans la foulée de l’affaire Maxime Bernier-Julie Couillard. Ce scandale concernait le gouvernement fédéral, un ministre de Stephen Harper forcé de démissionner. Il n’y avait pas eu un seul article, commentaire ou lettre de lecteur qui ait cherché à accrocher cette péripétie au fédéralisme. Le mot « fédéralisme» n’avait été utilisé par personne en rapport avec cette affaire. Mais dans un articulet d’environ 350 mots, Lessard parvient à insérer le mot « souverainiste» quatre fois. L’expression « le très souverainiste Bernard Landry », utilisée dans l’article, est reprise en exergue au centre de l’article. C’est le genre de propagande par la répétition que La Presse juge d’intérêt publique.

On peut mettre en parallèle la grande mansuétude de ses patrons envers Denis Lessard et le traitement accordé par d’autres médias à leurs journalistes. Prenons ce qui s’est produit au Journal de Sherbrooke en 2006. Un journaliste avait repris sans les vérifier des informations tirées du journal Le Québécois à l’effet que le chalet que louait le premier ministre Jean Charest à North Hatley faisait partie d’un pont d’or offert à ce dernier pour accepter de faire le saut du Parti progressiste conservateur du Canada au Parti libéral du Québec. Luc Lavoie, vice-président de Quebecor, avait déchiré ses vêtements : « Il s’agit d’une des fautes professionnelles journalistiques les plus majeures (sic) qu’il nous a été donné de voir ici». Le journaliste Alain Bérubé et son chef de pupitre Pascal Morin furent congédiés sur-le-champ et sans appel.

"Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir."
Jean de La Fontaine

M. Lavoie n’a pas voulu s’intéresser à la question fondamentale, qui était de savoir d’où provenaient les fonds qui permettaient à Jean Charest de se payer une maison d’une valeur de près d’un million de dollars à Westmount et de louer un chalet de la même valeur à North Hatley. On a le professionnalisme qu’on peut. On n’a appris que deux ans plus tard, et pas par M. Lavoie, que le salaire de premier ministre de Charest  était bonifié d’un montant de 75 000 $ payé par le Parti libéral du Québec.




Il peut être intéressant de savoir qui contribue à ce supplément de revenu garanti de M. Charest. Voici une liste non exhaustive de contributeurs à la caisse électorale du PLQ et des faveurs octroyées en retour :

 Marc-A Fortier, 2 400 $ au PLQ en 2003, nommé la même année PDG de la Société immobilière du Québec. (Source : Blogue-Média de Marcel Charland, 15 mars 2008.)

Pierre Brunet, 46 900 $ au PLQ de 1984 à 2004, nommé président du Conseil d’administration de la Caisse de dépôt et placement en avril 2005. (Source : Yves Chartrand, Le Journal de Montréal, 2 mars 2006.)

Claude Garcia, 12 895 $ au PLQ de 1980 à 2000, nommé au Conseil d’administration de la Caisse de dépôt et placement. (Source : idem.)

Alain Cousineau, 10 875 $ au PLQ en 14 ans, nommé PDG de Loto-Québec en 2003. (Source : idem.)

Claude Liboiron, 43 900 $ au PLQ de 1984 à 2004, nommé au Conseil d’administration de la Société du Palais des Congrès en 2004. (Source : idem.)

Claude Hallé, 38 972 $ au PLQ de 1984 à 2004, nommé vice-président de la SAAQ en 2005. (Source : idem.)

Roger Lefebvre, 3 628 $ au PLQ de 1985 à 1994, nommé président de la Commission du territoire agricole en 2004. (Source : idem.)

Norman E. Hébert jr, 2 000 $ au PLQ en 2004 et 1 000 $ en 2006, nommé président du Conseil d’administration de la Société des Alcools du Québec en 2006. (Source : blogue Bleu Québec, 2 juillet 2009.)

On ne saurait passer sous silence la belle contribution de la famille Desmarais et des membres des conseils d’administration du groupe Power Corporation : 285 000 $ au PLQ depuis 2000. (Source : blogue Argent, 20 janvier 2009.) Dans le cas de cette famille de milliardaires, il n’était pas question de leur octroyer un poste dans une société d’État. Mais Jean Charest a trouvé moyen de les récompenser : il a nommé André et Paul Desmarais à l’Ordre national du Québec.

Un pavé dans la mare aux grenouilles

En 2001, coup de tonnerre dans le ciel serein de la propagande anti-québécoise. Le journaliste Norman Lester, écoeuré de voir qu’on laissait cette propagande aller son petit bonhomme de chemin, décide de rendre les coups pour une fois. Il publie Le livre noir du Canada anglais, dans lequel il décrit des actions peu reluisantes du Canada anglais. Le plus embêtant, pour La Presse,  c’était qu’on ne pouvait mettre en application la procédure habituelle dans un tel cas, c’est-à-dire passer la chose sous silence, en espérant que peu de gens lisent ce livre, vu qu’on n’en parle pas dans les journaux. En effet, le 18 novembre 2001, Radio-Canada suspend Norman Lester, estimant qu’il a enfreint la politique journalistique de la société en présentant une vision partiale de l’histoire du Canada. Il n’y a plus moyen de cacher la chose.

Dites n’importe quoi, mais dites quelque chose!

On applique alors le plan B, c’est-à-dire, comme dans les films western, disposer les chariots en cercle et faire feu à volonté sur l’ennemi. Tous les éditorialistes et chroniqueurs sont tenus d’apporter leur contribution à la condamnation, soit de Lester, soit de son ouvrage. Un des arguments les plus utilisés est que Lester généralise à partir de cas d’exception. Par exemple, Michèle Ouimet écrit : Lester fait appel à tout ce qu’il y a de plus francophobe au Canada. Il cite de longs extraits de Diane Francis, Bill Johnson, Mordecai Richler ». Mme Ouimet fait semblant d’ignorer que le livre de propagande anti-québécoise de Richler a été acclamé presque unanimement au Canada anglais; que les journalistes de Windsor, en Ontario, ont décerné le pris Quill à Richler; que l’historien Ramsay Cook ne tarissait pas d’éloges à l’endroit de son livre, estimant qu’il « mettait l’accent sur la primauté des droits de l’homme »; que Richler a été nommé Compagnon de l’Ordre du Canada, etc. Que Diane Francis est rédactrice en chef d’un journal à grand tirage de Toronto.

Les commentaires de Lysiane Gagnon sont de la même farine : « Il (Lester) met un tel acharnement à confondre quelques extrémistes avec l’ensemble du Canada anglais… » Elle pose une question : « Combien de cris et hurlements aurait-on entendus si le directeur de l’information de La Presse avait publié un ouvrage sur la promotion du fédéralisme? » Doux Jésus! C’est tout le journal, qui appartient à la famille Desmarais, laquelle est cul et chemise avec l’establishment fédéraliste, qui est un organe de propagande du fédéralisme, que ce soit dans les pages d’opinions ou dans les pages d’information!

Le tort de M. Lester n’était pas d’avoir enfreint un devoir de réserve, qui n’existe pas, mais d’avoir osé donner la réplique à tous ces journalistes et animateurs de lignes ouvertes, au Canada anglais, qui déversent quotidiennement leur bave sur le Québec et les Québécois. Il fallait que ces personnes puissent continuer leur excellent travail en paix. C’était très utile d’entretenir ce fanatisme au Canada anglais et chez les quelque vingt pour cent de Québécois qui s’abreuvent à ces sources. Surtout, il ne fallait pas informer les autres Québécois de ce qui se passait

Pour ma part, je ne crois pas que tous les Canadiens anglais sont à l’image de Richler et Francis, mais je ne crains pas d’affirmer que la plupart des faiseurs d’opinions du Canada anglais sont du même modèle.

La politique journalistique de Radio-Canada (quand ça l’arrange)

M. André Pratte, lui, essaie de justifier le traitement infligé à Lester par Radio-Canada : « … en dehors de son travail, un journaliste peut-il diffuser ses penchants politiques? La réponse est non… Norman Lester savait qu’en écrivant un pamphlet, Le livre noir du Canada anglais, il mettait le pied sur un terrain qui serait miné dans n’importe quelle entreprise de presse ».

Je me souviens pourtant d’un soir, juste avant le référendum de 1995, où MM. Jean-François Lépine et Bernard Derome interviewaient respectivement Mario Dumont, du camp du Oui, et Jean Charest, du camp du Non. Lépine se montrait on ne peut plus hostile envers son interlocuteur. Il l’apostrophait : » Qui êtes-vous pour nous dire comment voter? » Tout de suite après, Derome adoptait un ton doux et protecteur avec Jean Charest, comme celui que prennent des animateurs lorsqu’ils s’adressent à un enfant. Lépine, Derome et leur réalisateur ont-ils été sanctionnés pour cette mise en scène? Non.

Je me souviens aussi qu’après le référendum, le 1er novembre 1995, le journaliste André Pratte signait un billet dans les pages d’opinions de La Presse, « Les Québécois l’ont peut-être échappé belle ». Le journal a-t-il fait des reproches à son journaliste? Non, on s’est empressé de publier son texte, en prenant bonne note que cet employé était de la graine d’éditorialiste.

Le bon soldat Foglia

La palme du pharisaïsme, à La Presse, revient à Pierre Foglia. Ce chroniqueur est capable de produire des textes de qualité, qui arrivent souvent à nous faire rire ou à nous émouvoir. Il aime aussi étonner le lecteur, en exprimant des opinions fantasques, ou faire un peu la pute auprès de certains lecteurs qui affectionnent les grossièretés. Mais il n’est jamais aussi pute que lorsqu’il juge que c’est à son tour de faire du  damage control. Il peut faire le fanfaron, comme lorsqu’il a fait semblant de se porter à la défense d’Yves Michaud 4, ramant à contre-courant des autres éditorialistes et chroniqueurs de son journal, mais il se dédouane auprès de ses patrons en proférant une belle grosse vacherie : « M Michaud est un être déplorable ». 2 Sans aucune explication. C’est le parfait coup de pied de l’âne.

 Bien entendu, Foglia se sent obligé de se joindre au concert des autres scribes de son journal dans l’affaire Norman Lester. Ce dernier avait commencé son texte en prononçant quelques énormités, justement du genre qu’affectionne Foglia : « Les Anglais… jalousent par ailleurs les femmes, la nourriture, la géographie et le climat… » Dans la conversation, on peut faire des facéties comme celles-là. Un sourire en coin, un air pince-sans-rire, font comprendre à l’interlocuteur qu’on ne parle pas sérieusement. Dans un texte, on ne dispose pas de ces moyens visuels. Si le lecteur n’a pas le sens de l’humour, ou fait semblant de prendre ce que l’on dit au pied de la lettre, on est cuit. Dans ce cas-ci, juste la supposition farfelue que l’on pourrait envier notre climat devrait suffire à faire comprendre à une personne moyennement intelligente que l’auteur parle en riant. Mais Foglia, sérieux comme un chanoine, y trouve le prétexte pour ne pas lire un ouvrage qu’il n’aurait pas le courage d’écrire et pour le condamner en même temps. Et lui qui ne voudrait jamais que la CBC fasse taire Don Cherry (« ce serait de la censure! ») approuve tacitement les mesures draconiennes prises par Radio-Canada à l’endroit de Lester.

J’écrivais à La Presse, le 17 décembre 2001 :

Lester montre de façon convaincante qu’il y a une campagne de propagande haineuse qui sévit au Canada anglais contre le Québec. Si ce que M. Lester donne comme exemple ne suffit pas, nous pouvons vous en donner d’autres. À l’infini. Pourquoi ne dites-vous jamais rien de cette campagne stridente et incessante? Pourquoi cherchez-vous à la cacher?...

La caricature parue dans votre journal, le lendemain du jour où M. Lester a démissionné de Radio-Canada, nous aide à comprendre pourquoi tant de journalistes acceptent de se déshonorer jour après jour. On y voit M. Lester, attendant anxieusement à côté de son téléphone que quelqu’un daigne lui offrir du travail. Les journalistes, columnists et éditorialistes s’imaginent eux-mêmes dans cette situation précaire si un jour ils osaient se rebeller. Pour conserver leur emploi, ils plient l’échine. Et le fait qu’un des leurs ait eu le courage qu’ils n’ont pas constitue pour eux un cuisant reproche. Ils ne l’en détestent que plus.

Le jour où l’on écrira l’histoire de notre époque, si l’on vous compare aux Jean Luchaire, Robert Brasillach et Philippe Henriot de la France occupée, ce ne sera pas parce que vous aurez défendu le fédéralisme, même dans la version caricaturale qui est pratiquée au Canada. Car on vous accordera le bénéfice du doute, en disant que peut-être, après tout, étiez-vous sincères. Mais pour avoir cautionné la propagande de haine contre votre peuple, en la cachant délibérément, pour avoir fait du damage control  les rares fois où vos efforts ne réussissaient pas à empêcher qu’un coin du voile soit levé, pour cela, il sera difficile de vous trouver des excuses.

Peut-être espérez-vous que les forces centralisatrices auront triomphé. Et qu’alors l’Histoire sera réécrite selon des normes édictées par Propagande Canada. Une histoire où la déportation des Acadiens n’aura pas été un génocide, où la famine créée délibérément en Irlande par les Anglais n’aura pas été un crime contre l’humanité, où les camps de concentration construits par les Britanniques durant la guerre des Boërs, où l’on entassait les femmes et les enfants, et où ils mouraient par milliers de faim et de maladie, ne seront pas considérés comme les précurseurs des camps de la mort d’Hitler. Il aura suffi d’être du côté des vainqueurs.


NOTES DU CHAPITRE 10

  1. La Presse, 11 novembre 2003.
  2. Le Journal de Montréal, 5 octobre 2006.
  3. «  La masse met du temps à comprendre et à retenir », Adolf Hitler, cité dans Jacques Ellul, Propagandes, Librairie Armand Colin, Paris, 1962, p. 69.
  4. La Presse, 16 décembre 2000.
  5. On se souviendra que le Parti Québécois, et toute l’Assemblée nationale avec lui, s’étaient couverts de honte en condamnant sans l’entendre le simple citoyen  Yves Michaud, parce qu’il avait exprimé des opinions qui n’avaient pas plu au B’nai B’rith, entre autres celle-ci : « En plus du martyre des Juifs par les nazis, il y a eu d’autres génocides, ceux des Arméniens et des Palestiniens, par exemple ». Plusieurs personnes s’étaient portées à la défense d’Yves Michaud, mais La Presse n’avait pas permis que soit publiée une seule lettre qui protestait contre le traitement qui lui avait été réservé. Parmi ses défenseurs, il y eut entre autres M. Jean-Yves Desrochers qui, sur le forum Avant-garde Québec, le 15 décembre 2001, citait «Elie Wiesel, Prix Nobel 1996 : « We must remember the suffering of my people, as we must remember that of the Ethiopians, the Cambodgians, the boat people, the Palestinians, the Mesquite Indians, the Argentinian desaparecidos – the list seems endless ».






Chapitre 11

 

Le Jean Charest nouveau

 

Avènement d’un Messie

Quand Daniel Johnson annonça son départ du poste de chef du PLQ en 1998, une bonne partie de la presse du Canada anglais se mit à exhorter Jean Charest de poser sa candidature pour le remplacer. The Globe and Mail publiait un éditorial à cet effet le 3 mars 1998 et présentait en première page une très grande photo du nouveau Messie. The Ottawa Sun titrait : « Qui sauvera le Canada maintenant? » et publiait un éditorial intitulé « Run ». The Toronto Star estimait que l’intérêt du Canada devait avoir priorité sur toute autre considération. The Montreal Gazette : « Il doit à sa province et à son pays de faire face à la musique ». Cette campagne comportait des éléments de coercition à l’endroit du sauveur en puissance : « Le sens du devoir lui impose… il n’a pas le choix » étaient des expressions récurrentes.

À la station radiophonique CIQC, la cabale était trépignante. D’ailleurs, juste avant d’annoncer sa décision de se porter candidat, Jean Charest accordait une entrevue des plus complaisante à l’aimable Jim Duff, celui-là même qui, peu de temps auparavant, excitait ses auditeurs en leur posant la question : «Croyez-vous que les petits Canadiens français apprennent le racisme à l’école comme les nôtres apprennent l’arithmétique et la grammaire? » Le futur chef du PLQ ne négligeait aucune faction. Ne déclarait-il pas devant des partisans,  « Nous avons réussi à préserver cette langue et cette culture parce que nos voisins des autres provinces canadiennes étaient des alliés, des amis » ?

Quand Charest se décida à obtempérer aux injonctions des fédéralistes et se porta candidat au poste de chef du Parti libéral du Québec, les agents de Propagande Canada l’accueillirent comme d’enthousiastes pom-pom girls. Le 25 mars 1998, la veille de l’annonce officielle de sa candidature, la télévision de Radio-Canada nous montra et nous fit entendre une demi-douzaine de militants libéraux chantant les louanges du futur chef. Un de ces militants revint deux fois pour faire bonne mesure.

Radio-Canada a dû trouver que la formule était bonne, car le 27 mai, c’est une douzaine de politiciens antisouverainistes qui paradent au micro. Ensuite, à l’émission Le Point, Jean-François Lépine accueille Charest pour une longue entrevue. Le ton du journaliste de La Presse est tendre, il laisse Charest donner ses réponses toutes préparées, sans jamais chercher à le confondre.

Le 28 mars, c’est la barque amirale de Propagande Canada qui prend le relais. La Presse publie un éditorial, « Une entrée réussie », de Pierre Gravel, favorable au nouveau chef. Lysiane Gagnon fait sa part avec une chronique dans laquelle elle écorche Guy Chevrette, qui a osé critiquer Charest. À la page B4, on affiche sept photos du nouveau chef. En page B5, une autre photo, au cas où ça ne serait pas assez.

En plus d’encenser le nouveau chef du PLQ, le journal y va de sa propagande contre le PQ. « Bouchard se refuse à lever l’hypothèque du référendum » peut-on lire à la page B1. Pas de guillemets, La Presse affirme péremptoirement qu’un référendum sur la souveraineté serait une hypothèque pour le Québec.

À CIQC, on discutait d’une question de la plus grande importance. La photo en première page de La Presse était-elle la plus appropriée pour la circonstance. Ce n’était pas une photo négative comme on en a publié souvent de René Lévesque et de Jacques Parizeau, où on montrait le sujet regardant à terre, ou trébuchant, ou crispé de fatigue. Non, c’était une photo où Charest avait l’air sûr de lui, voire triomphant. Un des auditeurs de ce poste de radio, qui se disait photographe, ne prétendait pas le contraire d’ailleurs. Mais il aurait préféré que l’éditeur de photos garde celle-là pour un moment où elle ferait plus d’effet.

Quel beau spectacle que cette communion des propagandistes francophones et anglophones pour atteindre le but sacré! Et personne pour trouver étrange qu’un chef conservateur fédéral puisse devenir du jour au lendemain chef libéral au Québec. Il ne s’agissait que de trouver un mannequin qui bénéficierait de l’appui de Propagande Canada. Une fois un peu épousseté, il ferait très bien l’affaire.

Jean Charest avait été ministre de Brian Mulroney. Il avait été forcé de démissionner une fois pour une question de pressions inconvenantes auprès d’un juge. Mais cette gaffe lui avait été rapidement pardonnée et il avait réintégré le conseil des ministres. Il avait été chargé par Mulroney  de présider un comité pour pondre une résolution d’accompagnement de l’Accord du lac Meech. Ce comité, entre autres, pressait « les premiers ministres de donner des assurances que l’Accord du lac Meech n’entrave pas le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral… ». Après la retentissante défaite des conservateurs de Kim Campbell en 1993, il avait réussi à se faire élire chef des troupes décimées du Parti conservateur. Il s’était surtout fait un nom comme vice-président du comité du Non lors du référendum de 1995. Dans cette fonction, il avait argué que le Québec pourrait être partitionné s’il optait pour l’indépendance. Rien pour déplaire aux fédéralistes, en particulier aux scribes de Propagande Canada.

À l’époque, on ne savait pas encore que le célèbre lobbyiste Karlheinz Schreiber avait donné de l’argent comptant à Robert, frère de Jean Charest, pour aider ce dernier dans sa course à la chefferie du Parti conservateur. Selon Schreiber, c’était 30 000 $, selon Charest 10 000 $. On ne savait pas non plus que ce même Robert s’était vu offrir une prolongation de contrat par la Société immobilière du Canada. Selon Michel Couillard, qui était à l’époque vice-président directeur-général de cet organisme, Alfonso Gagliano et son chef de cabinet Jean-Marc Bard avaient fait des pressions pour que ce contrat soit prolongé : « Son frère saute dans l’arène provinciale et les libéraux fédéraux veulent aider 1. » Enfin, on ne savait pas que le PLQ avait garanti à Jean Charest un revenu de 75 000 $ qui s’additionnerait à son salaire de député et de premier ministre ou chef de l’Opposition. Ces informations auraient-elles changé quoi que ce soit à l’accueil enthousiaste de La Presse à Jean Charest ? Non. Il était celui que les fédéralistes avaient choisi. Il fallait l’appuyer. Et si ça ne marchait pas, on s’en trouverait bien un autre.

Y’en aura pas d’faciles

Le succès de Jean Charest sur la scène québécoise ne vint pas aussi rapidement que l’auraient souhaité les fédéralistes. Malgré l’appui de Propagande Canada, il ne put triompher de Lucien Bouchard en 1998. Mais la machine se remit au travail. On tirait à boulets rouges sur le Parti Québécois au pouvoir. Dans son éditorial du 6 septembre 2002, André Pratte déclarait que le gouvernement et le Parti Québécois étaient « totalement déconnectés de la population du Québec ». En exergue, on pouvait lire : « Le gouvernement Landry (Bernard Landry ayant succédé à Lucien Bouchard) est divisé et déboussolé ». Pourtant, le gouvernement péquiste avait quelques réussites dignes de mention à son actif : atteinte du déficit zéro, loi sur l’équité salariale, mise sur pied des garderies à cinq dollars, etc. L’éditorial de Pratte du 1er mars 2003, à l’approche des élections, est de la même mouture. À l’endroit des péquistes, des pointes acérées : « … État dépensier… cohérence perdue… problème d’efficacité… électoralisme… ». À l’endroit du PLQ, des fleurs : « … recentrage de l’État sur ses missions fondamentales… priorité des citoyens… connaissance fine du système (de santé)… Les libéraux ont fait leurs devoirs… » À peine quelques petites critiques polies.

Avec cet appui des propagandistes et la tradition québécoise de n’accorder que deux termes complets consécutifs au même parti, Jean Charest fut porté au pouvoir en 2003.

Le nouveau gouvernement commit plusieurs bourdes. Charest avait promis de réduire les impôts d’un milliard par année. Il n’en fit rien. Il avait promis de ne pas augmenter le coût des garderies. Il les augmenta de 40 %. Il n’avait jamais rien dit d’une privatisation possible du Mont Orford. Il se lança dans ce projet. De plus, Jean Charest s’était entouré de conseillers qui avaient été éclaboussés par le scandale des commandites. En 2007, le PLQ fut réélu pour un second mandat, mais avec un gouvernement minoritaire, l’ADQ devenant l’opposition officielle.

Laisse-nous faire

 Les propagandistes ne se découragent jamais. On rencontre un obstacle, un contre-argument, on le contourne. Comme des fourmis. On songea à changer de porte-couleur, Philippe Couillard parut un moment plus facile à faire avaler, mais finalement on décida plutôt de lancer la campagne « Le Jean Charest nouveau ». C’est comme si les stratèges avaient dit à Charest, « Tu ne fais rien, s’il y a des événements défavorables, toi et tes ministres, vous vous tenez à l’écart, contentez-vous d’être présents aux inaugurations d’usines. Laisse-nous faire. Nous allons te créer une image. »

Charest s’est conformé aux directives à la lettre. Une émeute à Montréal-Nord? Aucun ministre provincial ne se montre le nez. La panique de la listériose force des détaillants à jeter aux rebuts leurs stocks de fromages, sans qu’aucune analyse n’ait décelé la présence de la bactérie? On ne voit et on n’entend que des fonctionnaires justifier ces actions désespérées. Les ministres du gouvernement Charest se tiennent loin. Mais quand le calme sera revenu et que le gouvernement annoncera des prêts aux fromagers en guise de compensations, ce sera un ministre qu’on verra à la télévision.

Les journaux de Gesca ne manquèrent pas de respecter leurs engagements. Les éditorialistes, les chroniqueurs et même les journalistes affectés aux nouvelles répétèrent le refrain du « Jean Charest nouveau » et donnèrent constamment une place favorable aux membres de son gouvernement.  Voyons Le Nouvelliste du 6 mai 2008 à titre d’exemple. À la une, une photo couleur de Jacques Dupuis, ministre de la Sécurité publique, avec titre et sous-titre impressionnants : » DUPUIS DEMANDE DES COMPTES » et « Le ministre souhaite faire la lumière sur la stratégie utilisée par les policiers lors de la disparition de Cédrika ». Le lecteur est amené à imaginer le ministre libéral, tel Superman, réglant à lui seul le douloureux problème de l’enlèvement de la petite fille. L’article en page 2, accompagné d’une autre photo du ministre, parle de « l’engagement pris par Jacques Dupuis à l’endroit des proches de Cédrika ». Évidemment, il n’y a eu aucune suite à ces manchettes et à cet article. Personne n’a demandé des comptes à Dupuis. Ce n’était qu’une occasion d’exploiter ce drame pour faire une publicité favorable au ministre.

Également à la une de ce même numéro du journal, on a droit à une photo couleur de la ministre Julie Boulet et du ministre Claude Béchard, accompagnés de la mairesse de Shawinigan Lise Landry. On annonce un montant de 25 millions en cinq ans pour assurer l’avenir de l’usine Laurentide d’AbitibiBowater. La légende sous la photo se termine par cet avertissement : « le sort de la papeterie repose maintenant entre les mains des travailleurs. » En page 3, nouvelle photo des mêmes personnages, une photo de l’usine et deux articles sur le sujet. Page 5, encore une photo des ministres Boulet et Béchard avec des représentants syndicaux, un article intitulé « Encore des efforts à fournir pour les travailleurs. » Pour faire bonne mesure, la chronique de Jean-Marc Beaudoin proclame : « Les regards tournés vers le syndicat. »

Ce n’est pas que le plan de sauvetage de cette usine n’ait pas été une nouvelle importante, mais tout ce battage publicitaire en faveur des ministres? Ne faudrait-il pas alors que des photos de ministres accompagnent chaque fermeture d’usine au Québec? Par exemple de l’usine Belgo, de Shawinigan, et de l’usine de Donnacona, de cette même AbitibiBowater, de la Kruger à Trois-Rivières, etc. ?

Sus à l’ennemi

Dans le cadre de cette campagne en faveur du « Jean Charest nouveau », on ne se contente pas d’encenser ce dernier et ses ministres, mais on tire à boulets rouges sur les chefs du Parti Québécois. Pour André Boisclair, c’était relativement facile, il suffisait de rappeler subtilement son orientation sexuelle et le fait qu’il avait déjà consommé de la cocaïne. C’était plus corsé dans le cas de Pauline Marois. On s’est mis alors à rappeler le caractère luxueux de la résidence du couple Marois-Blanchet à l’Île-Bizard, question de susciter des sentiments d’envie chez les électeurs. Par contre, il ne fallait pas parler de la propriété pharaonique dans Charlevoix de Paul Desmarais, grand patron de Power Corporation, donc de Gesca. On devait passer aussi sous silence la maison de Jean Charest à Westmount et le luxueux chalet qu’il loue à North Hatley. Dans ce dernier cas, ce pourrait être embarrassant, car si on sait que le couple Marois-Blanchet a fait fortune dans l‘immobilier, on ignore d’où vient l’argent qui a permis au premier ministre d’acheter cette maison et de louer ce chalet.

En plus de s’attaquer à la fortune personnelle de Pauline Marois, on s’en prend également aux idées qu’elle met de l’avant en tant que chef du Parti Québécois. Y a-t-il un seul éditorialiste ou chroniqueur dans les journaux de Gesca qui n’a pas insinué que son projet de loi sur la citoyenneté québécoise retirait des droits à des citoyens? Je dis « insinué », car on se garde bien de dire clairement quels citoyens perdraient quels droits. Et pour cause. Voici ce que dit ce projet de loi :

« Le Parti Québécois souhaite que soit instituée une citoyenneté québécoise. Cette citoyenneté serait offerte à tous les citoyens nés et domiciliés actuellement au Québec et détenant la citoyenneté canadienne. Cette citoyenneté serait également attribuée à tout immigrant qui serait en mesure de démontrer une connaissance appropriée de la langue française et du Québec. »

On pourrait avancer comme argument que le citoyen canadien actuel qui n’est pas résident du Québec ne pourrait venir s’y installer et devenir automatiquement citoyen québécois sans satisfaire à aucune condition. Mais c’est exactement ce que le Canada lui-même a fait en 1975. À venir jusque-là, tous les sujets britanniques devenaient automatiquement citoyens canadiens en immigrant ici. Pour les employés obéissants de Propagande Canada, c’est déjà assez qu’on ait reconnu que le Québec forme une nation, s’il fallait en plus qu’on lui reconnaisse le droit de choisir ceux qui en font partie, ce serait vraiment « le boutte de toutte ».

Mme Marois ne devrait pas s’en faire si elle est la cible des propagandistes. Ce n’est rien de personnel. C’est juste que le chef du Parti Québécois incarne l’idée de souveraineté et qu’il faut donc s’en prendre à ce titulaire. Ils n’ont pas ménagé André Boisclair tant qu’il a représenté cet idéal, mais après qu’il eût perdu ses élections, il rentra en grâce et on a même versé des larmes de crocodile sur son sort, tout en jetant l’opprobre sur le PQ. : «Tueurs de chefs… les chiens sont lâchés… buveurs de sang (Yves Boisvert)… Il risque de se faire planter un couteau dans le dos (Vincent Marissal)… le nouveau chef a été victime du programme radical que les durs lui ont imposé (Alain Dubuc)… Les péquistes auraient tout à fait tort de faire de leur chef le bouc émissaire de leur défaite (Lysiane Gagnon). On n’a pas utilisé de tels propos lorsque Daniel Johnson, Kim Campbell, Paul Martin ont démissionné après un court règne.

Le grand test de la propagande, les élections

Quand les sondages indiquèrent que la propagande pro-Charest avait donné tout son jus, les stratèges conseillèrent au premier ministre libéral de déclencher des élections pour obtenir un gouvernement majoritaire : « Vas-y mon gars, on va te couvrir.» Comme dans les westerns. On l’a certainement « couvert». Répondant à Claude Morin, qui l’avait interpellé dans La Presse parce qu’il défendait la décision de Charest de déclencher des élections en plein hiver par pur calcul politique, André Pratte se justifie : « J’ai seulement écrit qu’on ne pouvait le leur reprocher (aux libéraux) de profiter d’une conjoncture prometteuse. Imaginez un instant que les sondages aient été favorables aux partis de l’opposition; ceux-ci auraient-ils hésité à battre le gouvernement à l’Assemblée? » 2. Évidemment, la question n’est pas de savoir si les partis d’opposition auraient agi par opportunisme, mais si André Pratte leur aurait donné sa bénédiction. Car son argument est celui d’un partisan politique, et non d’un éditorialiste objectif.

Autre exemple d’objectivité. Le 7 décembre 2008, donc la veille même des élections, Alain Dubuc écrit : « Ensuite, l’idée qu’il faut empêcher Jean Charest d’être majoritaire comme on l’a fait pour Stephen Harper ne tient pas la route, parce que le chef libéral n’a pas d’intentions cachées. »  On aurait pourtant cru que le propre des intentions cachées, c’était d’être … cachées. Ce serait inquiétant qu’Alain Dubuc soit informé des intentions de Jean Charest alors que la population ne l’est pas. Mais après tout, ils sont tellement cul et chemise. Par exemple Dubuc aurait su d’avance en 2003 que la promesse de réduire les impôts d’un milliard par année n’était que de la frime, mais il aurait quand même déclaré que le « cadre financier» de Charest était solide. Il aurait été au courant que la promesse de ne pas augmenter le coût des garderies n’était pas sincère, que les libéraux avaient l’intention de privatiser le Mont Orford, mais il aurait gardé ces informations pour lui. Ou alors, il ne connaît pas les intentions de Charest, mais il se permet d’affirmer qu’il n’y en a pas de cachées. Quelle que soit l’interprétation, on ne peut en arriver qu’à la conclusion qu’Alain Dubuc, de même que l’ensemble du journal La Presse, ne sont que des agents de publicité du PLQ.

Vers la fin de la campagne électorale, elle se confond avec les difficultés du gouvernement minoritaire de Stephen Harper, menacé par une coalition Part libéral-NPD appuyée par le Bloc Québécois. Les forces de Propagande Canada tournent leurs canons contre cette coalition pour deux raisons. D’abord parce que Jean Charest en a fait un argument en faveur de ce qu’il demande, un gouvernement majoritaire. Et aussi, il ne faut pas permettre au Bloc de jouer son rôle à Ottawa, celui de défenseur du Québec. En effet, que deviendrait l’argument, martelé à satiété par les propagandistes, que le Bloc ne peut rien faire au Parlement fédéral? Les journaux de Gesca se déchaînent : « Un putsch, rien de moins (Lysiane Gagnon) … Ce qui se rapproche le plus d’un coup d’état (Vincent Marissal) … une folie à trois (Yves Boisvert) … vaudeville (André Pratte). »

Harper avait voulu gouverner comme si les Canadiens lui avaient donné un mandat de dictature pour quatre ou cinq ans, même s’il n’avait obtenu que 37 % des suffrages. Pris à son propre piège, il a instinctivement puisé dans les réserves de sentiment anti-québécois au Canada anglais pour se rétablir : « L’accord avec les séparatistes est une trahison! » Des éditorialistes et d’autres politiciens l’approuvent :

The Edmonton Journal, 2 décembre 2008 : « Ce qui rend la situation encore plus odieuse, c’est la réalité que cette coalition ne survit que parce que le Parti libéral et le NPD s’entendent avec le Bloc québécois - - un parti qui recherche la séparation (du Québec) d’avec le Canada. »

The Windsor Star, 2 décembre 2008 : « Un gouvernement de coalition… Un acte de trahison? »

Brad Wall, premier ministre de la Saskatchewan, dans The Globe and Mail, le 3 décembre 2008 : « Le pacte des libéraux fédéraux et des néo-démocrates pour former une coalition appuyée par le Bloc québécois est comparable à passer un pacte avec des vandales. »

The National Post, 2 décembre 2008 : « Puisque l’objectif du Bloc est de démanteler le Canada, toute entente qui l’approche ne serait-ce que d’un pouce de ce but est une trahison éhontée de notre pays. »

Michael Ross, dans The Globe and Mail, 5 décembre 2008: “On n’a pas arrêté de nous enfoncer dans la gorge que le Québec est une entité culturelle et une nation spéciale, distincte, unique, séparée et quoi d’autre encore. Mais une coalition des partis de l’opposition se réunissant avec la collaboration dûment signée du Bloc québécois pour former un gouvernement représente un saut dans l’absurde. »

Cependant, les scribes de Gesca ne voient rien de tout cela. André Pratte pond un éditorial; « Où ça, du Quebec bashing? » 3. Patrick Lagacé : « ...pas vu de Quebec bashing » 4 . Prétendre que les indépendantistes québécois  n’ont pas le droit de participer directement ou indirectement au gouvernement du pays, ce n’est pas du Quebec bashing? Qu’ont donc le droit de faire les députés que les Québécois ont élus en majorité?

Recette pour utiliser l’argument de l’économie

On active aussi l’argument de l’économie, pour endosser les thèses de Charest. Le 5 décembre 2008, un titre de la première page de La Presse proclame « La crise politique chahute le huard» et renvoie au cahier La Presse affaires. Là, le titre est repris, avec en exergue : « Le pire scénario aurait été que la coalition prenne le pouvoir. J’ai l’impression que le dollar canadien se serait déprécié encore plus.» Le journal avait dégoté des « experts» complaisants à la Banque Nationale et à la BMO pour faire cette analyse. Depuis plusieurs mois, la valeur du dollar canadien avait baissé à mesure que le cours du pétrole diminuait. (Si bien d’ailleurs qu’en tête des pages économiques, on ne citait plus seulement les indices des bourses et le taux de change du dollar, mais également le prix du pétrole). Mais ce jour-là, selon les propagandistes, la valeur du huard n’était reliée qu’à la conjoncture politique canadienne!  Évidemment, cela venait appuyer le plaidoyer d’André Pratte en faveur de Jean Charest en page éditoriale : « L’intérêt du Québec exige l’élection d’un gouvernement (libéral) majoritaire. » Le 10 décembre, Charest ayant obtenu son gouvernement majoritaire et la probabilité que la coalition prenne le pouvoir ayant reculé, le pétrole baisse encore et, par conséquent, le dollar. Le journal ne trouve pas un « expert» pour analyser le phénomène et le relier à la conjoncture politique. La nécessité d’exploiter les nouvelles économiques à des fins partisanes n’existe plus.

Ces tactiques avaient été abondamment utilisées lors du référendum de 1995. En temps normal, les fluctuations des bourses canadiennes sont expliquées en fonction de différents facteurs, souvent américains : bons ou mauvais résultats de telles grandes entreprises, variations du taux directeur de la Réserve fédérale, investissements des entreprises, etc. Mais en ce temps de référendum, dans les pages économiques de La Presse, seuls les sondages sur les intentions de vote expliquaient les soubresauts des bourses. Si un sondage montrait le Oui en hausse et un recul des bourses, c’était attribuable à la crainte du Oui. Si le Oui montait, mais que les marchés ne baissaient pas, c’était parce que la possibilité d’une victoire du Oui était déjà escomptée.

Le 8 octobre 1995, en page A7 de La Presse, une manchette annonçait « Quand les déclarations de Campeau (alors ministre des Finances et du Revenu du gouvernement du Québec) font sourciller Normura » avec une photo d’un Japonais qui semble en train de donner son vote. Si l’on regardait de très près, on s’apercevait que l’article datait de février 1995. En fait, il n’y avait absolument rien dans l’article qui justifiait le titre. On y décrivait Normura comme le plus grand courtier en valeurs mobilières au monde. Puis on pouvait lire comment un Canadien anglais, Nick Bonellos, cherchait à nuire aux titres du Québec en soulignant une déclaration de Campeau. On pouvait lire aussi : « Quant aux Japonais, ils ne sont pas du genre à vendre sur la base d’une manchette alarmiste». Aucune mention d’un sourcillement de Normura.

Le 24 avril 1995, un article était titré « Le monde des affaires craint un exode massif des jeunes advenant un Oui ». En lisant l’article, on apprenait que ce n’était pas « le monde des affaires» qui se prononçait, mais M. Pierre Côté, président d’un groupe appelé Conseil québécois des gens d’affaires pour le Canada.  C’était un groupe opérant dans les bureaux du Conseil pour l’unité canadienne et financé à 100 % par cet organisme par l’entremise d’Option Canada.

Encore et toujours

Une fois les élections de 2008 terminées, les journaux de Gesca continuent sur leur erre d’aller. On n’aura pas de répit.  Le 17 décembre, Le Nouvelliste fait état de l’assermentation des 66 députés libéraux : en première page, photo couleur de Jean Charest avec la nouvelle députée de Trois-Rivières, Danielle St-Amand ; en page 2, photo couleur de Julie Boulet; en page 3, re-photo couleur de Jean Charest et de Danielle St-Amand, plus photo couleur du député Jean-Paul Diamond. Le 19 décembre, c’est le moment de mentionner l’assermentation des 51 députés du Parti Québécois : en page 1, photo couleur de Charest et Boulet; page 3, grande photo noir et blanc de Charest, Boulet et autres députés libéraux; page 4, photo couleur de Charest et de Claude Béchard. Il y a bien, en page 5, trois petites photos noir et blanc, chacune montrant Pauline Marois avec un député péquiste de la Mauricie.

Le 19 décembre, c’est l’annonce de la composition du nouveau conseil des ministres. C’est à Tommy Chouinard qu’est confiée cette tâche. Dans un article publié tant dans La Presse que dans Le Nouvelliste, il met en application une tactique chère aux journaux de Gesca, faire de l’éditorial dans les nouvelles. C’est ainsi que la manchette dit : « Un cabinet plus gros pour affronter la tempête». Dans la chronique de Vincent Marissal de La Presse, on rencontre le mot « parfait», s’appliquant au conseil des ministres, dans les six premiers paragraphes. Si ça avait été un conseil des ministres du Parti Québécois, on aurait tricoté une manchette  du genre : « En ces temps difficiles, les péquistes se paient sept limousines additionnelles ». Gageons que Chouinard et Marissal auront eu de belles augmentations de fin d’année.


NOTES DU CHAPITRE 11

  1. The Montreal  Gazette, 21 février 2002.
  2. La Presse, 16 novembre 2008.
  3. La Presse, 4 décembre 2008.
  4. La Presse, 7 décembre 2008.









Chapitre 12

Que mille techniques fleurissent!

Les voies de la propagande sont innombrables. On utilise tout ce que l’on a à portée de la main pour combattre la souveraineté du Québec. Comme le disait Mao Tsé Toung, « Laissez pousser mille fleurs ». Voici quelques exemples des techniques utilisées.

Mots obligatoires,  mots interdits

Il y a des mots qu’un propagandiste doit toujours employer. On répétera à satiété des expressions comme « détruire le pays », « démantèlement du Canada ». Si vous leur rappelez que le cheminement du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, par exemple, vers leur indépendance s’est fait dans le calme et que cette évolution n’a pas été accompagnée de campagnes hystériques proclamant que l’on s’apprêtait à détruire la Grande-Bretagne, ils refuseront de publier votre opinion. L’idée que le Québec pourrait parvenir à l’indépendance dans le calme et le respect, comme l’ont fait d’autres pays, ne doit pas franchir le seuil des journaux de Gesca.

Un autre impératif : le mot « référendum », appliqué à l’éventuelle souveraineté du Québec, doit toujours être accompagné d’une expression négative, comme « psychodrame », « épée de Damoclès », « hypothèque ». Ces mots ont été martelés pour que les citoyens ne se souviennent plus qu’un référendum est un instrument par excellence de la démocratie. Il faut les comprendre. Le gouvernement fédéral a modifié la constitution sans tenir de référendum. Il a bien, par la suite, tenu un référendum, qu’il a perdu. Mais voyez l’astuce : cet exercice portait sur des « améliorations » à la constitution, de sorte que le citoyen qui votait Non ne votait que contre lesdites améliorations, et non sur la constitution elle-même. De cette façon, la constitution adoptée par le gouvernement fédéral et les provinces à majorité anglophone, et contre la volonté de l’Assemblée nationale du Québec, pouvait demeurer en vigueur. C’est un peu comme si on demandait à un prisonnier « Veux-tu que ton compagnon de cellule te tape sur la tête avec un marteau de 16 onces, plutôt qu’avec un marteau de 20 onces? Si oui, signe ici comme quoi tu consens à rester indéfiniment dans la même cellule avec lui ».

Si on publie un jour une anthologie des grands succès de la propagande, il faudra inclure celui-ci : avoir réussi à faire accepter comme normale la modification de la constitution en 1982, sans consultation populaire, et faire paraître l’engagement à tenir un référendum sur la souveraineté du Québec comme une entreprise sinistre. Évidemment, les moyens déployés pour faire passer ce message étonnant auront été énormes, mais il le fallait bien, puisqu’il s’agissait de faire voter un peuple contre sa propre liberté.

S’inventer un leitmotiv

En juin 1995, donc cinq mois avant le référendum, une « nouvelle » est sortie dans tous les médias du Québec. Jacques Parizeau, alors premier ministre du Québec, aurait dit qu’après un Oui, les Québécois seraient pris au piège comme des homards dans leurs cages. L’histoire avait pour origine une « note de service » du ministère fédéral des Affaires étrangères et avait été refilée anonymement aux journaux par le patron de l’Opération Unité, un de ces nombreux organismes mis sur pied par le gouvernement fédéral pour faire de la propagande contre la souveraineté du Québec. Parizeau a nié avoir tenu de tels propos, mais on pouvait mettre en doute sa crédibilité, n’est-ce pas, puisqu’il était au centre de l’affaire. Cependant, l’ambassadeur d’Espagne, mandaté par ses collègues ambassadeurs présents à cette réunion, a nié que de telles paroles avaient été prononcées. On était donc en présence d’une nouvelle inventée par un fonctionnaire fédéral et coulée aux agents d’un autre ministère fédéral, clandestin celui-là, c’est-à-dire Propagande Canada.

Que la « nouvelle » soit fausse n’a pas empêché tous les journalistes, éditorialistes,  chroniqueurs et caricaturistes de ce ministère clandestin de s’en donner à cœur joie. Lysiane Gagnon a dû utiliser ce thème au moins une douzaine de fois dans sa chronique depuis. Pendant longtemps, si un lecteur voulait être sûr de voir sa lettre publiée dans La Presse, il suffisait d’y faire allusion. Encore en mai 2008,  un lecteur répondant à l’appel d’Alain Dubuc aux souverainistes de « déposer les armes », invoquait cette affaire pour se justifier d’abandonner son idéal de la souveraineté. André Pratte utilise deux fois ce canard dans un éditorial le 12 juin 2009, quatorze ans après sa fabrication.

On peut contraster le traitement de cette affaire avec celui d’une autre nouvelle, réelle celle-là. En mars 1995, lors d’un forum à Toronto organisé par l’Institut C. D. Howe, M. Stanley Hartt, ex-conseiller du gouvernement Mulroney, disait qu’advenant une victoire du Oui au référendum, Jean Chrétien devrait « faire souffrir le Québec, avant que la sécession ne soit prononcée ». Stéphane Dion, qui participait également à cette réunion renchérissait : « Plus ça fera mal, plus l’appui à la souveraineté baissera ». La nouvelle, publiée sous la plume de Suzanne Dansereau, journaliste de la Presse canadienne, a fait la manchette pendant quelques jours, puis Stanley Hartt a émis une lettre dans laquelle il niait avoir parlé de faire souffrir le Québec. Suite à cette dénégation de Hartt, l’affaire fut mise complètement sous le boisseau. Et Stéphane Dion, qui était à l’époque un consultant en propagande auquel le gouvernement fédéral accordait des contrats, put se faire élire, devenir ministre sous Jean Chrétien et, plus tard, chef du Parti libéral fédéral.

Le soir du référendum, Jacques Parizeau a prononcé un discours controversé, dans lequel il disait que le Oui avait été défait par l’argent et un vote ethnique. Pour ce qui est de l’argent, il est difficile de dire le contraire. La stratégie avait été dictée par Pierre Elliott Trudeau, et le camp fédéraliste avait dépensé les « sommes énormes » préconisées. Mais avec le mot « ethnique », les propagandistes ont vu l’occasion de broder, de déformer le discours pour faire voir Parizeau comme s’en prenant aux groupes ethniques eux-mêmes, plutôt qu’à la création d’un vote ethnique. Les agents de Propagande Canada déchirèrent leurs vêtements. Par exemple, dans une lettre honteusement àplatventriste, André Pratte, alors journaliste de La Presse, traitait Parizeau (qui pourtant avait épousé Alice Poznanska, née en Pologne) de « raciste rageur et revanchard ».

Y avait-il eu création d’un vote ethnique? Jugez-en :
  • Quand Michael Kenneally, président de la Société St-Patrick de Montréal, refusait d’inviter des représentants du gouvernement du Québec à la fête des Irlandais, sous prétexte que ces derniers étaient tous contre la souveraineté du Québec, faisait-il appel à un sentiment ethnique?
  • Quand Mme Fatima Houda-Pépin, députée libérale d’origine marocaine, lançait à Jacques Parizeau, « Nous ne voterons jamais pour la souveraineté », son « nous » était-il ethnique?
  • Il y eut une Coalition des Congrès hellénique, juif et italo-canadien qui fut mise sur pied et qui fit de nombreuses interventions contre la souveraineté. On n’a plus entendu parler de cette coalition après le référendum. Avait-elle été créée pour mousser un vote ethnique?
  • Le gouvernement fédéral a accéléré les attributions de citoyenneté avant le référendum. Le nombre d’attributions au Québec est passé de 23 799 en 1993 à 43855 en 1995, soit un taux d’augmentation de 87 % en deux ans. 1. Cette opération a-t-elle été montée pour exploiter un vote ethnique?
  •  Don MacPherson, chroniqueur à The Gazette, avait écrit : « C’est le vote massif des non-francophones qui demeure le plus sûr et peut-être ultime rempart contre la souveraineté. S’ils votent tous contre au référendum, les souverainistes devront obtenir plus de 60 % de l’électorat francophone, ce qui, au demeurant, ne leur assurerait, qu’une bien mince majorité » 2.. MacPherson se félicitait donc d’avance de ce qu’un vote ethnique allait faire triompher le Non. Depuis le référendum, il est probablement parmi les commentateurs qui ont cherché le plus souvent à associer la recherche de la souveraineté pour le Québec à une forme de nationalisme ethnique. Comme l’écrivait Jacques Ellul : « Tout d’abord le propagandiste doit attester de la pureté de ses intentions et accuser du même coup l’adversaire. Mais l’accusation n’est jamais faite au  hasard ni gratuitement. Elle n’est pas une accusation d’un méfait quelconque : on l’accuse d’avoir les mêmes intentions qu’on a soi-même, d’accomplir le crime que l’on est soi-même en train d’accomplir ».3
  • Cette cabale pour favoriser un vote ethnique n’a pas cessé après le référendum. Le 18 octobre 1997, on entendait le professeur Stephen Scott, de l’Université McGill, à l’émission de Howard Galganov sur les ondes de CIQC : « Il y a des députés libéraux élus dans circonscriptions anglaises qui ont voté pour le droit du Québec à l’autodétermination! Est-ce croyable! Ils doivent être tombés sur la tête! » Et Galganov de s’indigner à son tour « Would you believe it! Would you believe it! » Cet échange pointait-il vers l’existence d’un vote ethnique?

Bien sûr, bon nombre d’entre nous avons fait le reproche à M. Parizeau d’avoir invité les francophones à imiter les anglophones et à voter en bloc à leur tour. C’était bien tentant, car il est sûr que si les Québécois avaient voté de façon mégalithique comme les anglophones, le Oui l’aurait emporté haut la main.I l ne fallait pas céder à cette tentation. Cependant, ce qui précède ne fait pas de Parizeau un raciste, ni du nationalisme québécois un nationalisme ethnique. Bien au contraire, la réaction des Québécois, et des nationalistes en particulier, montre bien que l’appel à un vote selon l’origine ethnique n’emportait pas l’adhésion. Alors que le contraire est vrai, c’est-à-dire que les fédéralistes n’ont jamais hésité à favoriser et exploiter un vote ethnique.

Les propagandistes fédéralistes n’en ont pas moins martelé ad nauseam le thème du nationalisme ethnique des Québécois. Par exemple, en mars 2009, lorsque Bernard Landry s’est opposé à la nomination de Michael Sabia au  poste de président de la Caisse de dépôt et placement, il a pris la peine de préciser que ce n’était pas parce que M. Sabia était Ontarien ou parce que sa langue maternelle n’était pas le français. Il trouvait simplement que le candidat choisi avait plutôt un penchant procanadien, plutôt que favorable au Québec. La Presse a jugé bon de publier, le 17 mars 2009, une lettre de lecteur dont le titre était « La dérive ethnique de M. Landry ». La lettre était mise en évidence à la page A25, avec photo de l’auteur, un conseiller de Daniel Johnson et de Jean Charest. Posons-nous la question, si le gouvernement fédéral choisissait, pour diriger la Corporation de développement des investissements du Canada, le responsable américain de la guerre du bois d’œuvre, et que quelqu’un s’objectait à cette nomination, parlerait-on de « dérive ethnique »?

« Sans doute Hitler avait raison de dire que la Masse met longtemps à comprendre et à retenir : il faut donc répéter » 4. Une note d’orientation adressée aux journaux français durant l’Occupation par la Propaganda Abteilung insistait sur la nécessité de « répéter les mêmes arguments. C’est par la répétition que la propagande en faveur d’un ordre nouveau portera ses fruits » 5.

Un autre exemple de répétition à outrance dans les journaux de Gesca concerne les fameux « lieux d’aisance » de Mme Pauline Marois. Un journaliste anglophone avait mis la main sur une facture qui indiquait que, lors de la rénovation du bureau de la ministre, l’entrepreneur avait payé un supplément de 200 $ pour une toilette silencieuse. Ledit journaliste avait sorti cette information, question de faire paraître Mme Marois comme capricieuse et dépensière. Ce n’était pas une preuve bien convaincante. J’ai travaillé au Congo, en Corée et en Amérique du Sud. Nulle part les employés de bureau n’étaient dérangés par le bruit de la chasse d’eau (ou par les odeurs). On obtient souvent ce bon résultat en aménageant un sas beaucoup plus cher que 200 $. Mais, pour Propagande Canada, tout ce que l’on ramasse doit servir. Dans ce cas précis, on a choisi le courrier des lecteurs pour exploiter le filon. Il y eut tout un foisonnement de lettres dans les journaux de Gesca qui faisaient référence aux « lieux d’aisance ». Par exemple, la même lectrice a fait publier deux lettres sur le sujet dans Le Nouvelliste les 7 et 20 juin 2001. Dans La Presse, un lecteur multiplie le coût par un facteur de 350, pour en arriver à « la rondelette somme de 70 000 $ ». Cette fois, le journal proclame le texte « Lettre de la semaine » 6.

Réingénierie de l’Histoire

Voici un exemple de cette technique. Dans L’impérialisme canadien, j’ai traité de la déportation des Acadiens :

« Ces événements se sont produits il y a 240 ans et, si l’on n’est pas Acadien, on serait enclin à ne pas les rappeler. Mais il faut voir comment des historiens anglais analysent cette déportation… Si au moins les Acadiens appréciaient les bontés qu’on a eues à leur égard! »

Dans son ouvrage Histoire populaire du Québec 7, Jacques Lacoursière consacre une demi-douzaine de pages à ces événements tragiques.

  • Parmi les éléments que l’on peut y trouver, il y a la raison officielle de la déportation : les Acadiens n’étaient prêts à prêter serment au roi d’Angleterre qu’à la condition de ne pas être forcés à prendre les armes contre les Français advenant une guerre. Le pouvoir colonial exigeait un serment inconditionnel. Cette exigence paraît plutôt un prétexte. En effet, comment un Acadien ayant refusé de porter les armes contre les Français deviendrait-il un meilleur sujet britannique une fois déporté en Pennsylvanie, par exemple. La lecture du texte révèle qu’il pourrait y avoir eu des raisons plus matérielles à cet acte barbare. « La question de la propriété des terres est importante, puisque les Acadiens occupent les sols les plus producteurs… Les Anglais de la Nouvelle-Écosse convoitent les terres ainsi que le bétail des Acadiens… » Lawrence écrit à Monckton : « Afin de les empêcher de s’enfuir avec leurs bestiaux, il faudra avoir grand soin que ce projet ne transpire pas… Il faudra prendre grand soin de sauver les animaux et la récolte sur le champ. »
  • On se préoccupe moins des êtres humains : «Détruire tous les villages… et faire tous les efforts possibles pour réduire à la famine ceux qui tenteraient de se cacher dans les bois.»
Il fut décidé en 1999 de tirer une série télévisée de l’ouvrage de Lacoursière, ce dernier agissant comme principal narrateur. Dans le court passage de ce documentaire qui traite de la déportation des Acadiens, il n’est question que des justifications du pouvoir anglais, des circonstances atténuantes ou des difficultés rencontrées par les exécuteurs du projet.
  • Comme raison officielle, on parle du refus du serment d’allégeance, sans ajouter le qualificatif « conditionnel», pourtant mentionné quatre fois dans le livre.
  • On essaie de justifier la déportation : même si ce n’était pas courant, ça existait déjà. La preuve? Frontenac y aurait songé en 1689 pour les habitants de New York. Pas de mention de ce supposé précédent dans le livre.
  • La séparation des familles ne serait qu’un simple accident. On avait fait monter d’abord les jeunes gens. Vu leur agitation, on avait été obligé de laisser partir les navires avant d’embarquer les autres membres des familles.
  • On insiste sur les difficultés de l’opération : « Où prendre les embarcations, où prendre tant de navires? »  Ah quelles misères n’infligeait-on pas à ces pauvres organisateurs de la déportation!
  • Pour être sûr que le message passe comme voulu par les impératifs de la propagande, on adjoint à Lacoursière un certain Brian Young, professeur d’histoire à l’Université McGill, lequel déclare : « Ça ne paraît pas politically correct aujourd’hui, mais du point de vue stratégique et démographique, ça avait du sens.» Il concède tout de même : « Du poin de vue humain, c’était désastreux.»
On parle souvent de « blanchiment d’argent ». Il s’agit ici de blanchiment de l’Histoire. Dans quel but? Sûrement pour que les propagandistes du Canada anglais puissent continuer à prétendre que la civilisation anglophone est intrinsèquement supérieure à la civilisation francophone. Comment cette perversion de l’Histoire a-t-elle pu être réalisée? La réponse vient quand on voit que le gouvernement du Canada était un commanditaire de la série télévisée. Pourquoi, par contre, les autres commanditaires, dont Hydro-Québec, le gouvernement du Québec, la Banque Nationale, sont-ils entrés dans le jeu des propagandistes fédéralistes? Peut-être le gouvernement fédéral payait-il la part du lion.

Quand j’étais tout jeune, j’avais entendu une vieille tante déclarer : « Je déteste les Anglais parce qu’ils ont déporté les Acadiens ». Malgré le respect envers les aînés auquel nous étions tenus, je n’avais pu m’empêcher de rétorquer : « Ma Tante, si nous haïssions tous les membres des nations qui ont commis des crimes, nous n’aurions pas beaucoup d’amis ». Je répète donc que le souvenir de la déportation ne doit pas être perpétué pour légitimer la haine des autres. Cependant, on observe ici une déformation délibérée de l’Histoire, qu’on ne peut passer sous silence.

Les comparaisons avec l’Europe

Le 27 mai 2003, j’avais envoyé une lettre ouverte au premier ministre français Jean-Pierre Rafarin. Les journaux ont refusé de la publier :

Monsieur le premier ministre,

Lors de votre récent passage au Québec, vous vous en êtes fait passer une « p’tite vite», comme on dit chez nous, par notre premier ministre provincial. M. Jean Charest s’est réclamé de la même politique que vous : « Vous croyez à l’Europe, je crois au Canada »,

Cette comparaison du Canada avec l’Europe est une fumisterie. L’Europe est constituée de plusieurs nations qui mettent volontairement certaines choses en commun. Chaque étape importante dans la formation de cet ensemble est sanctionnée dans chacun des pays membres par un référendum, Le Canada est constitué de deux nations, dont l’une est trois fois plus populeuse que l’autre. L’union en une fédération a été imposée par la force. Même la reconduction de cette union, en 1982, n’a pas fait l’objet d’un référendum dans l’une ou l’autre des deux parties.

Si vous voulez vous former une idée de la situation du Québec à l’intérieur du Canada, vous devez vous imaginer que la France n’a pas été libérée en 1944. L’Allemagne a abandonné depuis longtemps son régime totalitaire et elle a même concédé une certaine mesure d’autonomie à la France, qui est un Länder comme les autres.

Il a été décrété que cette Grande Allemagne formerait une nation. Si des Français persistent à appeler Paris leur capitale nationale, on leur fait des misères; si les autorités françaises refusent d’arborer le drapeau allemand sur des édifices publics, la France est pénalisée.

L’Allemagne a tous les pouvoirs résiduels, elle a un pouvoir de désaveu des lois françaises et un pouvoir illimité de prélèvements de taxes et impôts. De ce dernier article de la constitution, il résulte que l’Allemagne dispose de surplus substantiels, alors que la France doit rogner constamment dans des services essentiels comme l’éducation et les services de santé.

Avec ses surplus, l’Allemagne se paie des campagnes de propagande tous azimuts. À la télévision, on peut voir le drapeau allemand, on peut entendre le nom de l’Allemagne, prononcé comme une incantation, des centaines de fois par jour. D’ailleurs, la plupart des journaux et des chaînes de radio et de télévision sont aux mains de pangermanistes convaincus. Ces médias ne cessent de chanter les vertus du régime allemand et de décrier les partisans de la nation française.

Monsieur le premier ministre, nous ne souhaitons pas vous voir intervenir dans notre contentieux politique. C’est M. Jean Charest qui cherche à vous embrigader par sa comparaison trompeuse. Nous souhaitons seulement que, lorsque vous entendrez M. Charest faire l’éloge du Canada, vous sachiez quel genre de fédération il préconise.

En France occupée, les collaborationnistes s’employaient à persuader les Français des grands avantages qui résulteraient pour eux de l’intégration corps et âme de la France dans l’Europe. René Château écrivait dans L’œuvre : « L’Europe, par la force, se rassemble et se construit. Nous y serons intégrés. Nous n’y pourrons renaître qu’en fonction du continent neuf qui enfin naîtra ».  Marcel Déat, dans un éditorial du même journal, parle de « l’aube d’une ère nouvelle». Il expose les nombreux avantages de la subordination de la France à l’Allemagne. Abel Bonnard, dans Je suis Partout : « Un monde se fait et il faut en être » 8.

Les partisans de la soumission font toujours semblant d’ignorer que, pour entrer dans une union libre avec d’autres nations, une nation doit d’abord être libre.

Un autre thème qu’aiment répéter les propagandistes fédéraux est que les souverainistes sont passéistes, alors que les fédéralistes seraient tournés vers l’avenir. Ce thème-là aussi avait été exploité par les collaborationnistes au temps de l’Occupation. Le 4 avril 1943, Pétain déclarait dans un message radiodiffusé : « Les chefs rebelles (lire de Gaulle) ont choisi le passé. J’ai choisi la France et son avenir ».

On cherchait à rallier les nationalistes français. Le premier ministre Laval lançait en 1943 : « Notre génération ne peut se résigner à être une génération de vaincus. Je voudrais que les Français sachent monter assez haut pour se mettre au niveau des événements que nous vivons… Je souhaite la victoire de l’Allemagne…Que les vrais nationalistes rejoignent nos rangs. »

N’est-ce pas que ça ressemble à certains discours de politiciens et d’éditorialistes fédéralistes?

Jugements de courtisans

En matière de scandales, il y a la technique « Un cheval et un lapin ». Elle consiste à mettre sur le même pied un petit scandale relié aux souverainistes et un gros scandale éclaboussant les fédéralistes. On peut accommoder cette technique à la sauce de l’indignation variable. On jette les hauts cris en ce qui concerne le miniscandale, on blâme du bout des lèvres les responsables du mégascandale, quand on ne fait pas carrément du damage control. À ce sujet, voici l’essentiel d’une lettre que j’adressais à La Presse le 19 février 2002. Inutile de préciser qu’elle ne fut pas publiée.

Deux scandales avaient été révélés à peu près en même temps, l’Affaire Gagliano, impliquant des fédéralistes, et l’Affaire Baril, impliquant des souverainistes.

Les allégations concernant l’Affaire Gagliano
  • Le ministre Gagliano aurait facilité l’immigration au Canada d’un homme d’affaires italien accusé de fraude dans son pays. Cet homme d’affaires aurait obtenu des contrats d’agences gouvernementales relevant de M. Gagliano.
  • M. Gagliano aurait demandé au président de la Société immobilière du Canada (la SIC) d’embaucher un de ses organisateurs, M. Tony Mignacca.
  • M. Jean-Marc Bard, chef de cabinet de M. Gagliano, aurait exigé d’être directement impliqué dans la SIC. Il aurait dit aux dirigeants de cette agence : « Le reste du Canada est à vous, le Québec est à nous ».
  • M. Gagliano aurait demandé à la SIC d’embaucher une amie, Mme Michèle Tremblay. La firme de communications de Mme Tremblay aurait obtenu des contrats totalisant 10 millions de dollars de diverses agences gouvernementales depuis 1995. Elle aurait obtenu un contrat d’un million de dollars de sociétés de la couronne sous la responsabilité de M. Gagliano.
  • Le ministère de M. Gagliano aurait accordé un contrat de 150 millions de dollars à Media IDA Vision, une firme ayant des liens étroits avec le Parti libéral du Canada.
  • Une entreprise contribuant au Parti libéral du Canada aurait acheté de la SIC l’ancien quartier général de l’armée au Québec à un prix équivalant à la moitié de son évaluation.
  • M. Gagliano aurait recommandé à la SIC l’embauche de M. Clément Joly, un des responsables du financement du Parti libéral du Canada.
  • Pour la construction du projet Benny Farms, sous la supervision de la SIC, M. Gagliano aurait demandé que le processus d’appel d’offres soit contourné, pour que l’entreprise de M. Manuel Triassi obtienne le contrat. La SIC ayant refusé, M. Triassi a été nommé président du conseil d’administration de la Monnaie royale canadienne. Sur ce même projet, on aurait demandé que les travaux mécaniques et électriques soient confiés à la firme d’ingénierie Pageau Morel. Le gendre de M. Gagliano travaillait pour cette firme.
Les allégations concernant l’Affaire Baril
  • Le ministre Baril aurait pris des vacances avec un lobbyiste qui obtenait des subventions du ministère de M. Baril pour ses clients.
  • Un militant péquiste aurait obtenu une subvention du ministère de M. Baril pour un organisme sans but lucratif. Ce militant louait, pour 800 $ par mois, des locaux à cet organisme.  (La valeur normale de location pouvait aller jusqu’à 1 200 $, mais il y avait plusieurs bureaux vacants dans cette ville.)
  • Le directeur général du PQ, après avoir quitté ce même poste quelques années auparavant, aurait dirigé la même firme de lobbying.
  • Le ministre de l’Éducation, M. Sylvain Simard, aurait recommandé cette même firme de lobbying à une personne recherchant une subvention.
Les conséquences pour les personnes et les gouvernements impliqués
  • M. Gagliano a été nommé ambassadeur au Danemark.
  • M. Baril a démissionné.
  • Le directeur général du PQ a démissionné.
  • Le militant péquiste qui avait perçu un loyer payé à même une subvention s’est engagé à rembourser ce loyer.
  • Le gouvernement du Parti Québécois s’est engagé à créer un poste de conseiller à l’éthique nommé par l’Assemblée nationale et à présenter un projet de loi d’encadrement du lobbyisme.
Les manchettes à La Presse, Affaire Gagliano
  • « Alfonso Gagliano se défend d’allégations de conflit d’intérêts»
  • « Chrétien maintient sa confiance en Gagliano »
  • « Missive embarrassante pour Gagliano »
  • Au sujet du remaniement ministériel à la suite duquel M. Gagliano a été nommé ambassadeur : « Recentrage stratégique – Un habile coup de balai »
Les manchettes à La Presse, Affaire Baril
  • « Un lobbyiste monnaie grassement ses accès auprès du ministre Baril »
  • « Le ministre des régions de nouveau dans le pétrin »
  • « Pagaille au PQ »
On constate que les titres sont beaucoup plus négatifs dans le cas de l’Affaire Baril. Ils constituent toujours la manchette principale du journal. Dans le cas Gagliano, aucun des titres, sauf celui, plein d’admiration, au sujet du remaniement, ne constitue la manchette principale du journal. Certains articles ne sont même pas en première page.

Traitement éditorial par M. André Pratte, Affaire Gagliano

M. Pratte demande une enquête indépendante, exige la démission de M. Gagliano « le temps de cette enquête ». Cependant, il prend beaucoup de précautions pour atténuer l’affaire.
  • « Mais les nominations partisanes de ce genre sont fréquentes en politique ».
  • « On ne parle pas ici d’actes illégaux. On parle de manquements possibles à l’éthique ».
  • « L’enquête publique réclamée par les partis de l’opposition est un outil démesuré ».
  • Au sujet du remaniement ministériel, même pointe d’admiration que dans la manchette de la première page : « M. Chrétien vient de nous servir une fracassante leçon de vraie vie politique… le chef libéral a rappelé que, qu’on se le dise, c’est lui le patron ».
  • « Les Canadiens ne demandent qu’à être rassurés ».
  • Dans son miniéditorial où il réitère sa demande pour une enquête indépendante : « Ces accusations sont graves. Rien ne prouve qu’elles soient vraies ».
Traitement éditorial par M. André Pratte, Affaire Baril
  • « Une de ces limites, c’est que le démarchage ne doit pas donner lieu à des comportements criminels ». On voit l’habileté de l’éditorialiste : dans le cas de Gagliano, il prend la peine de préciser qu’il n’y a rien d’illégal. Dans le cas Baril, il laisse entendre qu’il pourrait y avoir eu comportement criminel.
  • « En matière d’éthique, les apparences sont déterminantes ».  Il ne dit rien de si catégorique dans le cas Gagliano.
  • Citation complaisante de M. Mario Dumont : « L’allocation de l’aide gouvernementale sera dorénavant dépendante des amitiés et des montants d’argent accordés au PQ ». Pourtant, dans les allégations, il n’a pas été question de montants d’argent accordés au PQ.
  • « Bernard Landry doit dire publiquement, clairement, fermement, que le comportement de certains de ses collaborateurs n’était pas acceptable ». Voilà une exigence que M. Pratte ne formule pas à l’endroit de M. Chrétien.
  • « On frémit à entendre le président du PQ s’en remettre en matière d’éthique gouvernementale à l’Union nationale».  M. Landry avait fait référence non seulement à l’Union nationale, mais au PLQ et au PQ, c’est-à-dire à tous les partis qui ont formé le gouvernement. Cette utilisation tronquée d’une citation, pour faire de l’effet, M. Pratte l’a répétée sur les ondes de Radio-Canada le lendemain.
Même si M. Pratte demande une enquête indépendante dans les deux cas, les mots, les commentaires, sont beaucoup plus durs envers le Parti Québécois.

Traitement éditorial par Mme Lysiane Gagnon, Affaire Gagliano
  • « On ne congédie pas un ministre pour avoir donné quelques coups de pouce à des amis politiques ».
  • « Rien ne prouve que M. Mignacca était incapable d’effectuer le travail… Mme Tremblay était parfaitement qualifiée ».
  • Au sujet de l’homme d’affaires accusé de fraude : « On ignore si M. Gagliano était au courant… À supposer qu’il l’ait été, ce n’est pas bien grave ».
  • « En fait, c’est plutôt M. Grant qu’il faudrait questionner ».  (M. Grant est l’ex-fonctionnaire qui a fait les premières révélations sur l’Affaire Gagliano).
Traitement éditorial par Mme Lysiane Gagnon, Affaire Baril
  • Titres de ses chroniques : « Une odeur de fin de régime », « Problème de leadership », « La république des copains ».
  • « À l’instar de Duplessis… »
  • « Tous les chemins, dans cette lamentable histoire de lobbying, mènent effectivement à Bernard Landry. »
  • « …La désormais fameuse firme péquiste dont la principale utilité semble avoir été d’enrichir les copains du régime. » Commentaire gratuit : il n’a pas été démontré, ni même suggéré, que cette firme de lobbyisme fonctionnait dans ce but.
  • Au sujet du projet de loi présenté par le gouvernement pour encadrer le lobbyisme : « … un aspirateur fou. »
Lettres de lecteurs dans La Presse

Il y a eu 14 lettres de lecteurs blâmant le gouvernement dans l’Affaire Baril, 5 cherchant à rétablir l’équilibre. (Mais la dernière eut droit à une réplique de M. Pratte.)

Sur l’Affaire Gagliano, il n’y a pas eu une seule lettre publiée dans le courrier des lecteurs.

Les lettres de lecteurs, dans ce journal, sont utilisées pour renforcer les politiques éditoriales. Les lettres acceptées pour publication sont sélectionnées par les éditeurs, qui favorisent en majorité celles qui vont dans le même sens qu’eux. Les lecteurs qui n’appuient pas les politiques éditoriales hésitent à écrire, sachant que leurs lettres ont peu de chance d’être publiées.

Leurs explications

Les propagandistes se livrent à toutes sortes de pirouettes verbales pour justifier ce qu’ils font. Alain Dubuc a déjà prétendu que la concentration de la presse entre les mains de Gesca favorisait la liberté de la presse. Le 24 mars 2001, dans le cadre de l’affaire des commandites, Lysiane Gagnon écrivait qu’il était légitime pour le gouvernement fédéral de faire de la propagande pour l’unité nationale parce que « 90 % des électeurs sont d'accord ». Elle n’apporte aucune preuve à l’appui de cette affirmation farfelue. Elle ne se pose pas la question : si les électeurs sont déjà unanimes derrière les efforts d’unité nationale du gouvernement fédéral, pourquoi se croit-il obligé de dépenser des fonds publics pour les convaincre? Concernant son propre rôle, Mme Gagnon se montre plutôt modeste. Le 30 mai 1995, elle écrivait, « Il est extrêmement rare que les articles de journaux changent l’opinion des gens ».  On se demande alors pourquoi elle les écrit. Serait-elle entrée en propagande comme d’autres sont entrés dans des communautés contemplatives, où ils se livrent à des activités sans objectifs concrets? Elle ajoute cependant, pour ne pas avoir l’air trop ridicule, « ils (les articles de journaux) renforcent les opinions établies ». Elle ne va pas jusqu’à préciser, toutefois, pourquoi les fédéralistes auraient besoin de faire renforcer leurs opinions, mais pas les souverainistes.

Patatras! Qu’est-ce qu’on ne lit pas, le 11 avril 2009, dans le propre journal de Lysiane Gagnon, à la page 27! Un article d’une certaine Mali Ilse Paquin, sous le titre « Berlusconi triomphe malgré ses déclarations controversées ». L’auteure explique pourquoi, malgré ses bourdes innombrables, le premier ministre italien conserve sa cote de popularité de 60 %, en citant une journaliste de The Guardian : « La moitié des journalistes au pays travaillent pour lui et l’autre moitié savent qu’ils pourraient être les prochains ». Gageons qu’il y a quelqu’un à La Presse qui s’est fait passer un savon. A-t-on idée de laisser passer un article qui contredit les explications si créatives de Mme Gagnon!

Si on prend l’exemple des deux dictatures les plus mondialement connues, celles de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique, on peut observer que, dans les deux cas, on avait établi un contrôle hermétique de l’information. On ne permettait aucune information qui ne soit celle voulue par le régime. Ce type de contrôle présente un désavantage sérieux. La population sait que c’est de la propagande, ce qui nuit considérablement à son efficacité. Ceux qui sont déjà convaincus, ou qui marchent dans le sens du régime parce qu’ils y trouvent leur intérêt, y puisent une justification facile pour leur comportement. Les masses sont privées d’information objective, ce qui peut aider à les maintenir amorphes, mais un tel système ne peut fonctionner longtemps. C’est pourquoi ces régimes comptaient aussi sur l’application de la terreur d’état.

Au Canada, pas question d’établir un régime de terreur. Il y a bien eu les événements d’octobre 1970, où quelque 400 personnes furent arrêtées et emprisonnées sans procès, mais on peut considérer que ce fut un événement isolé et de nature relativement bénigne (si l’on n’est pas parmi les personnes qui furent jetées en prison). Il faut donc appliquer un système de propagande plus raffiné que celui des dictatures mentionnées plus haut. Les journaux de Gesca, par exemple, voudraient se faire passer pour des éléments d’une presse libre. Pour cela, les pages autres qu’éditoriales peuvent publier de l’information des deux côtés. Les titres sont choisis, bien sûr, pour donner le plus souvent l’orientation voulue par la direction. Les petites phrases éditoriales que l’on permet aux journalistes vont majoritairement dans le sens souhaité. Les articles défavorables aux souverainistes sont placés plus en évidence que ceux défavorables aux fédéralistes.

Dans les chroniques et les éditoriaux, il est interdit de parler en faveur de l’indépendance du Québec. Cependant, il sera permis, à l’occasion, de dire du bien, du bout des lèvres, d’un souverainiste ou d’un gouvernement souverainiste. De même, on pourra critiquer un gouvernement fédéraliste. Dans ce cas, on cherchera à écorcher en  même temps les souverainistes. Ou encore, on cherchera à répandre le parfum tous azimuts, en critiquant les gouvernements, les partis politiques. On contribue ainsi à créer et à entretenir un certain cynisme dans la population, mais on accepte cela pour la bonne cause.

Il y a certaines périodes où les organes de propagande peuvent se permettre de jeter du lest, pour donner l’illusion d’une presse libre. Par exemple, suite à l’élection de décembre 2008, qui a reporté le PLQ au pouvoir avec une majorité de députés, le risque de voir le PQ reprendre le pouvoir est repoussé d’au moins quatre ans, un référendum d’une année de plus. Dans ces conditions, plusieurs articles d’éditorialistes et de chroniqueurs que l’on peut lire dans La Presse sont assez objectifs qu’ils pourraient avoir été écrits par des journalistes non partisans.

On maintient, bien entendu, le feu roulant contre les souverainistes et la souveraineté. Par exemple, début juin 2009, le PQ lance un projet de récupération des pleins pouvoirs par le Québec dans certains domaines, quitte à tenir un ou des référendums ponctuels pour forcer la main d’Ottawa. Le cap est maintenu sur un référendum en ce qui concerne la souveraineté du Québec. Les agents de Propagande Canada se déchaînent! Éditorial d’André Pratte, « Plus de pouvoirs? Pour quoi faire? » Chronique de Vincent Marissal, « La soupe de Mme Marois ». Le brave professeur Jean-Herman Guay, sur qui La Presse peut toujours compter, parle de « nausée constitutionnelle ». C’est aussi l’occasion de mettre à contribution la nouvelle patente d’André Pratte, L’idée fédérale. Il s’agit d’un regroupement d’« experts en communication » pour faire la promotion du fédéralisme au Québec (c’est-à-dire faire la guerre aux souverainistes). Parmi les membres, on retrouve le président d’une firme de relations publiques et un autre qui se dit « consultant en communication », M. Richard Vigneault. Ce dernier se dévoue pour la cause en pondant un article, « La méthode IKEA ». C’est très utile pour André Pratte d’avoir sous la main un groupe comme L’idée fédérale. Un souverainiste connu prononce-t-il un discours ou publie-t-il un article, tout de suite l’éditorialiste en chef de La Presse peut siffler et un des membres rédige une réplique. Pas besoin de rien de trop intelligent. Il suffit d’être capable de déformer les propos de l’adversaire, en tout cas de manier le sarcasme le plus gras.  Les plus curieux se poseront la question : « Si le mouvement souverainiste est à l’agonie, comme on le proclame souvent dans les journaux de Gesca, pourquoi continuent-ils à recruter des Mario Polèse, des Jean-Herman Guay et des Richard Vigneault pour aider à déblatérer contre les souverainistes? » C’est que, voyez-vous, c’est difficile à éradiquer, la soif de liberté d’un peuple. Il faut donc écraser, écrabouiller, anéantir ceux qui se battent pour cette liberté.

On peut encore lécher les bottes des politiciens du PLQ à l’occasion, comme cela s’est produit lors de la démission de la ministre Jérome-Forget alors qu’on s’est livré à un exercice d’adoration confite : plus de quatre pages de « nouvelles », des éditoriaux flatteurs d’André Pratte et Alain Dubuc. Ne dirait-on pas que la dame avait inventé le fil à couper le beurre! Tout un contraste avec le traitement qu’on réservait à Mme Marois lorsqu’elle était ministre des Finances. Rappelons qu’en novembre 2001, dans un budget spécial présenté suite à l’attentat du World Trade Center, elle avait prédit une croissance de 1,7 %. Les supposés experts financiers, y compris ceux de La Presse, s’étaient moqués d’elle. Dans son énoncé complémentaire de mars 2008, elle confirme, avec une satisfaction bien compréhensible, que la croissance serait bien de 1,7 %. Vous croyez que le journal allait titrer « Mme Marois avait raison »? Mais non, il fallait quelque chose de négatif. La manchette principale, le 20 mars 2002, fut « Rien de plus pour la santé ». André Pratte pondit un éditorial, « La mouche du coche », pour se moquer d’elle. Claude Picher était ulcéré de ne pas avoir eu raison : « Joueuse et chanceuse » pleurnichait-il. Le lendemain, la chronique de Lysiane Gagnon s’intitulait « Fiscalité préélectorale». La règle est simple. À La Presse, lorsque le PQ est au pouvoir, il est responsable de tout ce qui va mal, mais il n’a aucun mérite lorsque ça va bien. Et l’inverse est vrai, pour le PLQ, lorsque c’est lui qui forme le gouvernement.

On voit qu’il n’y a pas grand danger que les bonnes habitudes se perdent. Néanmoins, le moment est bien choisi pour se refaire une virginité. Des critiques du gouvernement Charest réapparaissent. On est loin de l’appui servile qui était la norme au cours de l’année qui a précédé les élections. Ils pourront citer ces textes lorsqu’on mettra en doute leur honnêteté intellectuelle. Comme si un article objectif pouvait racheter le déversement de propagande partisane dont ils ont fait leur métier à longueur d’année! Tous ces braves journalistes doivent se dire qu’ils auront amplement le temps de monter une autre campagne dans le style « le Jean Charest nouveau » pour empêcher une éventuelle élection d’un gouvernement souverainiste.

Le professeur de propagande

Lors du référendum de 1995, je m’étais amusé à écrire le petit sketch de propagande fiction suivant :

Le professeur de propagande à La Presse réunissait le personnel le lundi 25 septembre 1995 pour faire le point sur la semaine qui venait de s’écouler. Il était très heureux de ses ouailles et ça paraissait.

« La palme de la semaine, déclarait-il, vous l’avez deviné, va à notre correspondant à Québec. Nous avons pu placer ses articles contre le Oui en manchette principale à la une trois fois et en vedette à la page B1 deux fois. Il fallait un talent peu commun, vous le reconnaîtrez tous, pour étaler sur trois journées les contrats sans soumissions de 500 000 $ de Le Hir. La direction a surtout apprécié l’effort qu’il a fait pour associer Lizette Lapointe, épouse de Jacques Parizeau, à ce scandale. Qu’elle ait travaillé, il y a 15 ans, au même bureau que le vice-président de Solin, qui est aujourd’hui mêlé à cette affaire, il fallait du flair pour le découvrir et un doigté de vétéran pour l’introduire dans un de ses articles. Avec cette performance, ce journaliste prend la tête de la coupe Trudeau. Vous n’auriez jamais cru, n'est-ce pas, qu’il était possible de se hisser au même niveau que celui de notre correspondante à Ottawa, après qu’elle se fût illustrée en fabriquant, avec l’aide du ministère à Ottawa, l’affaire des homards. Que cette remontée soit un encouragement pour tous. Chacun a la chance de se mettre en valeur et, s’il veut s’appliquer, sortir gagnant ».

Le brave journaliste, les yeux modestement baissés, était rouge comme une pivoine d’entendre ces louanges. Dans sa tête trottaient des rêves d’un poste d’éditorialiste à court terme et, qui sait, d’une belle sinécure de sénateur à la fin d’une carrière bien remplie.

Il y eut un instant de malaise quand quelqu’un porta à l’attention du professeur ce qu’il croyait être un manquement au code de propagande. Le journal avait publié une nouvelle disant que le gouvernement fédéral avait accordé des contrats sans soumission de 2,7 millions de dollars à des amis libéraux. Le professeur rétablit vite l’harmonie. « Je vous félicite pour votre zèle, Père Ovide, et je vous en remercie. On n’est jamais trop vigilant, et il est vrai qu’une nouvelle comme celle-là pourrait nuire à notre cause. Mais voyez le traitement qu’on lui a réservé : une trentaine de lignes à la page B4. Voyez-vous, il était trop dangereux de taire complètement la nouvelle. D’autres journaux auraient pu voir notre manège et mettre en doute notre impartialité. On fait donc état de la nouvelle, mais en la cachant autant que possible ».

Le Père Ovide voulut insister : « Quel journal craignez-vous donc? Avec Gesca, nous contrôlons la majorité des journaux du Québec. The Gazette et Le Soleil sont aussi zélés que nous. Et ni les journaux de Péladeau  ni Le Devoir n’oseront nous accuser de partialité, quelles que soient les preuves dont ils disposent».

« Vous avez raison jusqu’à un certain point, répondit le maître. Mais il y a encore quelques journalistes de la télévision et de la radio qui ont leur franc-parler. D’autre part, de quoi aurions-nous l’air si le Conseil de presse se réveillait de son profond coma et nous dénonçait? Vous savez, il ne faut négliger aucune éventualité, si improbable soit-elle ».

Cela sembla satisfaire le Père Ovide, et le professeur poursuivit sa revue des belles réalisations de la semaine. « Cinq jours sur sept, la manchette principale favorisait le Non. Les deux autres jours, elle était neutre, ce qui donne un avantage de 5 à 0 au Non. Nous n’avons pas pu poursuivre ce blanchissage, malheureusement, sur l’ensemble du journal, mais je suis très satisfait, car nous avons continué à favoriser le Non dans l’ensemble de nos manchettes ».

«  Il y a un point cependant qui me chagrine. Vous connaissez bien le principe que je vous ai enseigné dans la fabrication des manchettes. Elles doivent être libellées de façon à donner une image positive de nos amis et une image négative de nos adversaires. Eh bien, c’est notre cousin de Trois-Rivières, Le Nouvelliste, qui nous dame le pion dans ce domaine. Je dois citer en exemple deux nouvelles, publiées une le vendredi et l’autre le samedi. Dans le premier cas, Daniel Johnson devait se défendre contre une étude américaine qui prétendait que la cote de crédit d’un Québec souverain serait bonne. Le journaliste s’est fendu d’une belle trouvaille : « Johnson démolit une étude de quatre chercheurs indépendants». Vous voyez l’habileté. On peut imaginer le chef du Non pourfendant l’adversaire. Évidemment, nous savons, nous, que Johnson n’a rien démoli du tout. Il s’est contenté d’insulter les chercheurs. Cela ne donne que plus de mérite au créateur de la manchette. Le lendemain, c’était un partisan du Oui, qui donnait la réplique à Beaudoin, de Bombardier. La manchette dit donc : « Le ministre Paillé offusqué par les propos de Beaudoin ». S’offusquer, ça veut dire « se froisser, se choquer». Rien de trop fort. On ne laisse même pas entendre qu’il y a eu une réplique de la part du ministre. Je vous cite ces deux exemples non pas pour vous décourager, mais pour vous exhorter à atteindre de nouveaux sommets».

« Pour ce qui est des photos, je vois qu’on réussit à atteindre l’objectif, soit deux fois plus de photos pour le Non que pour le Oui. Continuez donc votre beau travail. Et ceux qui font la mise en page, souvenez-vous de ce principe de base : autant que possible, associer les photos des souverainistes à des articles défavorables à leur cause ».

« J’en aurais aussi beaucoup à dire sur l’excellente besogne des éditorialistes. Nous faisons plus que maintenir notre rythme d’une moyenne d’un article par jour contre le Oui. Je sais que c’est difficile pour les membres de l’équipe éditoriale, mais avec des articles d’invités de la classe de Stéphane Dion, et en mettant à contribution nos chroniqueurs des pages financières, nous y arriverons».

Je ne veux pas vous retenir plus longtemps, je sais que vous avez tous hâte de vous lancer au travail pour gagner vos épaulettes. En avant, valeureux soldats! »

Je le répète, c’est de la fiction. Il n’y a pas de professeur de propagande à La Presse. Quoique… Il y avait eu un article de Lysiane Gagnon, une semaine plus tôt, dans lequel elle reprochait à Daniel Johnson de ne pas bien maîtriser les techniques de propagande aussi bien qu’elle : « M. Johnson accusait le PQ de vouloir faire un pays … sans réaliser le sens positif de cette expression. Dans le contexte d’un discours fédéraliste,  il fallait accuser l’adversaire de vouloir «  briser », « démolir », « défaire » un pays, et associer le mot «  pays » au Canada ». Ça a tout l’air de l’élève qui veut se faire bien voir du professeur. S’il n’y a pas de professeur de propagande à La Presse,  pour qui donc se lissait-elle les plumes, en faisant ainsi l’étalage de sa grande compétence en la matière?

Les 13 et 14 mai 2009 furent des journées de grandes découvertes à La Presse. Tout d’abord, il y a Patrick Lagacé qui s’indignait qu’une firme de marketing ait créé un faux blogue pour mieux tromper la population. Il cite même un professeur de marketing qui applaudit à cette manœuvre. Le lendemain, c’est Pierre Foglia qui relance ça : « … je m’étouffe tout de suite d’indignation… vous n’êtes pas tannés de laisser le marketing vous manipuler, vous abuser, vous tromper… vous n’êtes pas tannés de vous faire enculer par le marketing? » Et dans la section « Arts et spectacles », Nathalie Petrowski fait de l’ironie sur la prestation de Jonathan Roy à Tout le monde en parle. Paraît-il que c’est Jeff Fillion qui a coaché Roy pour lui permettre d’effacer son image de hockeyeur brutal et de se transformer en joli cœur timide qui fera fondre les matantes. Tous ces commentateurs semblent se réveiller ensemble, comme les personnages de La belle au bois dormant, et constater ce qui se passe. Ils ne semblent pas s’être rendu compte que les fabricants d’images, attirés par les sommes énormes comme les mouches par le miel, gravitent autour de Propagande Canada et prodiguent des conseils, entre autres, à la direction de leur propre journal. L’affaire des commandites a permis d’en pincer quelques-uns parce qu’ils avaient été trop gourmands et avaient facturé en trop. Ceux qui produisent de la propagande à la pelle, mais ne touchent que les sommes convenues, continuent leur travail d’expert.

Le newspeak

Le newspeak était la langue officielle de la dictature décrite par George Orwell dans son célèbre roman 1984. Dans le vocabulaire B de cette langue créée artificiellement, certains mots avaient le sens exactement contraire de ce que l’on était porté à croire. Par exemple, « joycamp » pour « camp de travaux forcés ». On pouvait créer des titres et des slogans comme « War is peace » (La guerre, c’est la paix), « Freedom is slavery » (La liberté, c’est l’esclavage », « Ministry of Truth » (ministère de la Vérité, pour ministère de la Propagande).

On retrouve de nombreux exemples de newspeak dans les déclarations des politiciens fédéralistes et de leurs agents de propagande. Il y eut, bien sûr, le discours « Nous mettons notre tête en jeu » de Pierre Elliott Trudeau au Centre Paul-Sauvé pendant la campagne référendaire de 1980. La suivante, de Jean Chrétien, pendant la campagne référendaire de 1995, copiait fidèlement la formule :

« Pendant cette campagne, j’ai écouté mes compatriotes du Québec dire qu’ils étaient profondément attachés au Canada. Cela dit, ils ont également indiqué qu’ils désirent voir ce pays changer et évoluer dans le sens de leurs aspirations. Ils veulent que le Québec soit reconnu au sein du Canada comme une société distincte par sa langue, sa culture et ses institutions. Je l’ai dit et je le répète : je suis d’accord. J’ai appuyé cette position dans le passé, je l’appuie aujourd’hui et je l’appuierai dans l’avenir, en toutes circonstances »  (Verdun, 24 octobre 1995).

Voici quelques exemples d’affirmations qui sont non seulement fausses, mais qui sont l’exact contraire de la vérité ou de ce que fait l’auteur :
  • « Le droit des citoyens à une information objective fait partie des principes auxquels adhère La Presse… Aucun gouvernement, aucune puissance financière ne la fera dévier de sa mission principale ».  (André Pratte, 23 juin 2002)
  • « Qui contrôle les médias? Personne! … De nombreux mécanismes, automatiques ou non, entrent déjà en jeu pour assurer une diversité des sources d’information… En fait, les grands groupes (propriétaires de médias) assurent le plus souvent plus de liberté que les petits potentats locaux qui ont marqué l’Histoire des médias… Je sais aussi qu’il est impossible de contrôler le contenu et le ton d’un journal, tout autant pour les propriétaires que pour les éditeurs ». (Alain Dubuc, Cyberpresse, 13 février 2003)
  • « En raison du nombre important de lettres et de documents que nous recevons chaque jour, nous ne pouvons cependant pas vous assurer que votre texte sera publié… Quoi qu’il en soit, vous pouvez tenir pour acquis que votre texte recevra toute notre attention ». (Lettre automatique adressée par l’équipe éditoriale de La Presse aux lecteurs qui ont envoyé un texte d’opinion qu’elle ne trouve pas à son goût.)
  • « Votre journal, un pilier de la démocratie ». (Titre d’un article en page A23 de La Presse, 16 juin 2009)
  • « La Presse ne mène pas de guerre contre quelque gouvernement ou personne que ce soit. Notre seul objectif est de servir l’intérêt public par une information approfondie, objective et crédible ». (Guy Crevier, président et éditeur de La Presse, 30 mai 2002)
  • « Le programme des commandites était parfaitement justifié ». (André Pratte, La Presse, 19 avril 2004)
Des bienfaits d’une défaite :
  • « La conquête britannique de 1763, loin d’étouffer le fait français, a assuré la survie d’un Québec démocratique ». (Michael Ignatieff, La révolution des droits, Boréal, 2002)
  • « Nous avons réussi à préserver cette langue parce que nos voisins des autres provinces canadiennes étaient des alliés, des amis et non pas des étrangers ». (Jean Charest, cité dans La Presse le 24 avril 1998)
À comparer avec ceci :
  • « Quelque opinion que les Français puissent formuler de leur grande défaite de 1940, ils avoueront un jour, s’ils sont honnêtes, que l’armée allemande, mais en même temps l’Allemagne, a libéré le peuple français de ses parasites ». (Alfred Rosenberg, théoricien du nazisme, cité dans Henri Amouroux, La grande histoire des Français sous l’Occupation, Robert Laffont, Paris, 1999. 
Les protestations d’innocence :
  • « Dénigrer ouvertement? Personnes intolérantes? Où a-t-il pris ça? » (John Honderich, éditeur du Toronto Star, répondant à des accusations de Jacques Parizeau et prétendant qu’on ne dénigre pas le Québec dans les journaux du Canada anglais, dans La Presse, 26 novembre 1994)
  • « Nous n’entendons jamais parler en mal du Québec».  (Janice Kennedy, columnist, The Ottawa Citizen, cité dans Le Devoir, 15 mars 1997)
  • « Où ça, du Quebec Bashing? »  (André Pratte, La Presse, 4 décembre 2008)
Les mêmes propagandistes concernant le martyre que nous infligeons à nos minorités en appliquant la Charte de la langue française :
  • « Ils ont arraché leurs droits civils aux anglophones et aux allophones ». (Diane Francis, dans Fighting for Canada, Key Porter, 1996)
  • « Ce que le Québec inflige à ses anglophones est un génocide, une combinaison de racisme et de nettoyage ethnique ».  (Lowell Green, animateur au poste radiophonique CFRA d’Ottawa, cité sur le site d’Impératif français le 23 septembre 2001)
  • « Le Québec est un état policier. Il n’y existe ni liberté de presse, ni liberté de parole, l’Office de la langue française, cette organisation ridicule, pompeuse et fanatique, y contrôle l’usage du français. Il faut converser, lire et même penser en français ». (Yolanda East, ancienne fonctionnaire fédérale et écrivaine, citée dans Wikipedia  sous « Quebec Bashing »)
À comparer avec les protestations d’un célèbre propagandiste :
  • « L’état des choses qui règne en Tchécoslovaquie est insupportable… Si nos trois millions d’Allemands n’ont pas le droit de chanter des chansons… cela ne nous est pas indifférent… Il est intolérable de savoir, qu’à ses côtés, des frères de race subissent à chaque instant les plus cruelles souffrances… On traite les Allemands comme des nègres. » (Adolf Hitler, cherchant à justifier à l’avance son invasion de la Tchécoslovaquie, cité dans Philippe Boegner, L’enchaînement, Williams Alta, Paris, 1980)
L’intelligentsia du Canada anglais aime bien proclamer que d’immenses concessions ont été faites au Québec :
  • « Je pense que nous avons fait des efforts considérables pour les satisfaire (les Québécois)… À chaque fois que je prends une boîte de céréales, je dois la tourner pour lire l’anglais ». (J. P. Bryant, président de Gulf Canada, cité dans La Presse 11 juin 1996)
  • « Les politiciens fédéraux avaient été à la limite de ce qui est possible en politique et en logique pour satisfaire les Québécois ». (Ron Graham, The French Quarter, Macfarlane, Walker &amp and Ross, Toronto, 1992)
Ces éminents penseurs seraient bien en peine de citer une seule de ces grandes concessions, à part le français sur les boîtes de Corn Flakes. Citons encore cet autre adepte du newspeak :
  • « Vous connaissez les tentatives sans fin que j’ai entreprises pour arriver à une entente politique sur le problème autrichien et, plus tard dans le problème des Sudètes, de la Bohème et de la Moravie… Est-ce que, de ma vie, j’ai proféré un seul mensonge?». (Adolf Hitler, cité dans  William L. Shirer, Le Troisième Reich, des origines à la chute, traduction intégrale de The Rise and Fall of the Third Reich, Stock, Paris, 1961.


NOTES DU CHAPITRE 12

  1.  Le Devoir, 8 novembre 1999.
  2.  Cité dans Guy Bouthillier, L’obsession ethnique, Lanctôt Éditeur, Montréal 1997.
  3. Jacques Ellul, Propagandes, Librairie Armand Colin, Paris 1962.
  4. Ibid,
  5. L’Allemagne de Hitler, chapitre « Les succès de la propagande nazie », ouvrage collectif, Seuil – Points Histoire.
  6. La Presse, 23 juin 2001.
  7. Jacques Lacoursière, Histoire populaire du Québec, éditions du Club Québec-Loisirs Inc., 1996.
  8. Cités dans Jacques Delperré de Bayac, Au Royaume du Maréchal, Robert Laffont, Paris, 1975.







Chapitre 13

“Déposez les armes! ”

En mai 2008, Alain Dubuc juge que les barrages d’artillerie dirigés contre les souverainistes devraient avoir suffisamment ramolli leurs positions. Il publie dans La Presse une page complète intitulée « Le temps de déposer les armes ». 1

Il est bien normal que le titre de cet appel d’Alain Dubuc soit formulé en termes militaires, car Propagande Canada s’est conformée à des stratégies très précises. En 1996, Tom Axworthy, ancien bras droit de Pierre Elliot Trudeau, décrivait la stratégie à suivre à l’état-major de Jean Chrétien. Il préconisait de mettre en place une structure élaborée pour propager en permanence le message fédéraliste à tous les échelons de la société québécoise. Ottawa devait prendre le leadership d’une opération pour discréditer le Parti Québécois. Il suggérait qu’on inonde systématiquement de propagande antipéquiste les électeurs susceptibles d’hésiter entre le fédéralisme et la souveraineté, que le PLQ devienne le maître d’œuvre pour discréditer le PQ et que des moyens sans précédent soient déployés pour ce faire. Il estimait que si les forces fédéralistes mettaient sa stratégie à exécution, le message fédéraliste ferait tellement son chemin au sein de la population que le PQ pourrait même devoir renoncer à tenir un autre référendum, de crainte de le perdre de façon convaincante. 2

Comme on peut le constater, la proposition de M. Axworthy rappelait comment mettre en application l’idée de Trudeau de dépenser « des sommes énormes » pour détourner les Québécois de la tentation de voter pour l’indépendance.

Un autre rapport fut rédigé en février 1998 par M. Robert Bernier : « Communications et marketing gouvernemental : considérations stratégiques ». Le rapport, qui faisait suite à une étude secrète commandée par Ottawa sur l’efficacité de sa propagande, fut obtenu en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. De grandes parties de l’ouvrage de 24 pages avaient été supprimées en vertu de l’article 14a de cette loi, mais on peut se faire une idée des stratégies préconisées à la lecture des passages qui ont survécu à la censure :

« L’approche indirecte consiste à rechercher la victoire en disposant ses forces contre les points faibles de l’ennemi, sur des théâtres d’opérations secondaires. Au lieu de prendre le taureau par les cornes, si l’on peut dire, il s’agit maintenant de le mettre à genoux par des attaques surprises sur des points faibles. L’ennemi doit être induit en erreur et ne réaliser ce qui se passe que lorsqu’il est trop tard. L’ennemi est attiré en dehors de ses positions fortes et forcé à assurer la garde de secteurs sans intérêts, au moment où une attaque se prépare sur les points les plus faibles. Les attaques doivent s’effectuer en des endroits inhabituels de façon à aveugler l’ennemi et l’empêcher de voir le danger réel…

Quelle que soit la forme de stratégie choisie, les actions entreprises n’ont qu’un but : atténuer la volonté de combattre de l’ennemi et lui faire accepter notre volonté. »

M. Bernier ne dit pas qui est l’ennemi. Si l’on observe les actions centralisatrices d’Ottawa, on pourrait croire que c’est le gouvernement du Québec. Si l’on considère la propagande des journaux de Gesca, l’ennemi est constitué par un grand nombre de leurs lecteurs.

Malgré le caractère martial du titre de l’article d’Alain Dubuc, il trouve des paroles doucereuses pour inciter les souverainistes à se soumettre :

« C’est la meilleure voie à suivre pour les souverainistes sincères et raisonnables, épris du Québec, mais réalistes…

Je parle à tous ceux, et ils sont nombreux, qui doutent, qui sont fatigués…

Le fait d’accepter de ne pas se battre pour la souveraineté ne doit pas empêcher un péquiste de croire et d’affirmer que c’est, à son avis, la meilleure solution, le plus beau projet, un rêve merveilleux… »

N’est-ce pas que c’est suave? On a l’impression que la sainte hostie ne lui fondrait pas dans la bouche! Ils ont mis en œuvre contre la souveraineté toutes les techniques de propagande mises au point par les grands maîtres de ce genre que l’Histoire a connus. Ils ont tiré à boulets rouges sur la souveraineté et tous ceux qui défendent cet idéal. Ils ont inventé des nouvelles défavorables aux souverainistes et ils les ont répétées ad nauseam. Ils ont permis que leurs frères de métier anglophones débitent les pires infamies contre le Québec et les Québécois. Ils les ont même discrètement encouragés. Puis ils viennent nous dire que nous serions bien gentils de déposer les armes. Les Allemands ne procédaient pas autrement au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Après avoir bombardé les populations, ils laissaient tomber de leurs avions des messages qui disaient : « Déposez les armes et acceptez l’ordre nouveau ».




Nous avons eu des souverainistes qui, prétextant la fatigue, ont renoncé à leur idéal. Ceux-là sont à plaindre. Comme le disait Victor Hugo,

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front.

Il y a aussi ceux qui se rangent du côté du plus fort et qui se retournent contre leurs frères d’hier. Ils deviennent souvent les plus virulents. Ceux-là me font penser au personnage de Romain Gary :

« Elle (son épouse) ne sait pas que le rêveur, l’idéaliste que j’étais, l’adolescent prêt à se faire tuer pour la liberté du monde a fait discrètement ses bagages et s’en est allé sur la pointe des pieds, comme un voleur, et qu’un bourgeois avide, indifférent et lâche s’est installé à sa place. » 3

Qu’adviendra-t-il si les souverainistes, répondant à la sommation d’Alain Dubuc, déposent les armes. Risquons-nous à faire des prédictions sans boule de cristal :

Certaines choses que nous connaissons déjà seront plus fréquentes, s’accéléreront ou prendront plus d’ampleur.

 D’autres apôtres de l’assimilation comme Daniel Poliquin sortiront du placard. Ils seront applaudis par d’autres Philip Resnick, Jeffrey Simpson et Justin Samuel. Ils seront décorés de l’Ordre du Canada.

Des chanteurs québécois francophones se présenteront en spectacle avec un répertoire exclusivement en anglais, comme cela s’est produit à Trois-Rivières à l’été 2009, dans le cadre du 375e anniversaire de fondation de la ville.

Des titres d’émissions de télévision comme « Star Académie » (un mot bilingue, un mot français, une construction résolument anglaise) et « Loft Story » (jeu de mots atroce) se multiplieront. Personne ne rouspétera.

Il y aura de plus en plus d’incursions par le fédéral dans les domaines de compétence du Québec, comme l’idée d’une autorité pancanadienne des marchés financiers. La tactique du salami a porté fruit jusqu’à présent. Les tranches deviendront de plus en plus épaisses.

Inversement, les demandes du gouvernement québécois pour plus d’autonomie et plus de pouvoirs deviendront plus rares et plus faibles. Les André Pratte et les Alain Dubuc auront décidé une fois pour toutes : « Pourquoi plus de pouvoirs? Pourquoi le Québec réclamerait-il la juridiction complète sur la culture? Il n’en a pas besoin ».

Des projets comme la célébration de la bataille des Plaines d’Abraham seront présentés de nouveau. Ce n’est pas parce qu’on a dû reculer une fois qu’il faut y renoncer. Les Québécois, fatigués de se défendre, baisseront sûrement les bras un jour. Et il y aura toujours un maire de Québec pour voir là l’occasion d’attirer quelques touristes de plus.

Les Montréalais recevront de plus en plus souvent dans les commerces la réponse : « Sorry, I don’t speak French ». Et pourquoi cela se limiterait-il à Montréal?

Plus les Québécois se soumettront à l’assimilation, plus on sera enclin à leur donner du « nation » à tour de bras. Ça ne fait pas mal, pourvu qu’ils n’insistent pas pour avoir le degré d’indépendance qui convient à une nation. Comme le pense cet autre personnage de Romain Gary, fonctionnaire allemand dans Paris sous l’Occupation :

« Les pieds dans ses pantoufles, un sourire satisfait aux lèvres, M. Karl continue son admirable rapport. Se faire aimer écrit-il, tel est le secret de mes modestes succès et telle doit être notre devise… Jouer avec les bébés. Céder sa place aux dames dans le métro. Les petites attentions font de grands amis… Le bourgeois de Paris n’a pas l’habitude des luttes souterraines. Ils ne nous aiment pas encore, mais déjà ils nous admirent. Dans cinquante ans, les fils oublieront que les pères parlaient français. » 4

Les politiciens québécois qui auront favorisé l’assimilation recevront de grands honneurs. Après tout, Pierre Elliott Trudeau a bien un aéroport à son nom. Jean Chrétien  a bien reçu un doctorat honorifique de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Et la Reine d’Angleterre ne lui a-t-elle pas décerné l’Ordre du Mérite?

Un jour, un premier ministre du Québec à l’échine souple, voyant qu’il peut le faire avec impunité, signera la Constitution de 1982. Les Québécois auront enfin accepté « le sort qui les attend », selon l’expression utilisée par The Montreal Gazette lorsqu’elle préconisait la confédération. Le rêve de Durham sera devenu réalité. Peut-être qu’on sera tenté de changer le nom du Canada. On voudra l’appeler le « Canada Uni » ou, de façon plus appropriée, « United Canada ».


NOTES DU CHAPITRE 13

  1.  La Presse, 12 mai 2008.
  2. La Presse, 11 septembre 1996.
  3. Romain Gary, Éducation européenne, Librairie Gallimard, 1956
  4. Ibid.